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eut tenu ce pressant discours, Azarias, et Johanan, et les autres superbes lui dirent: Vous mentez : le Seigneur ne vous a point envoyé, et ne nous a point défendu d'aller en Egypte; mais Baruch vous irrite contre nous, pour nous livrer aux Chaldéens, et nous faire périr à Babylone (1). Après lui avoir fait cette réponse, ils allèrent tous ensemble en Egypte; et ils arrivèrent à Taphnis, et à Memphis, et à Magdalo, et dans toute la terre de Phaturès et sans se rebuter de leurs injures et de leur désobéissance Jérémie les y suivit avec une patience infatigable, pour les empêcher de périr dans leur idolâtrie. Ils s'obstinèrent à adorer les faux dieux de cette nation infidèle: et le saint prophète vit périr encore ces malheureux restes de Juda, dans le lieu qu'ils avoient choisi pour leur retraite, avec Pharaon Ephrée qui les y avoit reçus (2).

CVII. JOUR.

Dieu rejette l'intercession de ce prophète.

UNE sainte et véritable réflexion se présente ici : Jérémie étoit donné pour intercesseur à ce peuple : il ne cesse de prier pour lui et de détourner, autant qu'il peut, la colère de Dieu de dessus sa tête; mais Dieu ne le veut pas écouter: Moïse et Samuel étoient aussi d'agréables intercesseurs, dont David même avoit chanté le pouvoir par ces paroles : Moïse et

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(1) Jerem. XLIII. 2, 3, 4, 5, 6, 7, et seq. XLIV. I, 2, 3, 4, et seq. · (2) Ibid. 15, 16, 17, 18, et seq. 29, 30.

BOSSUET. IX.

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Aaron sont remarquables parmi ses sacrificateurs : et Samuel est renommé entre ceux qui invoquent son nom: ils invoquoient le Seigneur, et il les écoutoit (1). Mais en cette occasion nous avons vu que Dieu ne vouloit pas les entendre (2). Qu'y a-t-il de plus saint que Noé, qui est sauvé du déluge, afin de réparer le monde perdu, et le genre humain anéanti : que Job, dont la patience a été vantée de Dieu comme un prodige, et qui pour cette raison a été nommé de Dieu comme intercesseur de ses infidèles amis : Allez, disoit le Seigneur, et priez mon serviteur Job de prier pour vous : et je recevrai sa face, afin que votre folie ne vous soit point imputée (3): que Daniel, l'homme de désirs, à qui il envoya son ange pour lui déclarer, que ses vœux pour ses frères, et pour tout son peuple, et pour la sainte montagne, et ce qui est bien plus admirable, pour la venue du Messie, étoient reçus devant Dieu (4) ? Et néanmoins ces trois hommes ne sont pas jugés dignes d'être écoutés pour le peuple juif: c'est Ezechiel qui le dit (5) : Si ces trois hommes, Noé, Daniel et Job étoient au milieu de ce peuple, ils délivreroient leurs ames dans leur justice: dit le Seigneur des armées :..... Mais ils ne délivreront ni leurs fils ni leurs filles: Oui, je le dis encore un coup, ils ne délivreront ni leurs fils ni leurs filles, loin de pouvoir délivrer les étrangers: mais ils seront délivrés seuls : non, Noé, Daniel et Job, je le dis pour la troisième fois, ne délivreront pas leurs propres enfans. Afin que nous entendions, qu'il n'y a qu'un seul saint, et un seul juste,

.....

(1) Ps. XCVIII. 6. (2) Jerem. xv. I. — (3) Job. XLII. 8. — (4) Dan. JX. 21, 22, 23. - (5) Ezech. xiv. 14, 16, 18, 20.

qui étant juste pour lui et pour les autres, sera écouté pour tous. Le frère, disoit le Psalmiste (1), ne rachetera pas son frère : l'homme ne rachetera pas un autre homme, ni n'offrira pour lui une digne propitiation, où le prix de son rachat et de sa vie. Nul ne peut offrir ce prix, que le juste par excellence, et le Saint des saints, qui est non-seulement homme, mais Dieu et homme; qui donnera son ame pour nous, et expiera nos péchés par son sang.

CVIII. JOUR.

Regrets de Jérémie de n'être au monde que pour annoncer des malheurs.

UN des effets les plus remarquables de la douceur et de la bonté de Jérémie, c'est le regret qu'il avoit de n'avoir à annoncer que des malheurs à ses citoyens et à ses frères. Ma mère, disoit-il, malheur à moi pourquoi m'avez-vous enfanté, homme de querelles que je suis, homme de discorde par toute la terre? Je suis séparé de tout commerce: je ne prête à personne, et personne ne me préte : ils me chargent tous de malédiction (2) : et encore avec le transport d'un cœur outré: Maudit soit le jour où je suis né.... Maudit l'homme qui a annoncé à mon Pere, Il vous est né un fils, et qui lui a donné cette joie trompeuse.... Que ne m'a-t-il plutôt donné la mort dans le sein de ma mère, en sorte qu'elle me fút un sépulcre, ou que ne demeurát elle

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grosse éternellement sans enfanter? Pourquoi suis-je sorti de ses entrailles, pour ne voir que peine et que douleur, et passer tous mes jours en confusion (1). (

Ce qui lui causoit ces transports, c'est qu'il voyoit que ses prophéties ne faisoient qu'accroître les péchés du peuple. Dieu lui mettoit dans la bouche des paroles pressantes, comme si le mal alloit arriver: et après, se ressouvenant de ses miséricordes et de sa longue patience, il attendoit de jour en jour son peuple à résipiscence. Ce peuple ingrat abusoit de ses bontés, et insultoit à Jérémie, en lui disant : Où est la parole de Dieu, que vous nous annoncez depuis si long-temps? Qu'elle vienne donc (2). Le saint prophète s'en plaignoit avec amertume : Seigneur, vous m'avez trompé ! Quelle merveille que vous ayez prévalu contre moi! J'ai été en dérision à ce peuple tout le long du jour. Tous m'insultent, el se moquent de mes prédictions: parce que je ne fais que crier iniquité et malheur, et inévitable ravage : et cependant il n'arrive rien; et la parole du Seigneur me tourne en dérision et en opprobre. Et j'ai dit en moi-même: Je ne veux plus me souvenir du Seigneur, ni prophétiser en son nom, ni exposer sa parole à la moquerie, et aggraver l'iniquité de ce peuple. Mais vous êtes toujours le plus fort: cette parole que je voulois retenir dans mon cœur, y a été un brasier ardent ; elle s'est renfermée dans mes os; les forces me manquent, et je n'en puis plus soutenir le poids (5); il faut qu'elle

(1) Jerem. xx. 14, 18. . (2) Ibid. xvII. 15.

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(3) Ibid. xx. 7,

8,9.

sorte. Dieu prévaut de nouveau sur le saint prophète; et après ces agitations il faut qu'il cède.

Les ames prophétiques qui sont sous la main de Dieu, reçoivent des impressions de sa vérité, qui leur causent des mouvemens que le reste des hommes ne connoît pas. Deux vérités se présentent tour à tour à Jérémie : l'une, qu'il falloit annoncer au peuple tout ce que Dieu ordonnoit, quelque dur qu'il fût, et quoi qu'il en coutât, car il est le maître; et qu'il falloit prendre pour cela un front d'airain : l'autre, que prophétiser à un peuple qui se moquoit de la prophétie, à cause que l'effet n'en étoit pas assez prompt; loin de le convertir, c'étoit non-seulement aggraver son crime, et augmenter son supplice, mais encore exposer la parole de Dieu à la dérision et au blasphême. Dans les endroits qu'on vient de voir, Dieu lui imprime cette dernière vérité d'une manière si vive, qu'il ne peut dans ce moment être occupé d'une autre pensée. Car il imprime tout ce qu'il lui plaît, principalement dans les ames qu'il s'est une fois soumises par des opérations toutes-puissantes. A la vérité, quand il veut, il sait bien les ramener à lui, et les tenir sous le joug; mais dans le temps qu'il les veut pousser d'un côté, ils paroissent avoir tout oublié, excepté l'objet dont ils sont pleins. Car Dieu pour certains momens les laisse à eux-mêmes, et aux grâces ordinaires, pour tout autre objet; et pour celui dont il lui plaît de les remplir, l'impression en est si forte, le caractère si vif et si enfoncé dans le cœur, qu'il semble n'y rester plus d'attention, ni de mouvement pour les autres choses, ni aucune capacité de s'y

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