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CHAPITRE XI.

L'EMPEREUR A PARIS.

ORGANISATION DE SON

GOUVERNEMENT.

Napoléon à Fontainebleau. — Messages de Paris. — M. Lava

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taire et du parti bonapartiste. Causeries du soir.

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- Carnot. Refus de M. Molé. M. de Caulaincourt. —

M. Maret. Les autres ministres.

Plan de gouvernement.

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Le conseil d'État. Fusion des partis bonapar

Refus de service.

Changement

dans les positions. MM. de Montalivet et Molé.

général Savary.

Carrousel.

Le

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Adresses des ministres et du conseil d'État. Déclaration de principes. — Embarras de Napoléon. — Faute de n'avoir point saisi la dictature.

18 au 24 mars 1815.

L'aspect de Fontainebleau, après une émigration de onze mois, n'avait pas produit sur Napoléon une impression de tristesse, ou soulevé dans son âme de

mélancoliques souvenirs; les intimes confidents qui entouraient sa personne parurent même s'étonner de sa gaieté presque enfantine en parcourant les appartements décorés par le Primatice et les jardins magnifiquement dessinés. On aurait dit qu'il avait complétement oublié la scène de l'abdication, ces drapeaux voilés, ces soldats en pleurs, les commissaires des alliés entourant sa personne; il causa légèrement sur tout ce qui se passait autour de lui, parlant comme un simple amateur de ces admirables paysages, de ces belles pièces d'eau où se mirent les cygnes, et de cette forêt immense, qui se dessine comme une masse noire sur l'horizon. L'empereur voulait montrer sa pleine sécurité.

C'est que Napoléon avait de vifs sujets de contentement et de joie qui absorbaient toutes les autres impressions; depuis son arrivée à Fontainebleau, les émissaires de Paris se succédaient avec rapidité, on ne se gênait plus; aux premières terreurs du parti bonapartiste avait succédé une pleine confiance, une véritable ivresse; le 20 au matin étaient arrivés à Fontainebleau les émissaires de M. de Lavalette, des courriers de madame Hamelin annonçant à Napoléon le départ du roi et de la famille des Bourbons; les Tuileries étaient vides; on n'attendait plus que lui pour en remplir la grande place : « qu'il se hatât de venir, le gouvernement tomberait dans ses mains sans résistance, et il n'y avait plus qu'à se porter rapidement sur la capitale. »

La situation de Paris le 20 mars au matin était

curieuse (1); il n'y avait plus d'autorité constituée; le drapeau blanc flottait encore aux Tuileries, mais aucun défenseur ne se groupait autour de cette enseigne de la vieille monarchie; à deux heures le général Excelmans la fit brusquement enlever et remplacer par le drapeau tricolore; tout cela s'exécuta en silence, sans acclamations et sans joie. M. Réal allait en même temps prendre possession de la police; M. de Lavalette se rendait aux postes pour en expulser M. Ferrand (2), il se fit accompagner par le géné

(1) Le 21, la première ligne du Moniteur était ainsi conçue: «Le roi et les princes sont partis dans la nuit. » Puis il continuait ainsi : « S. M. l'empereur est arrivé ce soir dans son palais des Tuileries. Il est entré à Paris à la tête des mêmes troupes qu'on avait fait sortir ce matin pour s'opposer à son passage. L'armée qui s'était formée depuis son débarquement, n'avait pas pu dépasser Fontainebleau. Sa Majesté a passé sur sa route la revue de plusieurs corps de troupes. Elle a marché constamment au milieu d'une immense population qui partout se portait au devant d'elle. >>

(2) M. de Lavalette avait pris possession de l'hôtel des Postes le 20 mars au matin, et il avait adressé à tous les directeurs la circulaire suivante :

« L'empereur sera à Paris dans deux heures et peut-être avant. La capitale est dans le plus grand enthousiasme; et, quoi qu'on puisse faire, la guerre civile n'aura lieu nulle part. Vive l'empereur !

« Le conseiller d'État, directeur général des postes.

« Signé, Lavalette. »

M. de Lavalette avait fait appeler les chefs de division et expédié un courrier à Fontainebleau avec une lettre pour Napoléon; il avait mis obstacle au départ de M. Ferrand, directeur général sous le gouvernement légitime; il avait suspendu le départ de tous les journaux, et particulièrement du Moniteur et de toutes les dépêches ministérielles.

ral Sébastiani, sous le simple prétexte de savoir des nouvelles; mais par le fait les postes furent sous sa main. Madame Ferrand se jeta en vain à ses genoux afin d'obtenir des chevaux pour son mari; M. de Lavalette refusa en disant qu'il était sans pouvoirs. Ces interrègnes d'autorité se sont souvent reproduits dans l'histoire politique de Paris.

Des dépêches pressantes et multipliées de ses amis déterminèrent Napoléon à modifier son itinéraire et à précipiter sa marche sur Paris; il avait décidé d'abord qu'il coucherait à Essonne, et partant de là le 21 mars, il devait faire son entrée en plein jour, précédé d'un long cortege, comme un prince arrivant d'un long voyage et attendu par son peuple. Il changea l'ordre de sa marche; il dut arriver le soir à Paris, la nuit même s'il le fallait; plusieurs motifs le déterminérent d'abord il devait paraitre aux Tuileries en toute hâte pour empêcher les patriotes de former un gouvernement provisoire sans lui, ce qui aurait embarrassé considérablement le parti bonapartiste; le second motif venait de ce qu'on n'était rien moins que certain du bon esprit de la population bourgeoise de Paris; la capitale était triste, fatalement préoccupée, elle ne voyait point l'arrivée de l'empereur avec joie, car Napoléon c'était la guerre, c'était recommencer ces vingt années de travaux pénibles, de sueurs, de tristesse, dont la génération actuelle portait la fatale empreinte; une entrée solennelle n'aurait été accueillie que du bas peuple et des soldats. Que fallait-il d'abord? s'emparer du gouvernement;

la popularité viendrait après les actes par la puissance et l'éclat du nom de l'empereur.

Napoléon partit de Fontainebleau à deux heures; avec la rapidité habituelle de ses voyages, le trajet ne devait pas durer plus de quatre heures; la route est belle, et l'on savait comment l'empereur aimait à marcher dans l'espace. On mit pourtant sept heures pour faire ce trajet. A chaque relais, Napoléon recevait les estafettes de Paris, des généraux accouraient au-devant de lui pour presser sa main glorieuse, des troupes se précipitaient avec ivresse sur son passage; il fallait saluer les drapeaux, donner à tous des encouragements, des espérances, lire les dépêches, préparer les éléments d'un nouveau système. Enfin, je le répète, Napoléon ne voulait point entrer de jour; il avait crainte de la tiédeur parmi la bourgeoisie, du peu d'éclat de cette entrée souveraine; les cris des soldats ne lui suffisaient pas : s'il était glorieux de sa propre armée, il voulait donner à son triomphe une empreinte civile, et la tristesse était au cœur de la bourgeoisie. A huit heures du soir, quelques voitures de l'empereur touchèrent la barrière. Le temps était froid comme il arrive souvent au 20 mars; on traversa rapidement Paris, quelques cris retentirent çà et là, mais aucune manifestation éclatante ne se fit entendre. Quand l'horloge des Tuileries marqua huit heures quarante minutes, les voitures entrèrent dans la cour, toute remplie d'une foule enthousiaste de jeunes hommes, d'officiers. Ici les transports éclatèrent avec violence, la joie la plus vive se manifesta;

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