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QUESTIONS

Dont la solution doit précéder l'établissement de la censure préalable et arbitraire, adressées à la chambre' des députés.

ÉTANT aujourd'hui reconnu que la charte constitutionnelle garantit la liberté de la presse, et que la censure préalable et arbitraire des écrits est destruc tive de cette liberté, il ne s'agit plus que de savoir si l'on peut suspendre l'exercice de l'un des droits garantis par la charte, et si les circonstances actuelles exigent une pareille suppression.

Ainsi, en examinant la question d'une manière» générale, on demande si les Français peuvent cesser d'être égaux devant la loi, selon les circonstances; si, par exemple, l'assassinat que la loi punit de mort pourrait n'être puni que d'une simple amende comme autrefois, dans le cas où il serait commis par des nobles sur des róturiers.

On demande si les Français peuvent cesser, selon les circonstances, de contribuer indistinctement, dans la proportion de leur fortune, aux charges de l'État; si, dans le cas, par exemple, où la classe des nobles se trouverait endettée, on ne pourrait pas. l'affranchir des contributions, comme par le passé.

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On demande si les propriétés peuvent cesser d'être inviolables, selon les circonstances; si, en cas de be

soin, les ministres peuvent ètre autorisés à dépouiller arbitrairement les citoyens.

On demande si les ouvrages d'un écrivain ne sont pas sa propriété, ou si cette propriété est moins sacrée qu'une autre; si, aux yeux de nos députés et des ministres du roi, les œuvres de Voltaire ou de Buffon ont moins de prix que les ouvrages de l'artisan le plus grossier.

On demande si la liberté individuelle peut cesser d'être garantie; si les ministres peuvent, en conséquence, être autorisés à disposer, selon les circonstances, de la liberté et de la vie des citoyens.

On demande si la liberté des cultes peut être sus pendue; si les juifs ou les protestans peuvent, selon les circonstances, être pendus ou brûlés, parce qu'ils refuseraient d'obéir aux volontés du pape.

On demande si l'on peut, selon les circonstances, suspendre la disposition de la charte qui prescrit l'oubli des votes et des opinions émis avant la restauration; et s'il ne serait pas permis, par exemple, d'autoriser un journaliste, tel que le rédacteur de la Quotidienne, à traiter d'assassins, de scélérats et de régicides ceux qui auraient émis des votes et des opinions pendant la révolution?

On demande si les dispositions de la charte qui garantissent la sûreté des membres des deux chambres peuvent être suspendues, selon les circonstances, comme cela avait lieu sous l'empire de Danton et de Roberspierre; et si la représentation nationale ellemême ne pourrait pas être suspendue, selon les cir

constances, et remplacée par le c-levant parlement de Paris.

par

On demande si les droits garantis à la nation la charte constitutionnelle, sont moins sacrés que ceux garantis par la même charte aux corps constitués dans l'intérêt de la nation.

Enfin, l'on demande........; mais je m'arrête en songeant que c'est à la suspension des lois fondamentales de l'État qu'il faut attribuer tous les crimes et tous les gouvernemens qui ont désolé la France pen-, dant vingt-cinq ans.

Supposant ces questions résolues d'une manière satisfaisante; supposant qu'il est prouvé que les dispositions de la charte peuvent être suspendues, en cas de besoin, il reste à savoir si le besoin du mo ment exige que la Nation soit privée de la liberté de la presse, qui lui a été garantie par le même acte qui garantit l'inviolabilité du Roi.

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Les ministres prétendent, de leur côté, que dans le moment actuel on userait de cette liberté pour attala constitution et renverser le Gouvernement; d'un autre côté, l'on craint au contraire que les ministres ne veuillent en user pour renverser eux-mêmes la constitution qu'ils disent avoir l'intention de défendre. Ainsi la question se réduit à examiner les faits qu'on allègue de part et d'autre.

On se plaint du peu de soin que les ministres mettent à éclairer le Roi, et des atteintes qu'ils portent à la constitution; on prétend qu'ils ont usurpé l'autorité législative.

1o. En signant et faisant exécuter l'ordonnance du 10 juin, qui rétablit la censure préalable et arbitraire, dont la destruction était prononcée. par le sénatus-consulte du 3 avril, par la constitution présentée au Roi; par la déclaration de Sa Majesté du 2 mai, et par l'article 8 de la charte constitution

nelle.

2°. En détruisant la liberté des cultes par une

ordonnance du 7 juin, contre la disposition de l'ar ticle 5 de la charte ; et en imposant aux citoyens des amendes arbitraires, contre la disposition de l'article 127 du Code pénal, qui punissait ce fait de la dégradation civique.

3. En fixant, par des ordonnances des 23 mai, 15 juin et 15 juillet, le mode de recrutement de la garde du Roi, contre la disposition de l'article 12 de la charte, qui porte que le mode de recrutement de l'armée sera fixé par une loi, et contre l'article 92 du. Code pénal, qui punit de mort tout recrutemeni illégal.

4°. En organisant, par une ordonnance du 1er juillet 1814, le corps royal des canonniers de la marine, en faisant revivre des ordonnances abrogées, et déterminant le mode de recrutement contre les dispositions de l'article 12 de la charte, et contre l'article 92 du Code pénal précité.

5o. En donnant, par une ordonnance du 21 juin, à un conseil d'état que la constitution ne connaît pas, le droit de juger les préventions des fonctionnaires publics, et de décider en matières contentieuses contre la disposition de l'article 63 de la charte, qui interdit la création de commissions et tribunaux extraordinaires.

6°. En annullant, par une ordonnance du 28 avril, deux arrêts du conseil du 19 juin, par une par déclaration du 11 juillet, et par plusieurs autres ordonnances, un grand nombre d'arrêts ou jugemens devenus inattaquables, contre la déclaration du 2 mai, qui proclame l'indépendance du pouvoir judiciaire, et contre les dispositions de nos lois civiles et criminelles, qui décident que les jugemens et arrêts passés en force de chose jugée, ne peuvent être annullés par aucune voie.

7°. En annullant, par une ordonnance du 27 juin, la loi du 22 ventôse an 12, qui déterminait les droits d'entrée sur les poissons de mer, contre l'article 15 TOME Ier.

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de la charte, suivant lequel la puissance législa tive s'exerce par les deux chambres et par le Roi.

8. En créant, par l'ordonnance du 7 juin, des écoles militaires destinées exclusivement aux enfans des anciens nobles, contre l'article 3 de la charte, portant que tous les Français sont également admissibles aux emplois civils et militaires.

9o. En créant un ordre spécial pour la garde nationale de Paris, par une ordonnance du mois d'août, contre les dispositions textuelles des articles 1 et 2 de la loi du 30 juillet 1791, portant que tout ordre de chevalerie, toute corporation, toute décoIration, sont supprimés en France, et qu'il y aura une décoration nationale unique, qui pourra être accordée aux vertus, aux talens et aux services rendus à l'état.

10°. En ordonnant la restitution des biens séquestrés à quelques émigrés, avant que la puissance législative eût prononcé à cet égard, et contre les dispositions des lois qui en avaient attribué la propriété à l'Etat.

11. En interprétant la charte constitutionnelle par une ordonnance du 21 août, et en déclarant comme non-avenues les lois relatives à l'émigration. 12o. Enfin en modifiant, par une ordonnance du 18 août, la division territoriale de la France, fixée par nos lois constitutionnelles.

Tels sont les principaux reproches par lesquels on prétend prouver que les ministres n'ont aucun respect pour nos lois, et qu'ils les détruiront entièrement, si 1 liberté de la presse ne vient pas mettre des bornes à leurs entreprises.

De leur côté, les ministres se plaignent que les citoyens demandent le maintien de la liberté de la presse pour renverser la constitution; mais on ignore les faits sur lesquels ils fondent leurs plaintes. C'est à la chambre des députés qu'il appartient de décider de quel côté se trouvent la justice et la vérité.

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