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mœurs, ni les gouvernements, ni les coutumes. Autrefois, nous étions aussi patriotes qu'aucune nation du monde, et la preuve, c'est qu'en deux siècles la France avait acquis sept provinces, sans comprendre la Corse; mais comme il nous fallait des alliés, des amis, des confédérés, nous avions au moins l'habileté de ne pas insulter tous les cabinets à la fois; il y avait des usages, une politesse universelle, même avec l'ennemi; il y avait certains principes respectés par le gouvernement et les peuples; on ne jouait pas avec les dynasties, les formes sociales et les nationalités des États de l'Europe; on ne menaçait pas de jeter des principes désorganisateurs au monde entier. Il faut une immense sagesse à ceux qui gouvernent notre pays, pour se mettre audessus de ces mauvaises passions qui grondent autour d'eux, et c'est là une des difficultés de tous les hommes politiques qui ont sérieusement passé à travers les affaires de France.

les Cent Jours pro

Sous un autre point de vue, duisirent un déplorable effet sur l'esprit et le caractère national. J'admire souvent cet enthousiasme qui poussa les vieilles légions à saluer leur César quand il parut sur le rivage du golfe Juan; j'aime ces grands coups d'imagination qui saisissent et entraînent les âmes ardentes; mais peut-on se dissimuler qu'il y eut dans cet oubli de la foi jurée à la restauration, un caractère de parjure déplorable, une altération

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profonde de l'honneur national? Quel spectacle que ces serments violés du jour au lendemain ! ces protestations de fidélité de la veille, et ces déclamations du jour qui les suit! Notre nation était illustre surtout par cette religion de la parole qui ne promettait jamais en vain. Il y avait je ne sais quoi de loyal et de chevaleresque qui relevait et moralisait le caractère du peuple; les Cent Jours furent une raillerie si profonde du Décalogue de l'honneur et de la loyauté, que le caractère national dut en éprouver une fatale atteinte. Je voudrais effacer du Moniteur ces adresses de l'armée à Louis XVIII, ces serments des généraux, si promptement suivis de ces proclamations où les mêmes hommes vouent la race des Bourbons aux mépris de la postérité.

Que devenaient la sécurité des gouvernements, le principe de leur durée, avec des soldats qui passaient d'un régime à un autre par un tumulte des camps? Que devenait l'antique loyauté française, en présence de ces grandes moqueries du serment? Il ne faut pas croire que les idées, une fois jetées aux vents des passions, ne portent pas leurs fruits. Si, aujourd'hui, nul n'a foi dans les principes qui gouvernent les hommes, à qui faut-il s'en prendre? S'il y a un abaissement général des caractères, la source n'en est-elle pas dans cette décadence si rapide des droits, des principes de la morale, et de tout ce qui fait les fondements de la sociabilité humaine?

Les Cent Jours firent ainsi une large brèche à notre position en Europe, ils portèrent une atteinte profonde à cette noblesse de sentiment qui caractérisait l'esprit français; vieil esprit, si l'on veut, mais qui brille comme une belle escarboucle dans les reliquaires de la monarchie. Cet esprit d'honneur nous avait faits grands en Europe, parce qu'il avait la même universalité que notre langue.

Quelques autres leçons sont à recueillir encore de l'époque dont il va être parlé dans ce livre : c'est surtout le mal que peut faire à un pays une assemblée politique mal éclairée et parleuse. Je ne sache rien de plus médiocre que la chambre des représentants aux Cent Jours : elle sera la condamnation de toute tribune dans les temps de crise, pour un peuple comme le nôtre, jaloux des supériorités qui le blessent, amoureux des médiocrités qui le flattent. La chambre des représentants fut le véritable type du gouvernement représentatif, placé sous l'influence des flasques idées de M. de Lafayette et des utopies de la constituante. La chambre des représentants, au lieu de s'occuper de repousser l'ennemi, disserta sur les constitutions et sur les garanties, puérilités à la mode; elle laissa paisiblement envahir le territoire sans donner force et appui à Napoléon.

Il aurait fallu, avant comme après Waterloo, une immense dictature; ceux qui avaient renversé les Bourbons, le symbole de la paix, devaient placer

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toutes les forces nationales dans les mains de l'empereur, l'expression de la guerre. Il n'y avait pas de milieu entre ces deux systèmes. La chambre des représentants ne comprit rien à ces grandes idées ; elle fit tout le mal qu'une mauvaise assemblée peut faire à un pays; sa politique, son opposition furent déplorables; elle se montra haineuse sans courage, déclamatoire sans patriotisme, et par-dessus tout ignorante et niaise; assez niaise pour être mystifiée par Fouché, assez ignorante pour ne pas savoir que puisqu'elle avait renversé Napoléon par une étroite vengeance, elle devait rappeler Louis XVIII par nécessité.

Au fond, je ne sache pas d'époque plus curieuse, plus immense dans ses résultats que les Cent Jours. Il y a dans l'histoire des temps qui ont plus de grandeur; mais je ne crois pas que dans une période aussi resserrée il se soit jamais passé des faits d'une si haute portée. Voyez d'abord cette marche dramatique, miraculeuse, de Bonaparte du golfe Juan à Paris; un gouvernement qui tombe devant un simple battement de l'aigle, et bientôt ce système militaire qui s'établit et se brise à son tour dans l'espace de trois mois; puis une bataille sanglante où luttent les vieilles armées de l'Europe; enfin, une chambre qui achève ce que l'ennemi a si fațalement commencé.

Napoléon seul apparaît comme le véritable héros

de ce drame, il passe comme un météore terrible qui brûle et laisse de fatales empreintes. Cette fin de carrière est merveilleuse, mais l'histoire de l'empereur et de l'empire est finie. Ainsi, chacun porte en lui-même son poëme épique plus ou moins grand, plus ou moins élevé. Les Cent Jours sont le dernier chant de l'épopée impériale, et le coup de tonnerre du Jupiter ancien éclate pour la dénouer.

J'ai besoin de dire que je vais toucher à des vies qui s'agitent encore autour de nous, à des événements dont nous portons encore la conséquence. J'ai un trop grand respect du caractère humain pour jamais écrire de ces pamphlets sur les hommes ou sur les choses, pauvres écrits qui passent avec les passions qui les ont inspirés! Les austères puritains qui écrivent les biographies ne pardonnent ni les faiblesses, ni les oublis, ni la force des événements, ni l'empire des circonstances; eux sont si purs, si affranchis de tout contact terrestre, qu'ils n'accordent même pas l'indulgence que Dieu sait accorder. A ceux-là, je laisse la mission d'écrire de grandes déclamations de vertu et de patriotisme; pour moi, je ferai toujours la part des tristesses de notre nature, et de la fatalité des événements.

Ce livre a surtout pour objet de pénétrer les causes qui ont amené les Cent Jours et les circonstances qui ont préparé leur fin. Je dirai la vérité sur cette

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