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Cependant, comme il est peu de projets de loi sur lesquels on ne puisse pas faire de justes critiques, et qu'il ne faut pas que la personne du roi soit déconsidérée, le ministère paraît avoir pris le parti de laisser à la chambre des députés le soin de demander

que le roi lui propose les lois qu'elle jugera nécessai

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et c'est encore là un très-mauvais moyen d'avoir de bonnes lois; parce qu'aucun des membres de la chambre n'étant appelé au ministère, les députés peuvent bien ne pas connaître tous les besoins du gouvernement. Il faut donc que les ministres aillent euxmêmes dans les bureaux de la chambre, et qu'ils trouvent des députés assez complaisans pour faire les propositions qui leur sont suggérées; mais cette manière de proposer les lois entraîne tant de longueurs et tant d'inconvéniens, que ce serait un grand hasard si jamais une loi était promulguée à propos.

Ces inconvéniens sont si graves, que depuis la promulgation de la charte constitutionnelle le gouver nement paraît frappé de mort, et qu'il semble impossible de faire les lois qui doivent compléter la constitution. Personne ne paraît s'occuper en effet ni de l'organisation des colléges électoraux, ni de la responsabilité des ministres, ni de la liberté individuelle: cependant il importe tellement de faire des lois sur ces matières, que la constitution sera nulle tant qu'elles ne seront pas réglées. Qu'importe en effet que le pouvoir législatif soit séparé du pouvoir exécutif, si les ministres peuvent faire toute espèce d'actes arbitraires sans encourir aucune peine? Qu'im

porte que la liberté individuelle soit proclamée, si les ministres peuvent faire emprisonner arbitrairement les citoyens ? Les chambres législatives sont encore existantes; mais si un ministre surprenait du roi un acte qui en prononçât la dissolution, comment parviendrait-on à en créer de nouvelles sans le secours des colléges électoraux ?

L'inactivité de la puissance législative a déjà fait naître de l'inquiétude dans beaucoup d'esprits, surtout dans ceux qui n'en aperçoivent par la cause. Le journal des débats, politiques et littéraires, dans sa feuille du 18 de ce mois, a adressé à la chambre des députés des 'reproches si violens à cet égard qu'on dirait qu'ils ont été dictés par un ministre de Bonaparte, ou par un de ces soi-disans royalistes qui naguère nous prêchaient l'esclavage avec fanatisme. Ces reproches, qui sont évidemment l'ouvrage d'un partisan du pouvoir absolu, ou d'un homme qui ne connaît pas nos institutions, sont répétés par un grand nombre de personnes, parce que les sots et les apôtres du despotisme sont très-nombreux. Il importe donc de les faire cesser, en rétablissant la disposition de la charte constitutionnelle présentée par le Sénat, qui donnait exclusivement aux deux chambres la faculté de proposer les lois. Que si le gouvernement veut faire proposer des lois dont lui seul connaît le besoin, il le peut, en prenant ses ministres dans le sein de l'une des deux chambres.

Cette mesure, nécessaire à la sûreté du roi, ferait disparaître les entraves que les ministres ont si

maladroitement données au gouvernement; elle aurait même probablement pour effet de faire gagner au roi la confiance publique, sur-tout si elle pouvait occasionner le renvoi de deux ou trois ministres qui semblent faire tous leurs efforts pour pousser leur maître à sa perte (1). Mais si le roi renonçait à la faculté dangereuse dont les ministres se sont emparé en son nom, il faudrait que toutes les séances des deux chambres devinssent publiques, et c'est à quoi l'on ne doit pas s'attendre, tant qu'on voudra faire des lois, non pour le bien public, mais pour l'intérêt des courtisans.

DE L'ESPRIT DES JEUNES GENS EN FRANCE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

UN législateur de l'antiquité avait fait une loi pour déclarer infâme tout homme qui n'aurait pas un ami. Si cette loi avait été reçue en France et appliquée aux institutions politiques, je crois que le projet de rétablir la censure aurait encouru l'infamie ; car il ne s'est pas encore trouvé un senl homme qui ait osé s'en avoner publiquement le défenseur; pudeur

(1) Si l'opinion publique n'avait pas désigné à quelqu'un de nos lecteurs les ministres dont il s'agit ici, nous l'exhortons à consulter les caricatures anglaises.

bien étrange dans un pays où les mesures les plus oppressives du dernier gouvernement trouvèrent des apologistes publics (1).

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Au nombre des pamphlets anonymes qu'on a publiés, non pour justifier la censure, cai personne n'ose la justifier, mais pour prouver que la liberté de la presse doit être provisoirement suspendue, il en est un qui se distingue de tous les autres par la fausseté des pensées et par l'insigne mauvaise foi avec laquelle il a été rédigé. Il a pour titre : De la liberté de la presse et des lois répressives. Ce pamphlet ayant été distribué à tous les députés, qui n'ignorent pas d'où il est parti, je suis convaincu qu'il sera réfuté publiquement, lorsque le projet de loi relatif à la censure sera discuté. Je ne chercherai donc pas à démontrer ici la fausseté des raisonnemens qu'il renferme; je ferai seulement quelques remarques sur un passage qui intéresse particulièrement les jeunes gens.

Dans la page 5, l'auteur, après avoir affirmé que les partis s'observent encore avec méfiance; que la lassitude universelle les repousse, leur interdit toute

(1) L'inquisition, que le pape Paul IV appelait le grand ressort du pontificat, est aujourd'hui en horreur, je ne dis pas à tous les Gouvernemens mais à tous les peuples de l'Europe. La censure n'est-elle pas elle-même une véritable inquisition dont l'objet est d'extirper, dès leur naissance, toutes les pensées que les tyrans regardent comme des hérésies politiques? On pourrait donc la nemmer le grand ressort du despotisme.

mesure violente, mais qu'ils ne sont pas près de se réunir, ajoute : « Quant aux hommes qui se sont » formés au milieu de nos dissensions et de notre » servitude, ils composent en quelque sorte une na» tion nouvelle, dont les idées, les habitudes, les » intérêts n'ont presque aucun rapport avec les ha» bitudes et les idées de leurs concitoyens plus âgés; >> nation ambitieuse et ignorante, disposée à prendre >> sa force pour de l'énergie, à mépriser ce qu'elle >> ne connaît pas, et aussi aisée à égarer que difficile >> à éclairer. »

On voit par ce passage que l'auteur n'ignore pas la maxime et les usages des gouvernans : il commence par supposer que les hommes ont tous les vices imaginables; il affirme, sans autre preuve que son assertion, qu'ils sont ambitieux, ignorans, stupides; puis croyant les avoir convaincus de leur extravagance ou de leur ineptie, il leur propose de se laisser enchaîner. Et par qui veut-il les faire conduire ? des hommes de cour, tous exempts des vices qui ont infecté les jeunes gens; tous pleins de modestie, de désintéressement, de probité, de sincérité, de science, et sur-tout dépourvus d'ambition.

par

Il est évident, en effet, que ce sont les jeunes gens formés pendant nos dissensions, qui en 1790 ou en 1791 allèrent engager tous les peuples de l'Europe à déclarer la guerre à la France; qui excitèrent ensuite leurs concitoyens à la guerre civile; qui se souillèrent de tous les crimes révolutionnaires; qui

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