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les bases d'un royaume hollando-belge, sous la maison d'Orange, si intimement liée à la famille souveraine de la Grande-Bretagne. La constitution d'une nouvelle couronne comprenant la Hollande et la Belgique, sous la protection de l'Angleterre, était comme une barrière à toute invasion des Français, et à ce que ses vieux diplomates appelaient l'ambition de la maison de Bourbon depuis Louis XIV (1). L'Angleterre n'avait jamais perdu de vue les provinces de la Flandre française, politique vieille comme les conquêtes du prince Noir dans la Guyenne et les temps. où Henri VI régnait à Paris. Le royaume des Pays-Bas fut donc une conception tout anglaise.

Quant aux possessions de la rive gauche du Rhin, les cabinets de Vienne et de Berlin devaient les faire servir comme indemnités pour les sacrifices territoriaux que les princes d'Allemagne seraient obligés de faire aux grandes puissances. La Prusse, ne recouvrant pas toutes ses populations au centre de l'Allemagne et dans la Pologne, voulait s'allonger en poussant ses avant-postes au delà du Bas-Rhin, point militaire qui s'appuyait sur la forte constitution des Pays-Bas; le Wurtemberg et la Bavière, obligés à quelques sacrifices territoriaux au profit de l'Autriche, devaient trouver une indemnité dans les pro

(1) Chatam disait : « Que deviendrait l'Angleterre si elle était toujours juste envers la France? Craignez, réprimez la maison de Bourbon,» disait-il encore dans la séance mémorable (1764) relative aux troubles des colonies américaines et au bill du timbre.

vinces rhénanes (1), et sur ce point, à l'avantage du système allemand, se joignait une condition stratégique d'une certaine puissance d'avenir contre la France; il était important d'intéresser l'Allemagne au maintien de la circonscription actuelle des États en Europe. La France avait naguère débordé sur tout le continent, on lui opposait une ceinture, non pas d'États de premier ordre, mais de petites puissances neutres liées au système fédératif de l'Allemagne; la France devait désormais respecter ce système, ou bien

(1) Au mois de juillet 1814, le prince de Metternich et le comte de Wrede signèrent une convention par laquelle la Bavière cédait à l'Autriche le Tyrol, la principauté de Salsbourg, l'Innwertel, sauf quelques bailliages, et recevait en échange le grand-duché de Wurtzbourg et la principauté d'Aschaffenbourg. Le monarque bavarois se mettait en outre en possession des pays situés entre la rive gauche du Rhin, la rive droite de la Moselle et les nouvelles frontières de France, à l'exception de la place de Mayence, confiée à la garde d'une garnison autrichienne et prussienne. La cour de Vienne promettait ses bons offices pour faire donner à la Bavière Mayence et le Palatinat du Rhin, ainsi que pour lui obtenir de la Russie, de la Prusse et de l'Angleterre la garantie de ses possessions présentes et futures. La Belgique fut réunie à la Hollande et remise au roi Guillaume, le 3 juin, par le général baron de Vincent, qui provisoirement la gouvernait. Tel était le prix des riches colonies hollandaises que la Grande-Bretagne conservait (Ceylan et le cap de Bonne-Espérance); et ce n'étaient pas encore là toutes les charges du nouveau royaume, car la Russie le grevait en outre de 30 millions de florins qu'elle avait empruntés, et l'Angleterre exigeait la construction, contre la France, d'une ligne de forteresses à laquelle elle ne contribuait que pour deux millions sterling. L'Autriche rentrait dans ses possessions d'Italie; le grand-duc de Wurtzbourg dans le grand-duché de Toscane. Gênes, rendue à lord Bentinck

toute la Germanie prendrait les armes. Richelieu, Louis XIV, et après eux Napoléon, avaient conquis en Allemagne plus d'un auxiliaire fidèle à la cause française; or le but de la constitution conçue par les cabinets de Vienne et de Berlin fut de créer partout des idées et des intérêts hostiles à la France; tous les gouvernements de l'Allemagne étaient naguère pour nous, ils durent se tourner contre nous. Il se constitua une longue ligne d'États intermédiaires, qui, partant de la Belgique, passait par la Prusse rhénane jusqu'aux territoires de la Bavière et du Wurtemberg, sur la rive gauche du Rhin; puis s'étendant vers la Suisse, cette ligne allait chercher le Piémont et expirait aux Alpes méditerranéennes, vers Nice, jusqu'à la vieille république de Gênes, donnée à lạ Savoie. Aucun grand État ne se trouvait en contact avec la France, si ce n'est la Prusse; désormais nous. ne pouvions insulter une seule puissance sans qu'aussitôt l'Europe entière s'ébranlât; on détruisait l'œuvre d'influence créée par Richelieu en Allemagne et par Mazarin en Italie.

Dans ce vaste plan réalisé par la haute pensée des hommes d'État, tels que le prince de Metternich, le baron de Hardenberg, lord Castlereagh et le comte

sous promesse d'indépendance, allait être livrée au roi de Sardaigne, rétabli dans ses États. L'impératrice Marie-Louise prenait possession de Parme, qui lui était assignée par le traité de Fontainebleau. Mais le souverain pontife n'avait pas encore recouvré les légations, et des démêlés sérieux pouvaient avoir lieu dans la solution des deux questions de Saxe et de Pologne. Cependant les souverains et leurs

de Nesselrode, l'Angleterre tenait une large place, quoiqu'elle ne s'assurât pas des conquêtes réelles sur le continent: sauf le Hanovre qu'elle faisait restituer à sa maison régnante, elle n'avait pas de possessions territoriales sous sa suzeraineté immédiate. D'après son système habituel, ce n'était point à la domination matérielle du continent que l'Angleterre visait, mais à son influence morale sur toutes les grandes questions. Or la reconstitution de l'Europe lui donnait des points de contact du nord au midi; le royaume hollando-belge était son ouvrage, la maison d'Orange demeurait dans sa vassalité; à aucun prix elle ne pouvait s'en séparer. Par la Prusse et le Hanovre, l'Angleterre se réservait toute influence sur l'Allemagne; l'Autriche devait naturellement chercher en elle un équilibre pour se maintenir dans une juste balance contre la Russie. Au midi, le Portugal et la maison de Bragance étaient sous son entière domination; les campagnes du duc de Wellington lui avaient créé une influence inévitable en Espagne. Que désirer de plus? L'Angleterre était habituée à faire battre les autres peuples dans son intérêt.

Le plus notable résultat de la politique anglaise lans sa lutte avec Napoléon, c'était l'agrandissement

ministres, réunis à Londres, traitaient de la réconciliation de l'Espag gne et du Danemark, et opéraient des échanges entre la Prusse et les deux branches royale et ducale de Nassau. Mais la pacification de l'Europe n'était pas entièrement et généralement assurée, vu les difficultés qui s'opposaient encore à la main-mise de la Suède sur la de Norwége.

couronne

démesuré de son système colonial; dans la Méditerranée, elle gardait Gibraltar, Malte et les îles Ioniennes ; dans l'Amérique, elle restait maîtresse d'une masse considérable de colonies françaises, danoises ou hollandaises; elle avait ses stations marquées jusque dans l'Inde par le cap de Bonne-Espérance, l'ile de France et Ceylan; cette Inde était une possession magique, une création gigantesque; l'influence française y était complétement effacée. Qu'étaient devenus les temps du Bailli de Suffren, de Lamothe-Piquet, du comte d'Estaing? Louis XVI avait expié sur l'échafaud ses nobles sentiments de nationalité anti-anglaise; jamais la Grande-Bretagne ne lui avait pardonné d'avoir lutté vigoureusement contre elle, en relevant de tout son éclat la marine de France et le système colonial.

Ce qu'il faut remarquer dans l'histoire diplomatique de cette époque, c'est que la plupart de ces questions territoriales avaient été discutées et résolues même en pleine campagne, lors du congrès de Châtillon et avant la chute de l'empire (1). Depuis la bataille de Brienne, la cause de Napoléon était perdue; il pouvait y avoir encore quelques éclairs de victoires, mais la coalition avait de telles masses de forces qu'elle devait nécessairement vaincre; dès lors, elle s'occupa de partager par avance les territoires conquis; elle considérait la chute de Napoléon comme déjà accomplie.

(1) Le traité de Kalisch fut expliqué et développé dans la conférence secrète de Châtillon.

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