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L'histoire contemporaine a donné le nom de Cent Jours à la période qui s'écoula du 20 mars à la seconde restauration de Louis XVIII. Cette dénomination n'est point le résumé d'une idée philosophique, le résultat d'une classification de partis; elle est venue d'une simple phrase de compliment que le préfet de la Seine, M. de Chabrol, adressa le 8 juillet 1815 au roi Louis XVIII à son retour dans la capitale; il appela Cent Jours le temps d'absence de la maison de Bourbon, et ce mot est resté dans la langue historique.

A vrai dire, cette définition n'est exacte ni pour l'expression, ni pour la pensée; la révolution qui ramena Bonaparte sur le trône embrasse une période plus large; elle commence dès le mois d'octobre 1814, et malheureusement elle ne fut pas terminée à la seconde rentrée de Louis XVIII à Paris. Une révolution n'éclate pas tout à coup; elle vient de loin,

CAPEFIGUE.

-T. I.

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elle porte ses fruits plus loin encore. Il arrive souvent qu'un gouvernement existe avec des conditions de mort; il doit périr, c'est sa destinée; il est comme les êtres fabuleux dont parle l'Arioste, qui vivent et marchent quelques instants la tête coupée. Ainsi, dès le mois d'octobre 1814, la restauration portait en elle-même les conditions d'une ruine certaine; la conspiration morale était partout, la vieille société n'était pas assez puissante pour se substituer à la nouvelle. Il arriva donc une de ces résistances invincibles des idées, des instincts et des passions; or les complots de tous sont les plus terribles, ils expliquent la marche rapide, miraculeuse, de Napoléon, depuis le golfe Juan jusqu'aux Tuileries.

Cette folie glorieuse porta des fruits amers, elle fut bien fatalement payée; les traités de 1815 en furent les plus funestes résultats, et ces traités enlevèrent à la France sa puissance morale dans les transactions européennes; et comme complément, on eut encore la réaction du parti vainqueur. Sous le point de vue diplomatique, cet immense et fatal événement des Cent Jours créa la position d'isolement qui nous place au milieu de l'Europe sans alliances, sans possibilité même d'obtenir une situation prépondérante dans les questions de remaniements de territoire et de peuples. La croisade qui fut prêchée contre Napoléon habitua les cabinets à se liguer tous contre nous, et à ne plus nous comp

ter que comme un danger; car en diplomatie, pour que les États viennent à vous, il faut que par vos formes sociales, vos idées, vos prédications politiques, vous ne blessiez pas trop profondément leur principe d'existence.

La restauration de 1814 avait eu pour effet de nous réconcilier avec l'Europe. La force du nom de France, l'habileté de M. de Talleyrand au congrès de Vienne, avaient créé pour la maison de Bourbon des alliés naturels et une situation politique considérable; M. de Talleyrand s'était assis avec hauteur et hardiesse comme le représentant de la monarchie de Louis XIV. Après les grandes ruines de 1813 et 1814 et le traité militaire de Chaumont, c'était un résultat que la convention secrète du mois de février 1815, signée par M. de Talleyrand, lord Castlereagh et M. de Metternich, qui, divisant la coalition, plaçait l'Autriche, l'Angleterre et la France sous une commune bannière, contre la Russie et la Prusse, dans la question de Saxe et de Pologne. Au congrès de Vienne, nous avions rallié la moitié au moins des puissances qui, dans la fatale campagne de 1814, marchaient contre

nous.

L'événement des Cent Jours bouleversa cette œuvre ; l'Europe s'habitua désormais à ne plus traiter avec nous que par les coalitions; aucune puissance ne voulut croire à notre grande destinée de

peuple, à la durée de nos gouvernements, à la fixité de nos idées; toutes les questions particulières devinrent par le fait européennes tous se mirent contre un seul; la France fut placée en dehors du droit commun, ce ne fut qu'au congrès d'Aix-laChapelle, sons le duc de Richelieu, qu'elle se replaça dans une position un peu indépendante; et encore les méfiancès ne s'éteignirent pas, au premier signal elles reparurent. Aujourd'hui, la politique d'isolement est devenue une sorte de droit public; et cependant notre histoire nous montre que les vastes et durables conquêtes de la France sous les Bourbons, les seules enfin qui nous restent, s'opérèrent autant par la diplomatie des traités que par l'éclat et le bruit des batailles.

A la monarchie de Louis XIV, avec ses alliances d'intérêt et de famille, a succédé une position à part, qui habitue les cabinets à ne plus compter la France que comme une cause terrible d'agitations et de troubles. Notre grande force de peuple, notre puissance de civilisation, notre union sociale et administrative leur fait peur. Ils prennent à notre égard des précautions inusitées ; nul ne nous tend la main, alors même que des intérêts communs nous rapprochent.

A notre tour, il a été de convention parmi nous de ne plus parler de l'étranger qu'avec un sentiment d'irritation et de haine; nous ne respectons ni les

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