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cependant je ne crois pas qu'il existe en France aucune loi qui le déclare punissable.

Ne serait pas moins coupable le ministre qui, sans y être autorisé par une loi spéciale, céderait ou abandonnerait, signerait l'acte de cession ou d'abandon d'une partie du territoire français, ou d'un pays réuni à la France par un traité de paix. Si le Gouvernement ne peut lever, sur une partie de la France, ni des hommes ni des impôts sans y être autorisé par une loi spéciale, il est bien clair qu'il ne peut pas céder à une puissance étrangère une partie du territoire avec les hommes qui l'habitent; puisque par cette cession il donuerait à un souverain étranger le droit de prendre en France des impôts et des hommes, droit qu'il n'a pas luimême, et que par conséquent il ne peut pas céder. D'ailleurs, par la cession d'une partie du territoire le Gouvernement priverait une partie des Français des droits que la constitution et les lois leur garantissent, et certes la faculté de leur imposer une pareille privation ne saurait lui appartenir. L'acte de cession d'une partie du territoire est donc un acte criminel, lorsqu'il n'est pas autorisé par la loi, et par conséquent, on ne peut pas le laisser impuni.

Nos lois actuelles laissent donc sans punition la plupart des crimes commis contre la sûreté extérieure de l'Etat, et elles ne sont pas beaucoup plus prévoyantes pour ce qui concerne la sûreté intérieure. L'article 127 du Code pénal déclare coupa bles du crime de forfaiture et punit de la dégrada

tion civique les juges, les procureurs-généraux ou impériaux ou leurs substituts, les officiers de police qui se seront immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif, soit par des réglemens contenant des dispositions législatives, soit en arrêtant ou suspendant l'exécution d'une ou plusieurs lois, soit en délibérant sur le point de savoir si les lois seront publiées ou exécutées.

Cette disposition punit un fait très-punissable sans doute; mais n'est-il pas bien étrange qu'elle ne le punisse que lorsqu'il est commis par les hommes qui sont les moins tentés de le commettre, et qui peuvent le moins la faire exécuter. Qu'un juge publie un acte en forme de loi, et qu'il l'envoie en son nom dans toutes les parties du royaume pour y être exécuté, il est évident qu'on se moquera de lui et de sa préteudue loi; il ne pourra donc faire aucun mal. Mais qu'un ministre usurpe l'autorité législative en faisant des réglemens, il est évident que la sûreté des citoyens sera compromise; parce que le ministre ayant des agens sur tous les points du royaume, pourra employer la force pour faire exécuter ses ordonnances ou ses réglemens.

L'usurpation de l'autorité législative serait encore plus dangereuse, si elle était commise par une des trois sections du Parlement (1); cependant, comme

(1) J'appelle Parlement la collection des trois branches de l'autorité législative, c'est-à-dire, la réunion du Roi, de la chambre des pairs et de la chambre des députés:

on ne peut soumettre à aucune responsabilité ni le Roi, ni la chambre des pairs, ni la chambre des députés, il faut bien que la responsabilité tombe sur l'individu qui signerait ou ferait exécuter l'acte par lequel une des trois branches de la puissance législative usurperait l'autorité des deux autres. Il importerait même de déclarer que, dans ce cas, les tribunaux ne pourraient prendre en considération l'acte contraire aux lois ou à la constitution (1).

Il est un crime qu'il n'est pas moins urgent de prévenir que l'usurpation de l'autorité législative. L'article 50 de la charte constitutionnelle porte que le Roi convoque chaque année les deux chambres : et cette obligation de les convoquer toutes les années sera vaine, si elle peut impunément être enfreinte. Mais par quel moyen pourra-t-on la faire exécuter? En plaçant dans les attributions de l'un des ministres la convocation des deux chambres, et en déclarant coupable du crime de haute trahison le ministre qui laissera passer une année entière sans les convoquer. Que si un ministre était renvoyé avant la fin de l'année, l'obligation devrait passer à son successeur, à moins celui-ci eût été appelé trop

qu'on

que

me permette ce mot en attendant que nous en ayons

un autre.

(1) Je ne parle point ici du conseil d'Etat ; ce conseil, qui n'a aucune exigence légale, ne peut avoir d'autorité que celle que le Roi lui a donnée, et le Roi n'a pu lui donner celle qu'il n'avait pas.

tard pour convoquer les deux chambres; car, dans ce cas, l'obligation devrait rester à son prédécesseur; si le ministère devenait vacant, l'obligation devrait passer à un autre ministre, et ainsi successi

que,

vement.

La perception arbitraire des impôts doit également être réprimée. On pourrait même la prévenir jusqu'à un certain point; il suffirait de déclarer pour cela

que

nul acte ne pourra être mis à exécution contre un contribuable, s'il ne porte en tête l'article 48 de la constitution, suivant lequel aucun impôt ne peut être établi ni perçu s'il n'a été consenti par les deux chambres et sanctionné par le Roi, ainsi que la date et les dispositions principales de la loi qui ordonnerait la perception de l'impôt. Et pour assurer l'exécution de ces dispositions, il faudrait que l'officier ministériel qui ne s'y conformerait pas, pût être poursuivi comme concussionnaire, ou comme faussaire, s'il supposait une fausse loi (1).

Enfin il faudrait que les attentats commis contre la liberté de la presse et la liberté individuelle fus-. sent rigoureusement punis. On devrait considérer comme attentat à la liberté de la presse tout acte par lequel un agent du Gouvernement ferait saisir ou arrêter un ouvrage, si par le même acte l'auteur, ou

(1) Je ne parle ni de l'emploi des impôts ni de la manière dont on peut en faire rendre compte aux ministres ; ceci exige un travail particulier dont on s'occupera sans doute avant de rien accorder.

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l'imprimeur à défaut de l'auteur, n'était pas déféré aux tribunaux. Lorsque l'auteur ou l'imprimeur auraient été injustement déférés aux tribunaux, il faudrait même leur accorder des dommages-intérêts contre les agens de l'autorité, s'il était prouvé qu'ils ont agi de mauvaise foi, et dans des vues d'intérêt particulier.

La sûreté individuelle aurait sur-tout besoin d'être garantie. L'article 115 du Code pénal punit de la déportation les attentats commis par les ministres à la liberté des citoyens, et l'article 117 fixe à vingtcinq francs par jour le minimum des dommages-inté rêts accordés aux personnes détenues arbitrairement. Mais il faut remarquer que, suivant l'article 115, il n'y a détention arbitraire que lorsque le ministre qui en est l'auteur, a été sommé pendant trois fois au moins, par la commission de la liberté individuelle du sénat, de traduire le détenu devant les tribunaux où de le mettre en liberté ; de sorte que dans l'état actuel de notre législation, un homme innocent peut être arrêté arbitrairement et passer la moitié de sa vie au fond d'un cachot, sans que la loi lui accorde aucun dédommagement, et sans que le ministre auteur de l'arrestation ou de la détention arbitraire soit passible d'aucune peine.

On voit donc qu'il n'existe pour la nation ni sûreté intérieure ni sûreté extérieure; et que les citoyens ne peuvent trouver dans les lois aucune espèce de garantie. Or, il est impossible que dans un tel état de choses le gouvernement puisse jouir de la

!

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