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28. Les redevables ont interrompu l'exécution de ce premier acte de poursuites par une opposition du 12 juin, contenant assignation devant le tribunal civil de Dôle, et motivée comme il suit :

Attendu que MM. Pignot ne peuvent être tenus au delà du droit gradué de 1 0/00 imposé par les lois fiscales visées par la contrainte; que ce droit gradué a été acquitté entre les mains du receveur d'enregistrement de Besançon qui a perçu 750 fr. décimes compris ;

Attendu que le prétendu traité par lequel la ville de Dôle se serait engagée à fournir à l'État une subvention de 800,000 fr. est étranger aux frères Pignot qui n'y ont pas figuré et qui, légalement, sont réputés ne pas le connaître ; que, par suite, dans le cas où le prétendu traité existerait et donnerait lieu à la perception du droit proportionnel de 1 0/0, l'obligation d'acquitter ce droit incomberait non pas aux frères Pignot qui ne figurent pas dans ce traité, mais bien aux parties qui ont contracté, c'est-à-dire à l'État et à la ville de Dôle ;

<< Attendu que, dans ces conditions, les frères Pignot ne peuvent être tenus, vis-à-vis de l'administration de l'Enregistrement, que du droit qui atteint le contrat d'adjudication du 29 mars 1889, c'est-à dire du droit gradué de 1 0/00 qu'ils ont acquitté ; qu'il y a d'autant plus de raison de le décider ainsi que ni le cahier des charges, ni la teneur du contrat d'adjudication ne font mention de la convention du 16 août 1888; que, si les frères Pignot se fussent attendus à être contraints de payer un droit aussi élevé de 1 0/0, ils eussent certainement modifié le chiffre de rabais de 18,50 0/0 qu'ils ont soumissionné. »

Dans un mémoire signifié le 22 décembre 1891, l'Administration s'est attachée à réfuter cette argumentation et à démontrer la légitimité de la réclamation. A cet effet, elle a soutenu que la réduction de tarif acccordée aux marchés dont le prix doit être payé directement par le Trésor public cesse d'être applicable dès que l'Etat pourvoit au payement de tout ou partie du prix au moyen d'une subvention municipale; elle a ajouté qu'elle a le droit et le devoir, pour assurer l'exacte application du tarif, de rechercher, dans le silence des actes, quelles sont les ressources à l'aide desquelles la dépense doit être acquittée. Enfin, elle a établi que, la formalité accomplie au bureau de Besançon étant inopérante, le procès-verbal d'adjudication devait être considéré comme n'ayant pas été enregistré et, par suite, comme passible du droit en sus.

Les consorts Pignot ont répliqué par un mémoire du 24 octobre 1893 dans lequel ils ont développé les motifs de leur opposition; ils ont, en outre, soutenu que l'enregistrement effectué par le receveur à Besançon n'avait rien d'irrégulier et suffisait pour les mettre à l'abri du droit en sus compris dans la contrainte. Ils ont, dès lors,

déclaré persister dans leurs conclusions; toutefois, ils ont reconnu que le montant réel des travaux dépassant l'évaluation provisoire de 300.000 fr., souscrite au moment de l'enregistrement, un droit supplémentaire pouvait leur être réclamé sur la différence, mais au taux de 1 0/00 seulement.

La cause étant en cet état, le tribunal de Dôle a rendu, le 24 mai 1894, le jugement dont la teneur suit:

Vu les contrainte, opposition, mémoires et conclusions signifiés de part et d'autre ;

Vu également les textes de lois invoqués et les documents produits; Attendu qu'à la date du 29 mars 1889, Pignot (Denis-Sylvain), entrepreneur à Besançon, ayant pour caution son frère Pignot (Sylvain), s'est rendu adjudicataire des travaux à exécuter pour la construction d'une caserne à Dôle aux clauses et conditions du marché, notamment à la charge par lui d'acquitter les frais d'enregistrement auxquels donnerait lieu l'acte d'adjudication; que cet acte a été approuvé le 6 avril 1889 par le Ministre de la guerre, dont la décision a été notifiée aux parties le 16 mai suivant;

Attendu que Pignot a fait enregistrer ledit acte au bureau de Besançon, le 1er juin 1889, et a versé un droit gradué de 750 fr., l'importance totale du marché ayant été évaluée provisoirement à 300,000 fr.;

Attendu que l'administration de l'Enregistrement a fait signifier, le 28 mai 1891, à Pignot, frères, une contrainte en payement de 21,180 fr., pour droits simples et droits en sus dus à l'Enregistrement sur une somme de 564,800 fr., reçue jusqu'à ce jour par l'adjudicataire, des mains du trésorier-payeur général du département du Jura, pour prix des travaux effectués;

Attendu que l'administration de l'Enregistrement, dans le mémoire signifié à Pignot, le 22 décembre 1891, demande: 1° le payement du droit proportionnel établi par la loi du 28 avril 1816 au lieu du droit gradué perçu conformément à la loi du 28 février 1872, en s'appuyant sur un traité intervenu entre l'État et la ville de Dôle, le 22 août 1888, et approuvé par M. le Ministre de la guerre le 25 mars 1889, traité aux termes duquel la ville de Dôle s'engageait à fournir au Département de la guerre une subvention de 800,000 fr.; 2° le payement d'un droit en sus conformément aux art. 35, 36 et 37 de la loi du 22 frimaire an VII, le procès-verbal d'adjudication ayant été présenté à la formalité au bureau d'enregistrement de Besançon, alors que, aux termes de l'art. 26 de la loi précitée, il aurait dû être enregistré au bureau de Dôle, résidence du sous-intendant militaire qui a tranché l'adjudication;

I. Sur l'exigibilité du droit proportionnel :

Attendu qu'après la loi du 15 mai 1818, laquelle, par dérogation à celles des 22 frimaire an VII et 28 avril 1816, ne soumettait dans l'art. 73 qu'au droit fixe de 1 franc les adjudications au rabais dont le prix était payé directement ou indirectement par le Trésor, la loi du 28 février 1872 est venue établir une nouvelle règle de perception en assujettissant à un droit fixe gradué les adjudications dont le prix doit être payé directement par le Trésor public;

Attendu que la loi, en ne maintenant dans la nouvelle rédaction que le mot directement a entendu mettre fin aux difficultés que d'adjonction dans l'ancienne des mots ou indirectement avait fait naître; qu'elle a marqué qu'il n'y avait plus à se préoccuper pour l'application du tarif que du fait seul du paiement; que les termes dont s'est servi le législateur ne peuvent donner lieu à aucune ambiguïté et qu'ils doivent être pris dans leur sens le plus étroit;

Attendu qu'il n'est pas dénié en l'espèce que les fonds (564,800 fr.) ont été versés directement à Pignot par le trésorier-payeur général du département du Jura agissant pour le compte de l'État; qu'en conséquence le droit gradué édicté par la loi du 28 février 1872 est seul exigible, que la ville de Dôle ait ou non versé une subvention à l'État ; que, du reste, il serait injuste de décider autrement; qu'en effet, Pignot a traité avec l'État seul : qu'il a dù faire son rabais en tenant compte des droits d'enregistrement qu`il aurait à payer; qu'il pouvait ignorer l'existence du traité intervenu entre la ville et l'État, puisque ce traité n'a été approuvé que le 25 mars 1889, quatre jours avant l'adjudication et qu'il n'en a été fait mention ni dans les publications et affiches annonçant l'adjudication, ni dans le procès-verbal même de l'adjudication;

II. Sur l'exigibilité du droit en sus:

Attendu que l'art. 26 de la loi du 22 frimaire an VII contient une disposition purement démonstrative et nullement limitative; qu'elle n'est point d'ailleurs prescrite à peine de nullité (Cass. 14 novembre 1835);

Attendu que l'amende prononcée par les art. 35 et 26 de la même loi ne peut être appliquée que si la formalité de l'enregistrement n'a pas été remplie dans le délai imparti par la loi, et non lorsque l'acte a été enregistré dans un bureau autre que celui dont parle l'art. 26; que l'obligation de faire enregistrer à un bureau déterminé les actes reçus par eux incombe aux seuls greffiers et secrétaires des administrations centrales et municipales, désignés par la loi, et non aux parties qui ont traité avec eux, et pris à leur charge l'enregistrement de l'acte ;

Attendu qu'il est constant que M. Pignot a versé au bureau d'enregistrement de Besançon les droits à percevoir sur l'évaluation provisoire du marché (300,000 fr.); que ce payement a été effectué à juste titre ; qu'au surplus, le versement fait par Pignot dans les délais prescrits par la loi au bureau d'enregistrement de Besançon peut, au besoin, être considéré comme une consignation, aux termes de l'art. 37 de la loi du 22 frimaire an VII; Mais attendu qu'il est justifié que les payements opérés entre les mains de Pignot jusqu'au 20 mars 1891 s'élèvent à la somme de 564,800 fr., excédant de 264.806 fr. l'évaluation provisoire; qu'il est dès iors dù un droit gradué sur cette somme, ainsi que sur le cautionnement y affèrent, soit 700 fr.;

Attendu, d'autre part, que le ministère des avoués n'est pas obligatoire dans les instances en matière d'enregistrement et que les frais d'avoué doivent dès lors rester à la charge de celui qui les a exposés ;

Par ces motifs,

Le tribunal condamne les consorts Pignot, ainsi qu'ils agissent, à payer à l'administration de l'Enregistrement la somme de 700 fr.;

Dit que la contrainte ira avant et sortira son plein et entier effet jusqu'à ladite somme de 700 fr. ;

Donne acte à l'administration de l'Enregistrement de toutes les réserves qu'elle forme au sujet des suppléments de droits qui pourraient devenir exigibles sur les payements successifs qui seraient constatés et qui excéderaient la somme de 564.800 fr. sur laquelle l'impôt est actuellement calculé ;

Déboute l'Administration de toutes ses autres fins et conclusions et la condamne aux quatre cinquièmes des dépens, l'autre cinquième, ainsi que les frais d'avoué, restant à la charge des consorts Pignot; liquide la masse totale des dépens, non compris les frais d'avoué, à la somme de .

La Direction générale a déféré ce jugement à la Cour de cassation pour :

-1° Violation de l'art. 69 § 2 n° 8 de la loi du 22 frimaire an VII et

de l'art. 51 no 3 de la loi du 28 avril 1816, et fausse application de l'art. 1 n° 9 de la loi du 28 févvier 1872, en ce que le jugement attaqué a décidé que le droit gradué de 1 0/00 est seul exigible sur le procès-verbal, dressé dans la forme administrative, aux termes duquel un entrepreneur est déclaré adjudicataire, sous le cautionnement solidaire d'un tiers, de travaux entrepris par l'État, alors même qu'une partie du prix doit être payée au moyen d'un fonds de concours fourni par une ville en vertu d'un engagement pris par cette ville et accepté par l'État antérieurement à l'adjudication;

2o Violation des art. 26, 29, 35 et 36 de la loi du 22 frimaire an VII, et 78 de la loi du 15 mai 1818, - en ce que le jugement admet que la présentation d'un acte administratif à un bureau d'enregistrement autre que celui dans l'arrondissement duquel l'autorité administrative qui a passé cet acte exerce ses fonctions satisfait au vœu de la loi et s'oppose à la réclamation des droits simple et en sus faite, au sujet du même acte, par le receveur préposé au bureau dans l'arrondissement duquel cette autorité administrative exerce ses fonctions;

3o Fausse application de l'art. 37 de la loi du 22 frimaire an VII, - en ce que le tribunal a considéré comme ayant le caractère et les effets de la consignation des droits prévue par cet article le versement fait par l'adjudicataire, dans le délai prescrit par la loi, à la caisse d'un bureau de l'enregistrement incompétent pour recevoir ce payement.

PREMIER MOYEN.

Elle a développé d'abord à l'appui du premier moyen des considérations analogues à celles qu'elle a fait valoir devant la Cour à propos de l'affaire qui a donné lieu à l'arrèt du 28 décembre 1892 (R. E. 361; Inst. 2834 § 8). Elle a poursuivi en ces termes :

VI. Le tribunal commet une erreur en déclarant que le fait matériel du jugement est seul à considérer, Dans ce système, tout marché dont le prix serait acquitté par une caisse de l'État serait passible du droit gradué, de même que tout marché dont le prix serait acquitté par une caisse municipale serait un marché communal assujetti au droit de 1 0/0. Une semblable conception est aussi contraire au texte qu'à l'esprit de la loi du 28 février 1872. L'impôt de l'enregistrement se détermine suivant la nature des actes et non d'après des faits matériels qui se révèlent au fur et à mesure de l'exécution des conventions et qui ne sauraient influer sur le caractère juridique des engagements réciproques contractés par les parties. Que le prix soit payé par une caisse de l'État ou par une caisse municipale, peu importe ce n'est là qu'un point de détail susceptible d'offrir un certain intérêt relativement à l'application des règles de la comptabilité administrative, mais dépourvu de toute signification lorsqu'il s'agit de la perception du droit d'enregistrement. Il est inadmissible de supposer que le législateur ait entendu subordonner la quotité du tarif à un critérium de cette nature. Les termes mêmes de la loi résistent énergiquement à une telle interprétation. En visant les marchés dont le prix « doit être payé directement par le Tré

sor public », l'art. 1er § 9 de la loi du 28 février 1872 a réservé l'application du droit fixe gradué aux marchés dont le prix est acquitté au moyen des deniers provenant des ressources générales du budget de l'État. Suivant l'expression d'un commentateur autorisé, c'est le marché dont le Trésor public « fait les frais » que la loi réduit à un simple droit fixe (Dall., Jur. gén., Vo Enregistrement, no 1996). Il en résulte que, pour savoir si un marché est passible du droit gradué ou du droit proportionnel, il faut rechercher non par qui l'acte a été passé, ni par quel procédé de comptabilité le prix sera compté à l'entrepreneur, mais par quel budget, national ou communal, ce prix sera supporté en définitive. C'est d'ailleurs en ce sens que la Cour s'est prononcée dans l'un des considérants de l'arrêt précité du 28 décembre 1892 (§ IV, suprà): « Attendu, a dit la Chambre civile, que c'est seulement quand le Trésor public doit supporter la dépense engagée et dans la mesure où il la supporte que le droit à percevoir est le droit fixe gradué. »

VII. Ce qui paraît avoir induit le tribunal à décider le contraire, c'est que ni les actes préparatoires, ni le procès-verbal d'adjudication ne se réfèrent à la convention qui règle la participation de la ville de Dôle aux dépenses de l'entreprise.

Il est vrai que l'arrêt du 28 décembre 1892 a été rendu dans une espèce où le cahier des charges de l'entreprise mentionnait expressément l'existence et la quotité de la subvention fournie par la ville à l'État.

"Attendu, porte cette décision, que . . . .

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De ce que la Cour a ainsi relevé la mention contenue dans le procès-verbal d'adjudication relativement à la contribution de la ville, on ne saurait conclure que sa décision aurait été différente en l'absence de cette mention. Les termes de l'arrêt s'expliquent par les conditions mêmes dans lesquelles l'affaire se présentait à l'examen de la Chambre civile. Le pourvoi reprochait au jugement attaqué d'avoir admis la perception du droit proportionnel sur la moitié du prix d'un marché « sous prétexte que la ville de Lyon, par des conventions intervenues entre elle et l'Etat, avait promis à l'Etat de supporter la moitié de la dépense de l'adjudication, alors que cette convention, à laquelle les adjudicataires sont demeurés légalement et juridiquement étrangers, ne constituait, de la part de la ville, qu'une promesse de concours ou de subvention pour l'exécution d'un marché de travaux publics et ne changeait en rien le caractère du marché et de l'exécu tion de l'entreprise et qu'il restait également seul débiteur du prix envers les adjudicataires. >>

La Cour a répondu à cette argumentation par un arrêt qui renferme, tout à la fois, une décision doctrinale et une décision d'espèce.

Elle pose d'abord le principe à savoir que, pour établir la perception, il faut chercher par qui le prix doit être payé et que c'est seulement quand le Trésor public doit supporter la dépense engagée et dans la mesure où il la supporte que le droit à percevoir est le droit fixe gradué. Passant ensuite à l'examen des faits de la cause, elle applique le principe et elle établit que les adjudicataires sont d'autant moins fondés à critiquer la perception du droit proportionnel que la répartition de la dépense entre l'État et la ville a été mentionnée au procès-verbal dans le but précisément de les éclairer sur les conditions de l'adjudication. Ces constatations de fait, que la Cour a jugé utile de relever pour répondre point par point aux arguments du pourvoi, n'affaiblissent en rien la portée doctrinale de l'arrêt. Les circonstances particulières de chaque affaire peuvent changer; mais la règle de perception demeure immuable: c'est seulement, a dit la Cour, quand le

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