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et pourquoi donc cela? Pourquoi le préfet et le commandant ne sont-ils pas ici? » Une foule enthousiaste se précipitait derrière la porte; soldats, habitants, parlementaient avec lui. « Nous n'avons pas les clefs, disaient-ils, elles sont chez le général Marchand; nous allons nous faire passage. » Napoléon impatienté, debout contre la porte, avec sa tabatière à la main, en frappait la boiserie de chêne ferrée, comme si ses faibles coups allaient la renverser. Enfin, des ouvriers vinrent; on scia une des planches, on enleva un panneau, et la porte fut ouverte aux acclamations de tous.

Napoléon fit son entrée de nuit, au milieu de quelques flambeaux ; il n'alla point loger à la préfecture, mais à l'hôtel du Cheval-Blanc, que tenait un de ses anciens de la garde. Il savait l'effet que devaient produire toutes ses démarches; le soir, on l'entoura, on le pressa; il demanda le préfet, on lui dit qu'il s'était retiré : « Quoi? Fourier, dit-il, s'est donc fait bourbonien? ah! c'est curieux! » Sur l'heure le général Marchand lui envoya sa démission de commandant de Grenoble, et il la reçut avec quelques murmures. Puis, il demanda quelqu'un, un secrétaire auquel il pût dicter ses décrets, ses instructions; on lui indiqua alors le bibliothécaire de la ville, homme de science et de renommée, M. Champollion-Figeac. Il le manda à deux reprises différentes, et quand il vint, la conversation s'engagea sur Grenoble. Dans les entretiens qu'il avait eus sur la route, Napoléon avait pu s'apercevoir que l'esprit des peuples se manifestait dans un sens plus révolutionnaire qu'impérialiste. On ne l'ac

ceptait plus ni comme conquérant, ni comme prince absolu, mais comme le représentant armé des idées de 1789 et 1792; comme dictateur démocratique tout au plus. Les Bourbons avaient habitué les peuples aux formes constitutionnelles; pour réussir, il fallait adopter ces mêmes idées, caresser ces principes, en un mot, appliquer au profit de la révolution les résultats du gouvernement représentatif. C'est dans ce sens que les conversations avec M. de Champollion se continuèrent plusieurs heures. Napoléon, qui avait brisé tous les principes de liberté, s'en montrait alors le partisan très-prononcé, et les décrets qu'il dicta de Grenoble se ressentirent de cette position nouvelle qu'il allait prendre. Il venait de recevoir les félicitations des autorités constituées; il avait parlé de ses droits, mais aussi il avait avoué ses fautes: « Il avait trop aimé la guerre, il ne la ferait plus; il revenait pour rendre les droits à la nation; il voulait être moins son souverain que son premier citoyen. » Ensuite, il ajouta quelques-unes de ces assertions qu'il avait semées sur la route : « Il aurait pu venir avec 80,000 hommes, Murat les lui aurait donnés; son beau-père et les Autrichiens lui avaient offert une armée, il avait refusé; il voulait tout devoir au peuple. » Tout cela était faux, mais il fallait rassurer les esprits dans ce moment décisif (1).

(1) Voici dans quels termes patriotiques il parlait aux habitants de Grenoble :

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« Aux habitants du département de l'Isère.

Lorsque, dans mon exil, j'appris tous les malheurs qui pesaient

A Grenoble il rendit trois décrets fort importants pour la marche des affaires. Le premier portait que tous les actes du gouvernement seraient désormais intitulés de son nom et de ses formules; le second organisait les gardes nationales des cinq départements des Hautes et Basses Alpes, du Mont-Blanc, de la Drôme et de l'Isère; enfin, il confiait la place de Grenoble au patriotisme de ces mêmes gardes nationales.

L'empreinte révolutionnaire se voit encore dans la proclamation qu'il adresse aux Grenoblois : comme aux habitants de Gap, il leur donne le titre de citoyens,

sur la nation, que tous les droits du peuple étaient méconnus, et qu'il me reprochait le repos dans lequel je vivais, je ne perdis pas un moment. Je m'embarquai sur un frêle navire; je traversai les mers au milieu des vaisseaux de guerre de différentes nations ; je débarquai sur le sol de la patrie, et je n'eus en vue que d'arriver avec la rapidité de l'aigle dans cette bonne ville de Grenoble, dont le patriotisme et l'attachement à ma personne m'étaient particulièrement

connus.

<< Dauphinois! vous avez rempli mon attente. J'ai supporté, non sans déchirement de cœur, mais sans abattement, les malheurs auxquels j'ai été en proie il y a un an. Le spectacle que m'a offert le peuple sur mon passage m'a vivement ému; si quelques nuages avaient pu arrêter la grande opinion que j'avais du peuple français, ce que j'ai vu m'a convaincu qu'il était toujours digne de ce nom de grand peuple, dont je le saluai il y a plus de vingt ans.

<< Dauphinois ! sur le point de quitter vos contrées pour me rendre dans ma bonne ville de Lyon, j'ai senti le besoin de vous exprimer toute l'estime que m'ont inspirée vos sentiments élevés. Mon cœur est tout plein des émotions que vous y avez fait naître; j'en conserverai toujours le souvenir.

<< Napoléon. >>

il ne leur parle que des droits du peuple, de l'égalité et de la liberté. Ce n'est plus ici l'empereur de 1810, à l'époque de son mariage; il s'est modifié, il caresse la révolution qui lui impose sa force et son esprit. Sera-t-il dominé par elle, ou bien enchaînera-t-il encore une fois cette souveraine populaire, qu'il avait foulée aux pieds en ceignant le bandeau impérial?

CHAPITRE VII.

PRÉPARATIFS DU GOUVERNEMENT ROYAL CONTRE

BONAPARTE.

Surprise et sentiments divers à la nouvelle du débarquement de Bonaparte. Sécurité. Résolution du conseil.

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Départ du comte d'Artois et du duc d'Orléans pour Lyon. Ordres aux préfets. Estafette au duc d'Angoulême à Bordeaux. Convocation des chambres. — Mise hors la loi de Bonaparte. Rapprochement entre les patriotes et les royalistes. Salon de madame de M. Benjamin Constant. Adresses des pouConspiration militaire. Les généraux

Staël.
voirs.
Drouet, Lefebvre-Desnouettes et Lallemand.

Démis

sion du maréchal Soult. Le général Clarke, ministre Formation des camps de résistance.

de la guerre.

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Le maréchal Ney et Louis XVIII. — État

5 au 12 mars 1815.

Le 5 mars au matin, une dépêche télégraphique, transmise par le préfet de Toulon aux autorités de Lyon, annonça le débarquement de Bonaparte au golfe Juan. Une seconde dépêche, un peu plus détaillée,

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