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peu d'écrivains François & Italiens, qui parlent avantageufement de ce pape.

X.

Le 18 Janvier les cardinaux entrerent en proceffion dans le conclave. Il dura quatre-vingts jours, pendant lefquels il y eut des intrigues d'une nouvelle efpece, dont on voit le détail dans les Mémoires du cardinal de Retz, témoin oculaire & digne de foi. Comme il n'y avoit perfonne qui pût se mettre à la tête de la faction Pamphile, dix cardinaux réfolurent de faire une profeffion publique en entrant dans le conclave, de toute forte d'indépendances & de factions & de couronnes. Comme celle d'Espagne étoit alors la plus forte à Rome, & par le nombre des cardinaux, & par la jonction de ceux qui étoient attachés à la maifon de Médicis, ce fut auffi celle qui éclata le plus contre cette indépendance de l'Escadron volant : c'eft le nom qu'on donna à ces dix cardinaux, qui s'appelloient eux-mêmes la brigue du Saint-Efprit. Le premier pas qu'ils firent, fut de s'unir avec le cardinal Barberin, qui vouloit faire pape Sachetti, créature d'Urbain VIII. Ceux de l'Efcadron, qui avoient envie de mettre fur le faint fiége le cardinal Chigi, crurent que l'unique moyen d'engager Barberin à le fervir, feroit de l'y obliger par reconnoiflance, & de faire tous leurs efforts pour élever fur le faint fiége Sachetti: efforts qui feroient pourtant inutiles par l'événement, & qui ne ferviroient qu'à les lier fi étroitement avec Barberin, qu'il ne pourroit s'empê cher dans la fuite d'entrer dans les vûes qu'ils se propofoient. Voila le grand fecret de ce conclave. C'étoit une efpece de comédie, où tous les acteurs jouoient parfaitement leur rôle. Les fcènes furent peu diverfifiées ; mais les épisodes furent fort curieux. On donnoit deux fois le jour trente-deux & trente-trois voix à Sachetti, & ces voix étoient celles de la faction de France, des créatures du pape Urbain & de l'escadron volant. Celles des Efpagnols, des Allemands & des Médicis, tomboient fur différens fujets; & ils affectoient d'en user ainsi, pour faire paroître leur conTome X.

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V. pag. 122. & fuiy.

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duite exempte d'intrigues & de cabales. Mais le public n'en étoit pas la dupe, parceque l'on favoit que l'ame de cette faction étoient les cardinaux Trivulce & de Médicis, dont les mœurs étoient fort déréglées. Ainfi la faction d'Espagne perdoit chaque jour du terrein, par l'adreffe de l'efcadron volant, qui ne cherchoit qu'à la divifer & à affoiblir celle de France, pour se rendre maître de l'élection. »Nous vouMem. Tom. »lions Chigi, dit le cardinal de Retz, & nous ne le pou>>vions avoir qu'en faifant tout ce qui étoit en notre pouvoir pour l'exaltation de Sachetti; & nous étions moralement » affurés que ce que nous ferions pour Sachetti ne pourroit » réuffir, de forte que la bonne conduite nous portoit à ce » que nous étions obligés par la bonne foi. Cette utilité n'é>>toit pas la feule. Notre manœuvre couvroit notre marche, >> & nos ennemis tiroient à faux, parcequ'ils vifoient à faux, »& toujours où nous n'étions pas. Vous verrez le succès de » cette conduite, après que je vous aurai expliqué celle de »Chigi, & la raison pour laquelle nous avions jetté les ieux >>fur lui.... Pour abréger, Chigi fit fi bien par fa diffimula>>tion profonde, que nonobftant la petitefle qu'il ne pou» voit cacher à l'égard de beaucoup de petites chofes, & sa » phyfionomie, qui étoit baffe & qui tenoit beaucoup du » médecin, quoiqu'il fût de bonne naiffance; il fit fi bien, dis-je, que nous crûmes que nous renouvellerions en fa >> perfonne, fi nous le pouvions porter au pontificat, la » gloire & la vertu de S. Grégoire & de S. Léon. Nous nous » trompâmes dans cette efpérance. Nous ne réufsîmes qu'à »l'égard de fon exaltation. M. le cardinal Barberin, qui » avoit dès fon enfance aimé, jusqu'à la paffion, la piété, & » qui eftimoit beaucoup celle qu'il croyoit en Chigi, fe ren>> dit avec affez de facilité ; & il n'y eut, à dire le vrai, qu'un »fcrupule, qui fut que Chigi, qui étoit fort ami des Jéfuites, pourroit donner atteinte à la doctrine de faint Auguftin.... Je fus chargé de m'en éclaircir avec lui, & je m'ac» quittai de ma commiffion, d'une maniere qui ne bleflât »ni mon devoir, ni la prétendue tendreffe de confcience » de Chigi. Comme dans les grandes conversations que j'a

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» vois eues avec lui dans les fcrutins, il m'avoit pénétré, ce qui lui étoit fort aifé, parceque je ne me couvrois pas au»près de lui, il avoit connu que je n'approuvois pas qu'on »s'entêtât pour les perfonnes, & qu'il fuffifoit d'éclaircir la » vérité. Il me témoigna entrer de lui-même dans ces fenti»mens;& j'eus fujet de croire qu'il étoit tout propre, par fes » maximes, à rendre la paix à l'Eglife. Il s'en expliqua lui» même affez publiquement & raifonnablement: car Albizzi, » penfionnaire des Jéfuites, s'étant emporté, même avec bru»talité, contre l'extrémité, difoit-il, de l'efprit de S. Auguf»tin,Chigi prit la parole avec vigueur ; & il parla comme le >> refpect que l'on doit au docteur de la grace le requiert. Cet» te rencontre raffura absolument Barberin. Dès qu'il eut pris >>fon parti, nous commençâmes à mettre en œuvre les maté>> riaux que nous n'avions fait jusque-là que difpofer. » La suite fit voir combien le cardinal Barberin avoit eu raison de tout craindre du dévouement de Chigi à la société des Jéfuites. L'élection fe fit le 8 (d) d'Avril (1655.) & Chigi prit le nom d'Alexandre VII. Le cardinal de Retz dit que, lorfqu'il s'approcha à fon tour pour lui baifer les pieds dans la Son caractere. cérémonie de l'adoration, le nouveau pape lui dit en l'embrassant, fi haut que les ambaffadeurs d'Espagne & de Venife & le connétable Colonne l'entendirent: Signor cardinal de Retz, ecce opus manuum tuarum. L'estime l'on que avoit pour Alexandre VII. étoit générale, & l'on s'en promettoit un glorieux pontificat. Tout le monde crut qu'il alloit gouverner l'Eglife de la maniere la plus édifiante. On venoit de tous côtés pour recevoir fa bénédiction. Chacun vantoit fa modeftie & fes austérités. On peut juger néanmoins par un trait que l'on trouve dans les Mémoires du cardinal de Retz, que cette modestie n'étoit pas fort mer

X X. Election d'Alexandre VII.

Tom. V.

veilleuse. Ce cardinal ne fachant comment il devoit vivre à Rome, confulta Chigi sur le dessein qu'il avoit d'éviter l'é- pag. 156. clat & la pompe.« Non, non, répondit Chigi; il y a ici

(d) [Les Bénédictins, dans l'Art de vérifier les dates, difent le 8 ou le 7: & notre exemplaire corrigé porte que ce fut le 6 felon Moréri, où néanmoins, dans l'édition de 1759. on lit le 7.

XXI.

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» beaucoup de gens qui aiment à affaffiner ceux qui font à terre: le pauvre cardinal Chigi qui vous parle, qui n'a que » cinq mille écus de rente, & qui eft fur le pied des plus gueux >> des cardinaux moines, ne peut aller aux fonctions fans >> quatre caroffes de livrées roulans ensemble, quoiqu'il foit >> affuré qu'il ne trouvera perfonne dans les rues qui manque »en fa perfonne au refpect que l'on doit à la pourpre. » Qu'on juge du luxe des autres cardinaux par la fimplicité de Chigi. La maniere dont il commença fon pontificat fit impreffion fur le peuple, & augmenta les efpérances qu'on avoit conçues de lui. Il continua de jeûner deux fois la femaine, comme il avoit fait étant cardinal. Le lendemain de fon élection, il repouffa rudement Dona Olympia, qui étoit venue le féliciter. Il défendit à fes parens de venir à Rome fans fa permiffion. Il fit mettre fous fon lit fon cercueil qu'il avoit fait faire, afin d'avoir plus fouvent occafion de penfer à la mort. On dit même qu'il buvoit dans une taffe faite d'un crâne, & qu'il mêloit de la cendre avec fa nourriture. Il défendit aux cardinaux de porter le deuil, même de leurs pere & mere. Il eut foin auffi, dès les premiers jours de fon pontifcat, de prefcrire un habit particulier aux caudataires des cardinaux. Le cardinal de Retz voyant le pape débuter par de fi petites chofes, dit que le facré collège étoit pris pour dupe, & qu'Alexandre ne feroit jamais qu'un fort pauvre homme. » Les grands hommes, ajoute-t-il, peuvent avoir » de grands foibles; mais il y en a dont ils ne font pas fufcep>>tibles; & je n'ai jamais vû, par exemple, qu'ils aient entamé » un grand emploi par des bagatelles.» Il eft vrai qu'il y avoit des chofes plus preffées que de régler l'habit des domestiques qui portoient la queue des cardinaux.

Le pape changea bientôt de mœurs & de conduite. Il fe Ses défauts. laffa d'une vie trifte & régulière. Il fe livra infenfiblement au pouvoir de fes parens, & se flatta que le foin du bien public n'étoit pas incompatible avec l'intérêt particulier. Il céda à la paffion qu'il avoit pour les beaux bâtimens & les ornemens fuperflus. Il s'occupoit, jufqu'à fe rendre ridicule, de tout ce qui avoit de l'éclat & du brillant. Il fe fit faire

des habits, des meubles & des équipages magnifiques, avec des caroffes & des livrées fuperbes. Au commencement de fon pontificat, il aimoit beaucoup à donner audience, & il y admettoit même ceux de la lie du peuple qui fe préfentoient. Il s'en laffa bientôt ; & oubliant les obligations d'un prince & d'un pasteur, il dédaignoit tout, jusqu'à ne pas donner audience aux principaux miniftres des couronnes. Après avoir montré une entiere indifférence pour fes parens, il les combla de richesses & de dignités. Dom Mario fon frere fut fait gouverneur de l'Etat eccléfiaftique. Flavio Chigi fut nommé cardinal patron, c'est-à-dire, furintendant de toutes les affaires. Sigifmond Chigi, fils orphelin d'un autre frere du pape, fut gratifié de plufieurs bonnes penfions, jufqu'à ce qu'il fût en âge d'être créé cardinal avec quelque bienféance. Auguftin Chigi, frere de Sigifmond, deftiné à être le foutien de la maifon, fut marié à une trèsriche niéce du prince Borghèfe. Un des fils de la fœur du pape fut fait cardinal; l'autre, qui étoit chevalier de Malte, fut fait général des galeres.

Mém. Tom.

& fuiy.

Voici ce que dit le cardinal de Retz du changement qu'il trouva dans le pape à fon retour des eaux de Saint-Caffien, qui font en Tofcane. «ll ne tenoit plus rien de fa prétendue » piété que fon férieux quand il étoit à l'églife je dis fon v. pag. 176. »férieux, & non pas fa modeftie: car il paroiffoit beaucoup » d'orgueil dans fa gravité. Il ne continua pas feulement l'a» bus du népotifme, en faifant venir fes parens à Rome : il » le confacra en le faisant approuver par les cardinaux, auxquels il en demanda leur avis en particulier, pour ne point » être obligé de fuivre celui qui pourroit être contraire à sa » volonté. Il étoit vain jufqu'au ridicule, & au point de fe piquer de fa nobleffe comme un petit noble de la cam»pagne, à qui les élus la contefteroient. Il étoit envieux de » tout le monde fans exception. Le cardinal Cefy difoit qu'il »le feroit mourir de colere, à force de lui dire du bien de »S. Léon. Il ne difoit pas un mot de vérité; & le marquis » Riccardi, ambaffadeur de Florence, écrivit au grand duc »ces propres paroles: Infine, fereniffimo Signore, habia

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