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Ce décret ne fait que consacrer le principe; ce lui du 16 frimaire an III le confirme; ces deux lois sont muettes sur la forme et les effets de l'adoption.

Ni le décret du 18 janvier 1792, ni celui du 16 frimaire an III, n'ont été publiés dans les dépar

temens réunis.

Quelle était donc la loi qui régissait les adoptions faites dans la Belgique avant le code civil?

S'il s'agissait d'une autre province que de celle du Brabant, peut-être serait-on réduit à dire que l'adoption n'était pas moins exilée de la Belgique que de la France. Par exemple, comment pourrait-elle se concilier dans ses effets avec l'esprit de conservation qui respire dans toutes les coutumes de Flandre, en faveur de l'héritier du sang? Mais aussi quel obstacle pouvait-elle rencontrer dans le Brabant, où le systême des libéralités avait la même étendue que dans le droit romain?

Aussi Stockmans, l'un des jurisconsultes les plus instruits des lois et usages de son pays, dit-il, dans sa soixante-neuvième décision du conseil souverain de Brabant, que si les actes d'adoption ne sont pas fréquens dans cette province, il ne faut pas en conclure que l'adoption n'y est pas usitée, et il ajoute que, lorsqu'elle a lieu, elle est réglée par le droit romain, qui est la loi du pays, dans le silence des coutumes et des ordonnances.

1 C'est dans cet état de législation, que le tribunal de première instance de Bruxelles, et ensuite la

Cour d'Appel, séant en cette ville, ont eu à prononcer sur le mérite d'une adoption du 19 pluviôse an X. Les annales de la jurisprudence fournissent peu d'exemples d'une cause aussi importante par la nature et les difficultés des questions, et aussi remarquable par ses détails, sous les rapports de l'immoralité de l'adoption.

Jacques-Joseph Rappe, marchant fripier, à Bruxelles, a eu d'un mariage légitime une fille et deux garçons.

Pierre-Joseph, l'un de ses deux fils, épousa Catherine Debrouwer: il demeura chez son père jusqu'à ce qu'une mort prématurée vint l'enlever à sa jeune épouse et à un enfant qui était le premier fruit de leurs amours.

La fille et l'autre fils de Jacques-Joseph Rappe eurent la même destinée que leur frère. A peine eurent-ils goûté les douceurs de l'hyménée, qu'ils descendirent dans la tombe, et laissèrent chacun un enfant aux deux époux dont la mort les séparait.

Voilà donc Jean-Joseph Rappe, qui, par un renversement d'ordre naturel, n'a plus què la qualité d'aïeul; mais ses trois enfans vivent dans une descendance légitime, qui sans doute devait suffire pour remplir les affections d'un cœur paternel; mais il crut avoir besoin d'une autre consolation.

Catherine Debrouwer, sa bru, continua sa résidence dans la maison de son beau-père : elle y donna successivement le jour à deux filles, inscrites sur le registre des actes de naissance, sous les

noms d'Elisabeth et d'Anne-Françoise. Le père n'y est pas indiqué.

Ce sont ces deux enfans naturels que Jacques-Joseph Rappe adopta le 19 pluviôse an X, à la mairie de Bruxelles, dans les formes consignées aux modèles envoyés par le gouvernement, en l'an VIII, pour jouir, dit Rappe, des droits qui étaient ou seraient réglés en pareil cas par la loi.

Le 20 nivôse an XII, Jacques-Joseph Rappe fit son testament: il lègue à Catherine Debrouwer, sa bru, le quart de tous ses biens.

Ces témoignages d'une affection aussi marquée pour la mère et les deux enfans produisent naturellement dans l'esprit l'idée d'un commerce incestueux. Toute autre opinion supposerait une étrange exagération de vertu dans un beau-père qui récompense le libertinage de sa bru.

Jacques-Joseph Rappe décéda peu de temps après la confection de son testament. L'une des filles qu'il avait adoptées était morte avant lui. Il ne restait plus qu'Anne-Françoise, pour la sûreté des droits de laquelle Catherine Debrouwer, sa mère, à elle joint le tuteur, interposèrent saisie et arrêt entre les mains de l'exécuteur testamentaire de Jacques-Joseph Rappe.

François Bovie et Anne Schamps, gendre et bru du défunt, demandèrent, au nom de leurs enfans, petits-fils du défunt, la main-levée de la saisie-arrêt. Là s'est élevé la discussion des droits d'Anne-Françoise Debrouwer, en vertu de l'acte d'adoption.

On

On devine aisément que François Bovie et Anne Schamps n'ont pas manqué de réunir toutes les circonstances qui présentaient Anne-Françoise Debrouwer comme un enfant incestueux; mais la preuve juridique du fait était aussi difficile que le soupçon était pressant. Il n'en a donc été question que narrativement, et pour démontrer de plus en plus l'odieux de l'adoption dont s'agit.

Il est certain, disaient les défenseurs d'Anne-Françoise Debrouwer, que c'est dans l'esprit du principe régénéré en France, par le décret du 10 janvier 1792, que Jacques-Joseph Rappe a fait son adoption.

Un principe qui tient aux mœurs et aux institutions d'un étal, n'a pas besoin d'être publié : il se communique naturellement à toutes les parties de l'empire, à mesure que l'association s'agrandit.

L'adoption a donc pénétré dans la Belgique telle qu'elle était décrétée en France, en même temps que sa réunion à l'empire français a été prononcée.

Le gouvernement n'a pas même eu la pensée d'une possibilité contraire. Les modèles d'actes civils, envoyés aux départemens réunis en l'an VIII, comprennent les formes de l'adoption. Quelle erreur n'eût pas été commise, si la conformité d'une adoption à ces modèles, n'eût opéré qu'une contravention à des lois étrangères au principe qui régissait alors la France?

Car il faut l'avouer, s'il était vrai que le droit romain fût la règle absolue des adoptions en Brabant, c'était dans les S1, 2 et 3 du livre 1, titre Tome III, N.° 1.

I des instit., que l'on devait en trouver le mode et les formes. Les modèles qui reposaient au secrétariat de l'état civil n'étaient donc que des pièces propres à induire en erreur.

Mais la supposition est gratuite. Stockmans a trop hasardé, dans sa soixante-neuvième décision, ou son assertion est mal entendue.

- L'adoption, proprement dite, n'a pas été plus usitée en Brabant qu'en France, que dans les autres parties de la Belgique.

La grande liberté qu'on avait en Brabant, de disposer de sa fortune, a pu faire donner à quelques adoptions l'effet qu'auraient eu les mêmes actes, sous la forme de donations, ou d'institutions testamentaires; mais l'adoption a-t-elle jamais conféré la parenté civile, et les divers autres droits établis par la loi romaine? c'est ce qu'il serait difficile, pour ne pas dire impossible de prouver.

En admettant l'application du droit romain, non pour le mode, puisqu'il était tracé par le gouvernement français, mais pour la capacité de l'adopfant, quelle est la loi qui interdit l'adoption au père où à l'aïeul qui a des enfans ou descendans légitimes?

Les lois 17, S.3 ff., et 3 C. de adoptionibus, et le a des institutes eod. tit., supposent visiblement qu'un père qui a des enfans légitimes est capable d'adopter.

Seulement les deux premières lois exigent que le

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