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censure; et il me paraît impossible de donner à sa proposition un caractère irréprochable.

L'orateur n'avait point rédigé de projet de loi ; il a demandé que ce travail fût fait dans les bureaux et la chambre s'est empressée d'accueillir cette proposition.

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Séance du 5.- Le ministère croyait la chambre préparée, par le discours de M. Faure, au rétablissement de la censure; il jugea que le moment était venu de présenter à la chambre un projet de loi sur cet objet; il ne voulut pas attendre celui qu'on préparait dans les bureaux; il craignit que la liberté de la presse n'y fit pas assez étroitement enchaînée, et il se hâta de prendre l'initiative.

Il ne sera pas inutile de dire un mot ici du travail que le ministre de l'intérieur vint soumettre à la chambre. Il est remarquable sous plus d'un rapport; j'ose croire qu'il n'était pas possible de faire une loi plus despotique au fond, ni plus libérale dans la forme. Le législateur a soin de s'y montrer d'abord très-généreux; il pose en principe qu'on pourra imprimer, sans être sujet à aucune espèce de censure préalable, des in-folio, des in-quarto, des ouvrages en 100, en 20, en 10 volumes, et voir même en un seul volume de plus de 500 pag. in-8°. et même encore d'une plus petite épaisseur, s'ils sont écrits en langue morte ou étrangère, s'ils, ne renferment que des prières, des discussions juridiques, des instructions pastorales, etc. ; en un mot, il permet d'imprimer, sans aucune censure, tout ce que

le public ne pourra pas entendre, ou qu'il ne sera pas tenté de lire. Peut-on se montrer plus libéral plus magnifique?

Quant aux ouvrages de trente feuilles et au-dessous, comme les brochures, les pamphlets, et tous les autres écrits qui peuvent piquer un peu vivement la curiosité publique, ils seront censurés, cela est indispensable; le directeur général de la librairie à Paris, et les préfets dans les départemens, peuvent ordonner qu'ils leur soient communiqués avant l'impression. Mais si l'ordre est dur, il faut convenir au moins que la forme en est polie. Pourront ordonner! pourront!.... Potivait-on s'exprimer d'une manière moins impérieuse?

Les manuscrits communiqués seront soumis à un ou plusieurs censeurs; et si deux de ces messieurs jugent que ce sont des libelles infâmes, qu'ils menacent de bouleverser l'Etat, ou d'achever de corrompre les mœurs, et surtout qu'ils sont contraires à F'article 11 de la charte, qui défend de revenir sur le passé, le directeur général de la librairie pourra ordonner qu'il soit sursis à leur impression. Certes, c'était bien le moins qu'on pût faire à l'égard de pareils écrits. A la vérité, messieurs les censeurs pourront trouver tout ce qu'on leur soumettra, diffamatoire, séditieux ou immoral; le moindre mot trop haut ou trop leste pourra devenir, à leurs yeux, un cas pendable pour un livre; mais tranquillisonsnous, ils ne jugeront pas en dernier ressort; il ne sera que sursis à l'impression, on permettra aux

auteurs d'espérer, et quelque vaine que soit cette espérance, il faut convenir qu'il est bien aimable de

-

. Il ne faut oublier de remar

pas

la leur donner. quer que le mot pourra se trouve encore dans cet article. Son Excellence ne sait point se servir de locutions désobligeantes ; elle voudrait qu'un livre fût lacéré et brûlé en place de Grève, par la main du bourreau et sous les yeux de l'auteur, qu'elle trouverait le moyen de donner une forme polie à cette disposition.

Il sera formé, au commencement de chaque session des chambres, une commission chargée d'examiner les sursis prononcés par la censure, et de juger s'ils doivent être maintenus ou annullés. A la vérité, cette révision sera un peu tardive. Si j'ai été calomnié dans un journal ministériel, et que la censure suspende l'impression de l'écrit destiné à me justifier, il pourra bien arriver que je sois tout à fait déshonoré dans le public, quand la commission arrivera pour lever le scellé mis sur mon mémoire justificatif. Mais n'importe, on ne peut disconvenir que l'idée de cette commission ne soit une idée fort libérale. L'article qui l'établit ajoute qu'elle sera composée de trois pa irs,trois députés et trois commissaires du roi. Trois commissaires du roi et trois pairs feront, n'en doutons pas, six commissaires du roi; cela est au moins aussi sûr que l'axiôme vulgaire : Quatre-vingtdix-neuf moutons et un Champenois, etc. Ces commissaires du roi auront évidemment les mêmes intérêts que le directeur de la librairie, qui sera aussi

un commissaire du roi : il est donc à peu près certain qu'ils s'entendront avec lui pour maintenir les arrêts de la censure en dépit des trois députés ; de sorte qu'en définitif, mon mémoire justificatif pourra bien rester éternellement sous le coup. de l'arrêt censorial qui l'aura condamné; mais tout cela est égal; et quoique la Commission n'arrache pas à la censure un seul bon écrit tous les dix ans, je n'en soutiendrai pas moins que l'idée de cette commission est une idée fort libérale.

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Nous venons de dire qu'on pouvait réclamer la faveur de la censure pour les ouvrages au-dessus de trente feuilles : cela est facultatif; mais il est de rigueur, si l'on n'use pas de cette faculté, de décla rer ces ouvrages avant l'impression, et de ne les rendre publics qu'après en avoir déposé deux exemplaires; il est également de rigueur qu'ils contiennent le nom et l'adresse exacte de l'imprimeur. Si ces formalités n'étaient pas scrupuleusement remplies, l'imprimeur serait passible de très fortes amendes, et l'ouvrage imprimé déclaré de bonne prise et confisqué au profit des poêles de la direction de la librairie. Un ouvrage serait également de bonne prise s'il était déféré aux tribunaux pour son contenu; or, comme rien n'est plus aisé que de trouver dans un ouvrage quelconque de quoi verbaliser contre lui et le livrer à la justice, il s'ensuit qu'il n'est pas un livre de plus de trente feuilles d'impression, , que le Gouvernement ne puisse saisir et arrêter; de sorte que la publication des ouvrages de

trente feuilles n'est guère moins difficile que celle des ouvrages moins volumineux. D'un autre côté, il ne peut paraître de journaux, ni aucune autre ess pèce d'écrits périodiques, qu'avec l'autorisation du Roi; de plus, nul ne peut être imprimeur ni lis braire s'il n'est breveté par Sa Majesté, et les imprimeurs ne sout ni héréditaires, ni inamovibles, non plus que les libraires; de plus encore, il est défendu, sous peine d'une amende effrayante, d'avoir des imprimeries secrètes; enfin, les précautions sont tellement prises, que si la loi proposée était acceptée, et que le Gouvernement fût assez fort pour en assurer l'exécution, le directeur de l'imprimerie et de la librairie deviendrait l'imprimeur et le libraire unique et universel du royaume, et qu'il ne pourrait être imprimé ni vendu en France, pas un seul ouvrage, pas un seul écriteau, pas une se ule carte de visite qui ne sortît de ses presses et de ses magasins.

Cependant, le croira-t-on, c'est dans l'intérêt de la liberté de la presse, c'est dans la vue de nous en assurer l'exercice qu'a été rédigée cette loi si énergique et si polie tout à la fois. Cela ressemble à une dérision peut-être ; mais qu'on lise le discours du ministre, et l'on sera bien difficile si l'on ne convient pas que c'est une vérité démontrée. La liberté de la presse, dit Son Excellence, n'a pas de plus grand ennemi qu'elle-même, elle tend à se détruire par ses propres excès; la licence qu'elle ne manque jamais d'engendrer, met tous les partis aux prises, et du sein des partis s'élève bientôt une faction dominante

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