Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

De tous les reproches qu'on a fait au sénat, un seul me paraît mérité; car la foudre qu'il lança le 2 avril sur l'oppresseur du peuple, sans consulter son dan. ger personnel, même avant qu'il pût connaître l'opinion de l'arinée, l'absout suffisamment de complicité volontaire avec lui. Ce tort est le même dont on voudrait nous rendre coupable aujourd'hui (1). De celui-ci découlèrent tous les autres ; la liberté de la ; presse une fois anéantie, il put impunément exercer contre nous toute espèce de tyrannie.

Renfermés hermétiquement dans cette douloureuse enceinte, sans aucun point de contact avec les citoyens ; réduits, comme eux, à l'unique lecture des journaux aux gages d'une police surveillante et sévère, qui remplaçait par des flagorneries mendiées par la puissance et consentie par la faiblesse, le cri douloureux de toutes les familles réduites au désespoit, en vain cherchâmes-nous à élever la voix; l'esclavage de la presse opposa toujours une barrière insurmontable, Celui qui la levait ou la fermait à son gré, étouffa toutes nos réclamations; un de nos honorables collègues peut vous dire qu'il fit mutiler un de ses rapports dans tous les journaux, dans

(1) Le sénat ne sanctionna point le décret par lequel l'empereur établit une censure préalable et arbitraire. Le tort qu'il eut fut de ne pas annuller ce décret comme inconstitutionnel; mais alors cette mesure était-elle exécutable? Le tort de la chambre des pairs, si elle adoptait la censure, serait assurément bien plus grave que ne le fut celui du sénat.

P'unique intention de dissimuler à la France et à l'Europe le vœu exprimé en notre nom pour une paix qu'il repoussait.

Tant que ces faits restèrent gravés dans ma mémoire, tant que je les regarderai comme une cause légitime d'une déchéance que j'ai signée conjointement avec la majorité d'entre vous, ma conscience, d'accord avec l'intérêt et du peuple et du trône, me commandera impérieusement de repousser l'acte qu'on nous présente.

Ce n'est pas que nous ignorions qu'il existe des motifs de sécurité dans les principes du Roi, dans la sagesse des ministres; mais nous savons aussi qu'il vaut mieux se reposer sur de bonnes institutions que sur les seules vertus des magistrats.

Les unes et les autres, dit un écrivain célèbre, contribuent sans doute à la félicité des peuples; mais malheur au pays qui compte particulièrement sur des dernières! il n'échappera pas long-temps à la servitude.

Cette dernière et triste vérité, Messieurs, a frappé également un grand nombre d'excellens citoyens. Déjà une secrète inquiétude a remplacé dans leur ame cette douce sécurité que la conduite impartiale du Roi y avait implantée, et que chaque jour y jetait des racines plus profondes.

C'est en leur nom que je vous demande de proscrire cette odieuse et ridicule censure que notre pacte avait achevé de flétrir.

Pourriez-vous donc accorder votre honorable suffrage à une institution qui a contre elle la haine de

tous les véritables gens de lettres, qu'il est si néces saire de concilier au Gouvernement?

A une institution qui outrage constamment la raison et le bon sens, et qui proscrivit, presque sans exception, les plus grands écrivains dont la France s'honore; à une institution qui fera porter chez l'étranger des capitaux immenses nécessaires à notre prospérité;

A une institution enfin que vous pourrez justement apprécier, lorsque vous vous rappelerez qu'elle ne peut se déterminer à revêtir de son approbation la Henriade et le siècle de Louis XIV, monumens de gloire élevés par le génie à deux des plus grands hommes de cette illustre race, que bien long-temps après que l'assentiment presque général de la nation l'ont forcée à la donner?

Ici, l'opinant observe que si les réglemens de ce genre pouvaient être exécutés, cette malheureuse ins titution aurait privé la France de cette prééminence dans les sciences et dans les arts que l'Europe est forcée de lui accorder, et desséché par-là la source la plus féconde de sa gloire et de sa prospérité. Il ajoute qu'il est dans la nature de tous les gouvernemens de tendre sans cesse à augmenter leur autorité, et que la liberté de la presse peut seule les contenir dans leurs justes limitės; que tous les mots qu'on redoute des pamphlets et des journaux, ne sont rien en comparaison de ceux que l'administration se fait elle-même en entravant la vérité.

Par ces considérations, l'opinant vote pour le rejet du projet de loi....

[blocks in formation]

Au moment où la discussion sur la liberté de la presse va s'engager de nouveau, nos lecteurs ne verront peutêtre pas sans quelqu'intérêt le jugement qu'un journaliste anglais a porté du discours prononcé par M. l'abbé de Montesquiou devant la chambre des députés.

« Lorsque l'abbé de Montesquiou, après avoir dit que le Gouvernement anglais est le plus fort qu'il y ait au monde, ajoute qu'il est le produit du hasard, il ressemble à ces hommes qui ne peuvent s'empêcher de reconnaître la sublime beauté du systême de l'univers, mais qui prétendent que ce systême est le résultat fortuit des propriétés de la matière. Non, la constitution britannique n'est point l'ouvrage du hasard, elle est le produit de l'expérience élaborée par la sagesse et le patriotisme. Ce n'est point une théorie préparée dans le cabinet du publiciste, c'est une série d'actes adoptés au fur et à mesure que l'expérience du mal ou le sentiment d'un danger ont exigé des remèdes.

Nos ancêtres ont reconnu cette éternelle vérité, que les lois doivent garantir à l'homme social sa liberté, la sûreté de sa personne, de sa propriété, de sa pensée et de sa conscience. Le soin de nos assemblées législatives a toujours été de procurer à chaque individu la jouissance de ces précieux avantages, sans détriment pour l'Etat, et sans préjudice pour les autres individus. C'est aussi l'expérience qui, après avoir fait recomBull. n°.

9'

naître le droit aux avantages dont nous venons de parler, comme la base de la constitution britannique, a adouci convenablement les ressorts de cette constitution, sans quoi les barrières et les contrepoids établis comme moyen de sécurité auraient bientôt empêché toutà-fait la marche du Gouvernement.

Il n'y a peut-être rien dans cette constitution de plus remarquable que la facilité qu'elle présente de modifier sans danger ses propres principes, d'après les données de l'expérience. La balance des trois grands pouvoirs semble devoir être un obstacle invincible au mouvement de la machine; mais leur action réciproque est adoucie par une influence, qui, sans être bien apparente, est cependant de tous les momens, et s'exerce sur tous les actes du Gouvernement.

Cette influence qui a remplacé l'intolérable pouvoit qu'on appelait la prérogative royale, est la véritable cause de ces majorités, dont parle l'abbé de Montesqniou, et qu'il considère comme la force de la constitution; mais cette même influence doit son efficacité à sa modération, et on a prédit, depuis long-temps, que notre Gouvernement serait en danger aussitôt qu'elle viendrait à s'étendre au-delà des limites que la prudence prescrit.

Et quel est le contrepoids de cette influence, qu'estce qui la retient dans des bornes salutaires! c'est la voix du peuple qui s'élève dans les assemblées législatives, aidée de publications libres dans les ouvrages périodiques, et, en l'absence du parlement, dans ces réunions publiques qui ont aussi l'appui de la presse. La force du Gouvernement est dans la liberté avec laquelle on l'éclaire. Tout acte public est discuté, et bientôt l'opinion générale se manifeste d'une manière trop claire et trop décisive pour qu'un ministre ose marcher en sens contraire.

Affirmer que la liberté des publications périodiques est dangereuse au Gouvernement " ou que ces publications sont tout-à-fait insignifiantes ou méprisables, c'est une erreur manifeste; et cependant M. de Montesquiou, dans son insoutenable argument, établit cette double assertion.

« PreviousContinue »