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voulût sincèrement le bien de son peuple, la soumission aveugle qu'il en exigea ne permit-elle pas que l'esprit public se formât sous son règue. Il laissa subsister au sein de l'Etat tous les principes de désordre qui s'y étaient accumulés depuis l'origine de la monarchie, l'inimitié réciproque des trois ordres, l'ambition et les rivalités des grands, une égale disposition du peuple à la servitude et à la révolte, l'ambition particulière du parlement, et les haines mal éteintes nées des querelles religieuses.

Tous ces élémens de désordre fermentent à-la-fois sous la régence de Marie de Médicis, et pendant les premières années du règne de Louis XIII; et ils auraient inévitablement produit de nouvelles guerres civiles, s'il n'avait paru dans le conseil du roi un homme capable, non pas de les détruire, car le despotisme est toujours lui-même une cause plus ou moins prochaine d'anarchie, mais du moins d'en arrêter le développement.

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L'édit de Nantes inspirait aux calvinistes des inquiétudes qui les tenaient dans un état perpétuel d'insurrection. Richelieu calme leur agitation en minant leurs forces; il ôte ainsi aux grands le seul appui qui restait à leur ambition; il rompt tous ceux qu'il ne peut faire plier, ou les force à s'exiler du royaume; il humilie profondément le parlement; il enchaîne à-la-fois les esprits par le charme des arts et par la terreur des supplices; il accable la nation de tout l'ascendant qu'il lui donne sur les autres puissances de l'Europe, et la courbe tellement sous le

despotisme, qu'après sa mort elle continue d'être docile sous la main incertaine de Louis XIII; et que les germes de discorde qu'elle conservait encore dans son sein, ne peuvent produire, pendant la minorité de Louis XIV, que la guerre ridicule de la Fronde.

Le règne de ce dernier prince n'est, à beaucoup d'égards, que la continuation du ministère de Richelieu. Son despotisme est moins sombre, mais non pas moins énergique. Jamais prince n'a retenu son peuple dans des chaînes plus brillantes ni plus fortes; jamais le pouvoir absolu ne s'est montré sous des formes plus grandes, plus nobles, plus séduisantes, j'oserais presque dire plus corruptrices; aussi la nation perd-elle sous ce prince toute idée d'indépendance, et la volonté du monarque devient pour elle la suprême loi.

La suite à un Numéro prochain.

D.....R.

DES DISPUTES DE MOTS,

O U

DE LA JUSTICE ET DU DROIT NATUREL.

Il est peu de mots auxquels tout le monde attache le même sens; et il en est un grand nombre auxquels on n'en attache aucun, quoiqu'on les emploie

très-souvent. Voilà pourquoi il existe tant de dis cussions qu'il paraît impossible de terminer. La liberté de la presse nous en offre un exemple. Quelques personnes qui ont donné d'ailleurs de très-bonnes raisons en faveur de leur opinion, ont invoqué la justice et le droit naturel; ce qui a fourni à d'autres l'occasion de faire de graves dissertations pour prouver que le droit naturel ne connaît pas la liberté de la presse. J'avoue que je n'entends rien à cette discussion, et je doute beaucoup si ceux qui discutent s'entendent eux-mêmes: je vais leur soumettre quelques réflexions, dont l'objet est moins de résoudre la difficulté que d'examiner en quoi elle consiste.

L'homme naît avec la capacité d'éprouver des sentimens agréables et des sentimens douloureux, et il apporte en naissant les facultés nécessaires pour rechercher les uns et pour se délivrer des autres : le plaisir et la douleur sont donc les deux puissans mobiles qui mettent en jeu les facultés dont il est pourvu, et qui veillent, pour ainsi dire, continuellement à sa conservation et à la perpétuation de son espèce.

Mais si l'homme est pourvu des facultés nécessaires à sa conservation, l'expérience seule peut lui apprendre à en régler l'usage: il faut qu'il se brûle, pour apprendre qu'il est dangereux de trop s'approcher du feu, et pour devenir prudent et avisé; qu'il endure le froid et la faim, pour devenir prévoyant, laborieux et économe; qu'il ait une indigestion ou soit indisposé pour devenir tempérant; qu'il se batte

et soit frappé pour devenir pacifique, et qu'il souffre pour devenir accessible à la pitié.

Que, , pour la première fois, plusieurs hommes rencontrent en même temps un objet qui leur est également nécessaire, il est évident que, n'ayant aucune raison de céder les uns aux autres, ils se précipiteront tous sur leur proie avec une égale ardeur; que, pour s'en saisir les uns à l'exclusion des autres, ils se feront mutuellement beaucoup de mal, et que ce ne sera qu'après le combat que, comparant les biens et les maux qui en auront été la suite, ils verront qu'il aurait été plus avantageux de partager amiablement que de s'exposer à n'avoir rien en se battant pour avoir tout (1).

Or, si les hommes étaient restés dans une indépendance absolue, s'ils n'avaient pris pour règles de leurs actions que leur force individuelle et leurs appétits, telle aurait été la situation où ils se seraient trouvés presque à tous les momens de la vie : chacun n'aurait eu pour soi que sa propre expérience, et, avant que de devenir sage, il aurait été obligé de passer par toutes les erreurs qui devaient enfin le

rendre tel.

Afin que l'expérience d'une génération ne fût pas perdue pour la génération suivante, que les hommes

(1) Le mot latin pax, paix, dérive de pactio, pacte, convention; parce que ce sont en effet les conventions qui maintiennent la paix parmi les hommes. Dig. lib. 2, tit. 14, l. 1, §i 1.

ne missent point obstacle les uns à l'exercice des fa cultés des autres, et qu'ils pussent tous avoir les moyens de satisfaire à leurs besoins, il fallait donc qu'ils se réunissent en société, et que chacun renonçât à exercer sa force particulière, en tout ce qui pourrait nuire à l'exercice des facultés de ses associés. C'est ce qu'ils ont fait, ou du moins ce qu'ils ont tâché de faire. Ces actes, par lesquels ils ont ainsi mis des bornes à leur puissanee individuelle, ont pris le nom de lois, et la volonté de se conformer aux lois a été appelée justice.

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Le mot justice, comme on le voit, ne désigne pas un être réel : il sert à marquer une modification de nous-mêmes, qui fait que dans telle circonstance nous agissons d'une manière plutôt que d'une autre. Ce mot tient donc la place d'un adjectif, c'est-à-dire d'un mot qui, dès qu'on le sépare de l'objet dont il désigne la modification, ne rappelle aucune idée à l'esprit. Ainsi l'on dit avoir de la justice pour être ́juste; comme on dit avoir de la blancheur pour étre blanc ; mais dans la nature il n'est aucun être qui soit la justice ou la blancheur; cependant on dit : la justice veut, la justice défend, et l'on croit même dire quelque chose quand on s'exprime ainsi.

Justice dérive donc de juste, et ce mot, soit qu'on le prononce dans un sens propre, soit qu'on le prononce dans un sens figuré, sert à marquer la convenance ou le rapport qui existe entre deux objets ; ainsi un piston est juste quand il est propre à faire jouer la pompe dont il fait partie ; une action est

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