Page images
PDF
EPUB
[blocks in formation]

La prescription biennale de l'article 61 de la loi de frimaire est-elle applicable par cela seul qu'un acte met l'Administration en état de constater une mutation et de procéder, sans se livrer à des recherches ultérieures, à la perception du droit dû sur cette mutation?

Faut-il, au contraire, pour qu'elle puisse être opposée, qu'il s'agisse d'un droit dû sur l'acte même soumis à l'enregistrement et dont cet acte formait le titre ?

Quelques exemples pour bien préciser.

Un acte de société est présenté à l'enregistrement. Cet acte constitue le titre de la société et rend directement exigible le droit de 0 fr. 200/0. Si ce droit n'était pas perçu, la prescription de 2 ans s'appliquerait incontestablement.

Ce même acte contient des énonciations desquelles il résulte l'existence d'une mutation de fonds de commerce antérieure, au profit de l'un des associés. Le receveur a réclamé le droit de société, mais n'a pas réclamé celui de mutation de fonds de commerce. Peut-il le réclamer utilement après deux années expirées ? (Cfr. Cass. 26 février 1894; Rép. pér. 8261).

Deux personnes achètent conjointement et indivisément un immeuble avec stipulation que le survivant des deux acquerra la part de l'autre. Un inventaire, dressé ultérieurement, relate l'acte d'acquisition, la clause de réversibilité, et, en même temps, le décès de l'un des acquéreurs. La prescription de 2 ans commence-t-elle à courir à compter de l'enregistrement de l'inventaire ? (Cfr. Cass. 14 déc. 1870; S. 70. 1. 404).

Un arrêt prononce la résolution d'une vente pour le cas où le prix

ne sera pas payé dans les 15 jours. Un acte postérieur constate la réalisation de cette condition d'une manière incidente: La prescription de 2 ans sera-t-elle acquise 2 ans après l'enregistrement de cet acte? (Cfr. Cass. 15 mai 1866; S. 66.1. 339).

Une hypothèque légale appartenant à un mineur contre son tuteur a été inscrite et, la créance du mineur restant indéterminée, le rece-veur n'a pu percevoir le droit proportionnel d'inscription hypothé-caire (1). Il intervient, plus tard, un acte de partage et un arrêté de compte de tutelle qui fixent le chiffre de la créance du mineur, et rendent ainsi exigible le droit proportionnel d'inscription hypothécaire. En fait, le droit n'est pas réclamé et deux ans se sont écoulés. La prescription biennale peut-elle être utilement opposée? (Cfr. Cass. 27 déc. 1892; S. 93.1.209).

Le siège de la difficulté, dans ces espèces et dans les espèces analogues, réside dans le paragraphe de l'article 61 de la loi de frimaire aux termes duquel la prescription s'accomplit après deux années s'il s'agit « d'un droit non perçu sur une disposition particulière dans un acte >>.

J'aurai à examiner ce texte de près, mais avant de procéder à cet examen, il me paraît nécessaire d'indiquer le sens précis de certaines expressions dont on se sert couramment à ce propos, et qu'on trouve aussi bien sous la plume des auteurs que dans les considérants des arrêts de la Cour de cassation. Il est couramment question d'actes faisant titre, de titre à l'exigibilité des droits,de titre de transmission.. Quelle est exactement la signification de ces diverses formules?

En droit civil,un acte fait titre 1o de l'objet de sa disposition; 2o des énonciations qui ont un rapport direct avec cette disposi-tion.

C'est là ce qui résulte textuellement de la distinction faite par l'article 1320, C. civ., placé sous la rubrique : Du titre authentique. On lit dans cet article: « L'acte, soit authentique, soit sous seing privé, fait foi entre les parties (2) même de ce qui n'y est exprimé « qu'en termes énonciatifs, pourvu que l'énonciation ait un rapport « direct à la disposition. Les énonciations étrangères à la disposi<«<tion ne peuvent servir que d'un commencement de preuve ».

Dans le système du Code civil, par conséquent, l'acte fait preuve et de la convention qu'il relate principalement et des faits juridiques qui se rattachent à cette convention par un lien de connexité. D'autre part, l'acte probatoire est considéré comme un titre, puisque, je le répète, c'est sous la rubrique : Du titre authentique que l'article 1320 est placé.

(1) Une loi du 24 mars 1806 a étendu l'art. 61 de la loi de frimaire aux droits d'inscription et de transcription hypothécaire.

(2) Et également à l'égard des tiers (Cfr. sur ce point le Code civil annoté de FuzierHerman sur l'art. 1320, n° 1).

L'assimilation des énonciations à la disposition, quand ces énonciations ont un rapport direct avec elle, est, d'ailleurs absolument logique,car si les énonciations étrangères ont pu échapper à l'attention des parties, il en est autrement des énonciations qui se soudent à la disposition principale. Celles-ci ayant été voulues, doivent rationnellement participer du caractère probatoire de l'acte. Enfin,ou le mot titre n'a pas de sens, ou il désigne l'écrit qui fournit la preuve d'un événement juridique.

Le système de la loi fiscale diffère-t-il de celui de la loi civile ? Il serait difficile de le soutenir, car le receveur auquel on soumet un acte a incontestablement le droit, et même le devoir, de percevoir toutes les taxes dont cet acte révèle l'exigibilité, et les taxes afférentes aux énonciations de l'acte,ayant un rapport direct à la disposition, sont certainement exigibles. J'ajoute même que la loi fiscale est parfois plus étendue que la loi civile. C'est ainsi qu'en matière de don manuel, par exemple,il n'est pas nécessaire, pour que le droit puisse être réclamé, que l'acte présenté à la formalité fasse, jure civili, titre du don; il suffit qu'il contienne la déclaration du don par le donataire ou sa reconnaissance judiciaire. « Attendu, porte un arrêt de la Cour de cassation du 7 janvier 1853, que la disposition de l'article 6 de la loi du 18 mai 1850 est générale et absolue, et qu'en imposant l'acte qu'il prévoit, il ne subordonne pas l'exigibilité de ce droit à la condition que la déclaration ou la reconnaissance judiciaire d'un don manuel soit susceptible de créer un lien de droit entre le donateur et le donataire. »

Dans ce cas particulier, on le voit, le titre à l'exigibilité du droit se distingue du titre de transmission, mais dans les cas ordinaires les deux se confondent absolument.

L'acte rédigé pour faire titre d'une convention est généralement unique, car les parties n'ont aucun intérêt à multiplier les écrits et en dresser un second quand le premier est suffisant. Il peut arriver, cependant, qu'il y ait deux écrits successifs faisant foi d'un même événement juridique; c'est même ce qui se rencontre assez fréquemment lorsque les contractants transforment en acte authentique l'acte sous seing privé qu'ils avaient tout d'abord rédigé. Nul doute que si l'acte authentique disparaissait (perte des minutes du notaire par incendie ou autrement), l'acte sous seing privé, en tant qu'il aurait été conservé, pourrait être utilement invoqué. La même situation se produirait quant aux énonciations probatoires d'un écrit si l'acte originaire auquel elles se rapportent était perdu. Donc, la circonstance qu'un acte constitue le titre d'une convention n'empêche pas qu'un autre acte puisse avoir les caractères d'un titre par rapport à la même convention.

Ceci m'amène à faire une nouvelle observation, c'est que la rédaction des titres suit toujours la convention dont elle est l'instrument.

Lors, en effet, que les parties rédigent ou font rédiger par un notaire un écrit probatoire, l'accord était déjà fait entre elles, le contrat était déjà formé ; et l'écrit ne crée pas, ne dispose pas dans le sens technique du mot, il ne fait que rappeler, prouver une disposition préexistante. Je conclus de là qu'un acte peut faire titre, bien qu'il se réfère à un événement déjà produit de plein droit ou même constaté par un premier écrit.

Puisqu'un écrit fait titre lorsqu'il est établi pour prouver une convention, il va de soi qu'il a été rédigé dans ce but. Il ne faut pas, néanmoins, pousser cette idée à l'extrême. Ainsi, dans l'hypothèse des énonciations directes, auxquelles je viens de faire allusion, les parties n'ont pas eu en vue de constituer le titre des faits auxquels elles se rapportent, et, pourtant, ces énonciations, consciemment acceptées par elles, contiennent la preuve de ces faits, c'est-à-dire un titre véritable.

Un mot encore. Le titre ne peut-il consister que dans un acte privé ou public? Ne peut-il pas consister dans un jugement?

La loi suppose, quand elle parle de titre, un écrit authentique ou sous seing privé (Cfr. art. 557, 583, 636, 660, 673, C. proc. civ.); mais il est difficile de méconnaître que le jugement, qui déclare les droits des parties et leur donne le moyen de les faire exécuter, ne soit l'équivalent d'un titre proprement dit; il y est même supérieur à raison des garanties qu'il comporte. Le système de la loi de frimaire procède bien de ce principe, puisque l'impôt exigible sur une convention doit être perçu sur le jugement qui constate cette convention lorsqu'il n'a pas été perçu auparavant. Il est même curieux de noter que ce droit est qualifié par tous les interprètes de droit de titre, ce qui implique que le jugement forme le titre de la convention, ou, au moins, y est assimilé. Il se distingue, sans doute, des actes en ce sens qu'il est forcé et non point volontaire, mais, en réalité, c'est surtout la force probante qui est la caractéristique du titre, et le jugement a force probante par excellence.

Je puis maintenant aborder l'étude du problème de la prescription biennale. La première impression, quand on n'y a pas longuement réfléchi,c'est que l'article 61 ne s'applique qu'au droit dû sur la disposition même d'un acte. C'est, en effet, le mot disposition qui se trouve dans l'article, et il paraît décisif. Les parties ne disposent pas, peut-on dire, quand elles se bornent à rappeler les conséquences d'un fait déjà produit. Au reste,s'il y avait des doutes sur la signification de la loi, ils devraient être tranchés dans un sens restrictif, en vertu du principe que la prescription de 2 ans forme l'exception, et la prescription de 30 ans la règle. Les exceptions sont, en effet, de droit étroit, et ne sauraient être admises qu'en l'état d'un texte clair et précis. Il n'est pas, d'ailleurs, impossible de comprendre que

le législateur ait distingué la disposition et les énonciations probatoires d'un acte, car si le principe qui domine les courtes prescriptions fiscales dérive de la faute imputable au receveur, cette faute est moins grave quand le receveur omet de percevoir un droit exigible par suite d'une disposition antérieure, que quand il néglige d'effectuer la perception sur la disposition même de l'acte (Cfr. mon Traité, 2o édit., t. III, no 1231).

Ce raisonnement n'est pas, cependant, aussi décisif qu'il paraît être. Si l'article 61 se servait du mot titre au lieu du mot disposition, on serait autorisé à l'écarter, puisque tout acte probatoire constitue véritablement un titre. Or, le mot disposition n'a-t-il pas été pris comme synonyme du mot titre ? L'emploi général de ce dernier mot sous la plume de tous les interprètes et dans les arrêts de la Cour suprême est déjà un indice en faveur de la synonymie. Il y a plus. L'exigibilité de l'impôt implique l'existence d'un fait translatif, c'està-dire d'une disposition. Dès lors, il y a un titre à l'exigibilité de l'impôt par cela seul qu'un acte contient des énonciations probatoires connexes à la disposition principale, et, nous savons, d'autre part, que le titre à l'exigibilité du droit se confond, en principe, avec le titre même de la convention. Ces énonciations ont donc les caractères d'un titre, et la circonstance qu'elles ont trait à un fait déjà constaté par un premier écrit ne leur enlève pas ce caractère. Il y a dans ce cas vraiment deux titres successifs, et le défaut de perception sur le second doit faire courir la prescription de 2 ans tout comme le défaut de perception sur le premier.

Ne serait-il pas choquant, d'ailleurs, qu'un acte fut considéré sous tel aspect quant à l'exigibilité des droits et sous un autre quant à la prescription? Lorsque le receveur enregistre un acte, sondevoir est de réclamer tous les droits exigibles, et s'il ne le fait pas il commet une faute génératrice de la prescription biennale. On sait déjà que quand la loi a réduit la durée de la prescription à deux ans elle s'est inspirée de cette considération que les redevables ne devaient pas rester longtemps sous la menace d'une réclamation, alors que le receveur avait commis la faute de ne pas percevoir la totalité de l'impôt au jour de la présentation de l'acte. On peut dire, il est vrai, je viens de l'indiquer, que la faute est moins lourde lorsque le défaut de perception se rattache à la disposition d'un acte que quand il se rattache à une disposition antérieure, révélée par cet acte. En y réfléchissant pourtant, on s'aperçoit que la différence entre leš deux cas est à peine sensible, que même dans le second la faute est grave, et qu'il serait bien difficile de justifier de cette façon une différence de 2 à 30 ans dans les délais de la prescription. L'article 61 de la loi de frimaire peut donc rationnellement être interprété comme s'appliquant aux droits dus au vu d'un acte.

« PreviousContinue »