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X. JOUR.

Jésus-Christ est le grain de froment. Les membres doivent mourir comme le chef. Joan. xII. 25.

POUR entendre la nécessité qui étoit imposée à tous les membres de mourir pour fructifier, il suffisoit d'avoir aperçu cette vérité dans le chef. Mais de peur que nous ne vissions pas assez tôt cette consé. quence, Jésus-Christ nous la découvre lui-même. Qui aime son ame, dit-il (1), la perd. C'est la perdre que de l'aimer: c'est la perdre que de chercher à la satisfaire. Il faut qu'elle perde tout, et qu'elle se perde elle-même, qu'elle se haïsse, qu'elle se refuse tout, si elle veut se garder pour la vie éternelle. Toutes les fois que quelque chose de flatteur se présente à nous, songeons à ces paroles: Qui aime son ame la perd. Toutes les fois que quelque chose de dur se présente, songeons aussitôt : Haïr son ame, c'est la sauver. Périsse donc tout ce qui nous plaît; qu'il s'en aille en son lieu en pure perte pour nous.

Hair son ame! Peut-on haïr son ame sans haïr tous ses avantages et tous ses talens naturels : et peut-on s'en glorifier quand on les hait? Mais peut-on ne les pas haïr, quand on considère qu'ils ne servent qu'à nous perdre dans l'état d'aveuglement ou de foiblesse où nous sommes? Gloire, fortune, réputation, santé, beauté, esprit, savoir, adresse, habi(1) Joan. x11. 25.

leté, tout nous perd: le goût même de notre vertu : il nous perd plus que tout le reste.

Il n'y a rien que Jésus ait tant répété, et tant inculqué que ce précepte. Qui trouve son ame, la perd qui perd son ame, la trouve (1). C'est ce qu'il recommande encore en un autre endroit du même Evangile. Qui cherche à sauver son ame, perdra, dit-il ailleurs : qui la perdra, lui donnera la vie (2). Il se sert encore ailleurs du mot de haïr. Il faut, dit-il (3), tout haïr, si on veut être mon disciple, père, mère, frères, sœurs, femme et enfans, et sa propre ame.

Entendons la force de ce mot, haïr. Si les choses de la terre et de cette vie n'étoient que viles et de nul prix, il suffiroit de les mépriser; si elles n'étoient qu'inutiles, il suffiroit de les laisser là; s'il suffisoit de donner la préférence au Sauveur, il se seroit contenté de dire comme il fait ailleurs: Si on aime ces choses plus que moi, on n'est pas digne de moi (4). Mais pour nous montrer qu'elles sont nuisibles, il se sert du mot de haine. De ce côté-là il faut tout haïr, en tant qu'il peut s'opposer à notre salut.

Entendons encore le courage que demande le christianisme. Tout perdre jeter tout là. Cette vie est une tempête; il faut soulager le vaisseau quoi qu'il en coûte; car que sert de tout sauver, si soimême il faut périr? Voyez ce marchand, qui dispute s'il jettera dans la mer ces riches balots. Aveugle, tu les vas perdre, et te perdre encore toi-même par-dessus.

(1) Matth. x. 39. XVI. 25. — (2) Luc. XVII. 33.— (3) Ibid. xiv. — (4) Matth. x. 37.

16.

XI. JOUR.

Suivre Jésus à l'humiliation, à la mort. Joan. XII. 26.

CELUI qui me veut servir, qu'il me suive (1); qu'il m'imite, qu'il soit avec moi, qu'il passe par les mêmes voies: mon Père l'honorera à ce prix, comme il m'a honoré moi-même. Il a fallu tout perdre, tout abandonner, tout prodiguer, tout haïr. Marche après moi, chrétien, si tu veux arriver où j'arrive. Marchez, Jésus, je vous suis. En aurai-je le courage? Hélas! vous me dites comme à Pierre : Tu ne peux pas encore me suivre : mais tu me suivras dans la suite (2). O Sauveur! je ne dirai pas que je vous suivrai partout je n'ose le dire je sens ma foiblesse. J'en ai le désir : aidez ma volonté foible : inspirez-moi une volonté forte et courageuse.

Voyez comme Jésus donne lui-même à son entrée triomphante le caractère de mort. C'étoit sa coutume: dans la gloire, il rappeloit toujours la mort. Ainsi dans le Thabor même, où il fut enlevé et transfiguré d'une manière si admirable, Moïse et Elie qui étoient venus l'honorer en cet état, et s'entretenoient avec lui, ne lui parloient que de la manière dont il devoit sortir de ce monde dans Jérusalem (3), en accomplissant toutes les anciennes prophéties, et toutes les figures de la loi. Et en sortant de cette gloire, il n'est plein que de sa mort, et il défend à ses disciples de parler de ce qu'ils

(1) Joan. x11. 26. — (2) Ibid. x. 36.

(3) Luc. IX.

31.

avoient

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avoient vu, jusqu'à ce qu'il fût ressuscité des morts (1). Il falloit donc mourir : et c'est ce qu'il vouloit que l'on comprît bien, afin qu'on vît le chemin qu'on avoit à suivre après lui, pour arriver à la résurrection et à la gloire.

Accoutumons-nous, à l'exemple de Jésus, dans tout ce qui nous flatte de rappeler toujours en notre esprit, le plus vivement que nous pourrons, la pensée de la mort. Mais accoutumons-nous à joindre toujours ces deux idées : gloire et plaisir de la terre, éternelle confusion; et encore ces deux-ci, croix et mortification, gloire et félicité éternelle. C'est à force d'y penser souvent, qu'on joint ensemble des idées qui paroissent si éloignées l'une de l'autre mais plutôt c'est à force d'entrer dans cette pratique. Il faut faire autant qu'on peut violence aux sens, de peur qu'ils ne prévalent et ne nous séduisent.

:

XII. JOUR.

Caractère d'humiliation et de mort dans le triomphe de Jésus. Le trouble de son ame est notre instruc-” tion, et notre remède. Ibid. 27, 28.

JÉSUS continue à donner à son entrée glorieuse le caractère d'humiliation et de souffrance. Maintenant mon ame est troublée (2). Quoi, troublée de votre gloire, dont vous venez de dire: L'heure est venue que le Fils de l'homme va étre glorifié (3)?

(1) Matth. xv11. 9.— (2) Joan. x11. 27. — (3) Ibid. 23.

BOSSUET. IX.

I I

Pourquoi ? sinon, parce qu'il voyoit, comme on vient de dire, sa gloire unie à son supplice: supplice si rigoureux et si plein d'opprobre, qu'il dit lui-même à son approche: Maintenant mon ame est troublée. Voici le commencement de son agonie de cette agonie qu'il devoit souffrir dans le jardin des Olives: de ce combat intérieur où il devoit combattre contre son supplice, contre son Père en quelque façon, et contre lui-même. Mon Père, si vous voulez s'il se peut: non ma volonté, mais la vôtre (1). Voilà donc à ce coup une volonté dans le Fils, opposée en quelque façon à la volonté de son Père. Elle lui cède, il est vrai; mais elle est : elle se fait sentir au Sauveur : elle se déclare jusqu'aux yeux du Père céleste.

:

O Jésus, mon ame est troublée de votre trouble! A qui sera notre recours, si vous êtes troublé vousmême, vous que nous réclamons dans notre infirmité? C'est le mystère : il nous porte en soi il transporte sur lui-même notre trouble, et le porte dans sa sainte ame. Notre infirmité est passée à lui et c'est ainsi qu'il nous fortifie; premièrement, par l'exemple qu'il nous donne; secondement, par la force qu'il nous mérite.

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Par l'exemple: car s'il n'avoit senti cette répugnance naturelle à la mort, et cette horreur naturelle de la douleur et du supplice, nous n'apprendrions pas de lui à dire dans nos douleurs : Votre volonté soit faite, et non la mienne. Cette instruction nous manqueroit.

Par le mérite s'il ne souffroit pas, il n'offriroit

(1) Matth. xxvi. 39.

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