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Les hommes qui n'approfondissent rien, ne voient, dans un acte arbitraire, que le mal qui en résulte immédiatement pour l'individu dont il blesse les droits; mais ceux qui ont l'habitude de réfléchir ne peuvent manquer de s'apercevoir que le plus grand mal qui résulte des actes de cette nature, est moins d'atteindre quelques individus que de façonner en quelque sorte tous les esprits à l'esclavage, et de perpétuer l'ignorance dans laquelle vivent la plupart des hommes, sur leurs droits et sur leurs devoirs. Sous ce point de vue, les ordonnances de M. le directeur général de la police sont excessivement dangereuses, soit par la grande publicité qu'elles ont eue, soit par le caractère religieux qu'il leur a imprimé. Il faut sans doute que la religion soit respectée : si jamais elle l'est autant qu'elle doit l'être, peut-être perdrons-nous cette frivolité de ca

tions des ministres. Les uns nous menacent du changement de l'ordre administratif, et de l'établissement d'un certain nombre de satrapes qu'ils appellent des intendans; les autres nous menacent du renversement de l'ordre judiciaire : suivant ces derniers, la cour de cassation ellemême, cette cour que l'opinion publique avait défendue contre le despotisme de Bonaparte, n'échappera pas à la destruction; on nous donnera, pour nous consoler, des bailliages, des sénéchaussées, des présidiaux et tout ce qui s'ensuit. Ces bruits absurdes, auxquels un homme de bon sens ne peut pas ajouter foi, trouvent cependant des personnes qui les croient, et ne contribuent pas peu à grossir le nombre des mécontens.

ractère que tous nos gouvernemens ont toujours pris tant de soin d'entretenir, parce qu'elle ne pouvait faire de nous qu'un peuple d'esclaves. Mais gardonsnous bien de confondre ce qu'exige la religion, et ce que demande l'ambition de ses ministres; on pent être religieux, et ne pas faire de cérémonies dans les places publiques; on peut être religieux, et ne pas exiger que des hommes se soumettent aux préceptes d'une religion qui n'est pas la leur. La religion sans la morale ne peut servir qu'à masquer les vices ou les crimes de ceux qui la professent; or, je dis qu'il n'y a point de morale là où l'on affiche publiquement le mépris des lois.

On reproche à la plupart des prêtres catholiques d'être essentiellement partisans du despotisme: ils veulent, dit on, que les princes ne soient comptables de leur puissance qu'à Dieu, afin de devenir euxmêmes les maîtres des princes. Ces imputations qui les ont fait bannir de l'Angleterre, sont sans doute exagérées; mais on ne peut se dissimuler qu'à l'égard de quelques individus, elles ne sont que trop bien fondées. Déjà nous avons vu des évêques, mandataires infidèles des villes qui les avaient députés, substituer de fausses adresses à celles de leurs commettans, et engager, au nom de la religion, le prince qu'ils trompaient à s'emparer de l'autorité suprême, c'est-à-dire à mettre sa volonté à la place des lois. Ce qu'ils n'ont pas pu obtenir du prince, ils l'ont obtenu de son ministre ; et là où quelques personnes simples et de bonne foi ont cru voir le

triomphe de la religion, un grand nombre de bons citoyens n'ont vu que le triomphe de quelques prêtres sur les lois foudamentales de l'Etat.

La loi du concordat qui interdit aux ministres catholiques de faire des cérémonies religieuses hors des lieux consacrés au culte, dans les villes où il y a des temples consacrés à des cultes différens, ne leur était point inconnue, car elle les intéressait de trop près; cependant ils l'ont en quelque sorte foulée aux pieds: ils en ont proclamé le mépris au son des cleches et du tambour, et ils l'ont proclamé avec l'autorisation d'un agent du Gouvernement, dont le premier devoir était de la faire respecter. L'obliga tion que cette loi leur imposait, leur paraissait pénible sans doute; mais était-ce une raison pour s'en affranchir, et ne doivent-ils pas se rappeler que Socrate, injustement condamné, avait bu la cigüe pour ne pas donner à ses concitoyens l'exemple d'un homme de bien qui s'affranchissait du joug hono

rable des lois ?

Un acte arbitraire en amène toujours un autre : le législateur, pour engager les ministres du culte catholique à ne point en faire les cérémonies hors des lieux qui leur étaient destinés, avait déclaré que les troubles ou les entraves apportés à l'exercice des cultes ne seraient punissables que dans le cas où ces troubles auraient été été causés dans les temples ou dans les lieux servant actuellement à cet exercice. Or, qu'est-il arrivé? Il est arrivé que les ministres du culte catholique ayant fait les cérémonies dans les lieux où la loi ne les protégeait plus, plusieurs individus ont été, dit-on, arrêtés publiquement pour s'être montrés peu recueillis ou peu respectueux, et il aura bien fallu que la police leur infligeât une peine arbitraire, puisque les tribunaux ne pouvaient légalement leur en infliger aucune.

Pour soustraire M. le directeur-général de la police à toute espèce de reproches, peut-être se trou

vera-t-il des personnes assez pen sensées pour demander l'abrogation des lois qu'il a violées; mais l'Etat no sorait-il pas perdu, si vous alliez sacrifier la loi pour épargner le coupable? D'aillenis, cette mesure ne sauverait pas le ministre du reproche d'avoir usurpé l'autorité législative; elle serait donc insuffisante, et elle le serait d'autant plus, que l'ordonnance de M. le directeur général est incompatible avec l'article 5 de la charte constitutionnelle.

Cet article porte que chacun professe sa religion avec une égale sûreté, et obtient pour son culte la même protection. Si donc on veut contraindre les personnes qui ne professent pas le culte catholique à observer les jours de repos que ce culte a consacrés, il faut, par une juste réciprocité, qu'on oblige les catholiques à observer les jours de repos consacrés par tous les autres cultes; il faut, par exemple, que le samedi soit un jour de repos pour tous les Français, puisqu'il en est un jour pour les juifs; de sorte que si jamais il arrive que chacun des cultes autorisés en France consacre au repos un jour de la semaine, et que ce jour ne soit pas le même pour tous, il n'y aura d'autre moyen de faire exécuter la loi que d'interdire à tous les Français toute espèce de travail pendant l'année entière.

Si le culte catholique a consacré au repos assez de jours pour qu'on ne puisse pas en augmenter le nombre sans exposer le peuple à tomber dans la misère, il est évident que les personnes dont le culte a consacré des jours différens se trouveront dans l'impossibilité de les observer tous; une partie des Français se verra donc dans l'alternative où d'abandonner sa religion, ou de sortir de la France, ou de mourir de faim; et il faut convenir que c'est une étrange conséquence de la liberté des cultes que toutes nos lois ont proclamée. La première disposition que nous trouvons en tête de potre charte

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constitutionnelle, celle qui doit servir de guide, je ne dis point aux citoyens, mais à tous les magistrats et au législateur lui-même, porte que tous les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs : or, comment concilier cette égalité avec l'acte de M. le directeur - général de la police, qui accorde des priviléges à une partie de la Nation au préju

dice de l'autre?

Mais, dira - t - on, cet acte ne renferme pas des dispositions législatives nouvelles, il rappelle seulement les dispositions de nos anciennes ordonnances; et puisque ces ordonnances existent encore, il faut bien les exécuter jusqu'à ce qu'elles aient été légalement abrogées. Je réponds que c'est là une erreur, et une erreur très grave. Ces ordonnances ont cessé d'exister, ainsi que l'a décidé la cour de cassation, du moment que la liberté des cultes est devenue une des lois fondamentales de l'Etat, et si elles n'avaient point été abrogées par les lois qui ont établi la liberté des cultes, elles l'auraient été par le Code pénal du 3 brumaire an 4, ou par l'article 260 du Code pénal de 1810.

A quelles conséquences n'arriveriez-vous pas, si, pour soustraire l'ordonnance de M. le directeurgénéral de la police à la censure,publique, alliez décider que les anciennes ordonnances relatives à la religion ou aux mœurs n'ont point été abrogées? Dans le ressort du parlement de Paris, les personnes qui n'observaient pas les jours de repos consacrés au culte catholique n'étaient condamnées qu'à de simples amendes; mais dans le ressort du partement de Toulouse, elles pouvaient être condamnées à des peines corporelles; et ces peines, qui étaient arbitraires, pouvaient aller jusqu'à la peine de mort. Cependant, que dirait M. le directeur de la police, si, dans ce moment, il apprenait

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