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au point de vue de la responsabilité des fautes qu'il peut commettre dans la gestion desdits biens.

Il en est ainsi alors même que l'immeuble domanial a été affermé à un entrepreneur pour y exploiter un théâtre subventionné par l'Etat, la subvention fournie par le Trésor ne pouvant avoir pour effet d'ôter à l'entreprise son caractère privé pour en faire un service public.

L'immeuble ainsi exploité (en l'espèce l'Opéra-Comique) ne dépend pas du domaine public, n'est même pas un bien affecté à un service public et fait partie du domaine privé.

L'Etat est, par suite, responsable comme le serait un particulier, conformément à l'art. 1386, C. civ. des accidents causés par la ruine du bátiment résultant de son mauvais entretien ou des vices de sa construction.

Dès lors, les actions en réparation des dommages de cette nature ne tombent pas sous l'application de l'art. 4 de la loi du 28 pluvióse an VIII et rentrent dans la compétence judiciaire.

Cass. civ., 12 juin 1901. (L'Etat c. Dessauer).

MM. Ballot-Beaupré, 1er prés.; Falcimaigne, rapp.; Laferrière, proc. gen.; Mes Bernier et Tétreau, av.

Faits. Un arrêt de la Cour de Paris du 21 juin 1898 (1) a déclaré l'Etat responsable à l'égard des mineurs Dessauer de la mort de leurs parents causée par l'incendie de l'Opéra-Comique, en 1887. L'Etat s'est pourvu en cassation contre cet arrêt. Il a invoqué deux moyens à l'appui de ce pourvoi.

PREMIER MOYEN: « Violation des lois des 16-24 août 1790, titre II, art. 13, et 16 fructidor an III, fausse application des art. 1382 et 1384 C. civ., ainsi que du principe de la séparation des pouvoirs adminisIratif et judiciaire, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré l'Etat responsable, en tant que propriétaire ordinaire et en vertu de la responsabilité de droit commun du Code civil, à raison d'une prétendue faute dans l'exécution des obligations de surveillance qu'il s'était imposées et réservées dans l'intérêt du public, par les clauses du contrat administratif de concession passé avec le directeur de l'Opéra-Comique, concessionnaire du service dudit Opéra. »

DEUXIÈME MOYEN : « Incompétence ratione materice, excès de pouvoirs et violation de l'art. 4 de la loi du 27 pluvióse an VIII, en ce que l'arrêt attaqué s'est déclaré compétent pour juger d'une demande en dommages-intérêts dirigée contre l'Etat pour prétendue mauvaise exécution ou défaut d'exécution de travaux publics. >>

(1) Cité au Dict. des Dom., V° Compétence, 26.

Ce pourvoi a été rejeté, le 12 juin 1901, par la Chambre civile dont l'arrêt est ainsi conçu :

La Cour,

Sur le premier moyen du pourvoi :

Attendu qu'il est constaté, en fait, par l'arrêt attaqué, que l'instance portée au nom des mineurs Dessauer devant le tribunal civil de la Seine, avait pour objet de faire condamner l'État, en sa qualité de propriétaire de l'immeuble dans lequel s'exploitait l'Opéra-Comique, à leur payer des dommages-intérêts, en réparation du préjudice qui leur avait été causé par la mort de leurs père et mère dans l'incendie qui a détruit ce théâtre le 25 mai 1887; qu'à l'appui de leur action, les demandeurs invoquaient les faits suivants, non contestés par l'Etat : 1o les décors n'auraient pas été rendus ininflammables, contrairement aux prescriptions de l'ordonnance de police du 16 mai 1881; 2o ils auraient été accumulés en nombre trop considérable dans l'espace insuffisant que présentait la scène ; 3° l'État n'aurait pas fait établir un grand secours contre l'incendie, malgré l'injonction de la commission des théâtres; 4° les mailles du rideau de fer n'avaient pas la largeur prévue par l'art. 9 de l'ordonnance du 16 mai 1881; 5° il aurait été contrevenu aux prescriptions de l'art. 13 de ladite ordonnance sur les ouvertures des murs de la scène et le mode d'attache des herses; 6o il n'y avait pas de baies sur la toiture de la scène, ni de communication entre les postes des appareils mettant en mouvement les rideaux ;

Attendu que l'arrêt ajoute que le sinistre, dans lequel les époux Dessauer ont succombé, doit être attribué aux moyens insuffisants dont le théâtre de l'Opéra-Comique disposait pour empêcher le développement de l'incendie et en produire la complète extinction;

Attendu, en droit, que l'Etat considéré comme propriétaire des biens qui composent son domaine privé est soumis dans ses rapports avec les particuliers aux règles du droit civil, et qu'au point de vue de la responsabilité des fautes qu'il peut commettre, il est justiciable des tribunaux de l'ordre judiciaire ;

Attendu que le pourvoi soutient vainement que, dans l'espèce, les fautes imputées à l'Etat se rattachaient à l'exécution des obligations de surveillance qu'il s'était imposées dans l'intérêt du public par le contrat qu'il avait passé avec le directeur concessionnaire du service public de l'OpéraComique ;

Attendu, en effet, d'une part, que les demandeurs n'invoquaient pas, en fait, la violation des clauses de ce contrat; qu'ils fondaient uniquement leur réclamation sur des fautes délictuelles ou quasi-délictuelles, dans les termes des art. 1382 et suiv. C. civ.;

Attendu, d'autre part, que l'exploitation d'un théâtre constitue une entreprise privée; que les subventions qui lui sont accordées par l'Etat, soit sous forme de concession gratuite de la salle et des décors, soit sous forme d'allocations pécuniaires, en vue de favoriser, dans un intérêt général, les progrès de l'art dramatique ou lyrique, ne sauraient avoir pour effet d'en modifier le caractère et de la transformer en un service public; qu'ainsi, l'action des mineurs Dessauer n'était pas dirigée contre l'Etat, puissance publique, à raison de la mauvaise gestion d'un des services publics auxquels il est chargé de pourvoir, mais contre l'Etat propriétaire, pour n'avoir pas entretenu son immeuble de façon qu'il put servir à l'usage auquel il était destiné ; d'où il suit qu'en se déclarant compétente pour en connaître, et en y statuant, la Cour de Paris n'a violé aucun des textes visés par le pourvoi ;

Sur le second moyen:

Attendu, sans qu'il soit besoin de rechercher si les travaux de construction de l'immeuble dans lequel était installé l'Opéra-Comique constituaient ou non des travaux publics, qu'il suffit de constater que, depuis son achèvement, cet édifice n'a jamais eu le caractère d'un ouvrage dépendant du domaine public, ni même d'un bien affecté à un service public ainsi qu'il a été expliqué sur le premier moyen; que ledit édifice faisait partie du domaine privé de l'Etat, qui le possédait à titre de propriétaire, et qui est, par suite, responsable, comme le serait un particulier et conformément à la disposition de l'art. 1386 C. civ., des accidents causés par la ruine du bâtiment résultant de son mauvais entretien ou des vices de sa construction; que, dès lors, les actions en réparation des dommages de cette nature ne tombent pas sous l'application de l'art. 4 de la loi du 28 pluviose an VIII et rentrent dans la compétence judiciaire; qu'ainsi, le moyen n'est pas fondé ;

Rejette....

Annoter: Dict. des Dom., Compétence, 26, 1er alinéa.

Art. 2829.

Cours d'eau navigable. - Chemin de halage. Déplacement. Jouissance de l'ancien chemin.

Le terrain qui faisait autrefois partie du chemin de halage d'une rivière navigable, mais qui n'a plus actuellement cette destination, est exonéré de la servitude dont il était affecté, dès lors que l'administration a construit un nouveau chemin, situé au-dessus du niveau des plus hautes eaux coulant à pleins bords avant tout débordement, satisfaisant à tous les besoins de la navigation et sur lequel le halage est désormais constamment effectué.

Le propriétaire du terrain dégrevé de la servitude de halage, qui y a placé un dépôt de bois, n'a donc fait qu'user de son droit et n'a commis aucune contravention.

Conseil d'Etat, 27 janvier 1899; Bull. chron. 1900, I, § 1. Annoter Dict. des Dom., Cours d'eau, 18.

Art. 2830.

Cours d'eau navigables. - Alluvions artificielles.

Baie de Seine. - Plus-value réclamée aux riverains.

Base d'estimation.

spéciale.

Procédure. Commission

La commission spéciale instituée en vertu du décret du 22 octobre 1870 pour connaître des questions relatives à la plus-value résultant, pour les propriétés particulières, des travaux d'endiguement de la BasseSeine, doit tenir compte, dans ses estimations, de la valeur des terrains conquis, au moment où les travaux ont été entrepris, en s'appuyant

non seulement sur le prix moyen des ventes d'immeubles dans la région, mais encore sur tous les éléments d'information pouvant résulter soit des ventes d'herbes excrues sur lesdits terrains, soit des baux de fonds voisins de même nature relevés par l'expertise. Elle n'a pas à retrancher, d'ailleurs, des estimations ainsi fixées, la plus-value spéciale résultant de l'exécution du canal du Havre à Tancarville, au sujet de laquelle est intervenue une transaction, ni à avoir égard à la création d'un chemin vicinal, dès lors qu'il n'est pas établi que les travaux de cette voie ont eux-mêmes procuré une majoration de valeur appréciable aux terrains dont il s'agit.

La procédure suivie devant la commission spéciale est une instruction écrite (loi du 16 septembre 1807, art. 30). Les membres de cette commission ne sont pas tenus à peine de nullité d'assister à toutes les séances. Il suffit que chacun de ceux qui sont appelés à prendre part à la décision ait eu à sa disposition les diverses pièces du dossier. La commission n'est pas obligée à délibérer en secret ni à rendre sa décision en séance publique, et elle peut, sans commettre une irrégularité, insérer au procèsverbal le travail rédigé par l'un de ses membres. Ledit procès-verbal est régulier en la forme dès lors qu'il énonce que les rapports des experts et les observations écrites des parties ont été mis à la disposition de la commission et discutés par elle, et qu'il contient les motifs de la

décision.

Conseil d'Etat, 10 mars 1899; Bull. chron. 1900, I, § 2.

Annoter Dict. des Dom., Cours d'eau, 45.

Art. 2831.

Domaine militaire. Mur de rempart. - Droit d'appui.

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Il résulte de l'art. 17 de la loi du 8 juillet 1791 et de l'art. 24 du décret du 10 août 1853 que tous les propriétaires de constructions érigées avant la loi de 1791 et débordant sur le domaine national, prenant notamment leur appui sur une muraille de fortification, ont le droit de les conserver, sous la réserve des cas de démolition prévus par la loi, sans qu'il puisse être apporté de trouble à leur situation.

Ce droit réel sui generis suit la construction dans les mains de tous ceux qui en ont la jouissance. Il n'est ni supprimé ni modifié par le déclassement qui fait entrer les fortifications dans le domaine privé de l'Etat. Si donc un mur de rempart grevé de cette servitude d'appui est vendu par le Domaine, le nouveau possesseur ne peut obliger le propriétaire de la construction contiguë à acquérir la mitoyenneté du mur ou à démolir sa construction.

La Cour,

Cour de Douai, 9 avril 1900.

Attendu que le 15 juillet 1897, le docteur Havez s'est rendu adjudicataire de 18 ares de terrain militaire situés à Bouchain, ville haute, vendus par la ville de Bouchain (acte reçu par Canonne, notaire, enregistré le 24 juillet suivant) et provenant du declassement de cette place;

Attendu que ce terrain est en partie occupé par un mur de soutènement contre lequel est adossée une construction à usage de pharmacie et d'épicerie, propriété des consorts Sauvage;

Attendu que Havez, propriétaire dudit mur, a ajourné les consorts Sauvage pour les obliger à en acquérir la mitoyenneté ou à démolir les constructions qui prennent un appui sur ce mur (661 c. civ.);

Attendu qu'en appel les défendeurs ne revendiquent plus la propriété du dit mur, qu'ils soutiennent uniquement que leur construction remontant à une époque bien antérieure a 1791, ils ont le droit de l'appuyer sur le mur de soutènement, droit qu'ils puisent dans l'art. 17 de la loi du 8 juillet 1791 et dont ils ne peuvent être arbitrairement depouillés ;

Attendu qu'aux termes de cet article, consacrant un état de choses antérieur à la promulgation de la loi, « toutes personnes qui jouissent actuellement de maisons, bâtiments ou clôtures qui débordent les limites assignées au domaine national, continueront d'en jouir sans être inquiétés », sous la reserve des cas de démolition prévus par la loi ;

Attendu que cette disposition a été reproduite presque textuellement par l'art. 24 du decret réglementaire du 10 août 1853, pris en application de la loi du 10 juillet 1851;

Qu'il résulte de ces textes législatifs que les propriétaires, possesseurs ou usufruitiers de constructions érigées avant la loi du 8 juillet 1791 et débordant sur le domaine national, prenant notamment leur appui sur une muraille de fortification, auront le droit de les conserver sans qu'il puisse être apporté de trouble à leur situation;

Que ce droit réel sui generis, attaché à la construction, la suivra dans les mains de tous ceux qui en auront la jouissance;

Attendu que l'Etat, administrateur du domaine national ou de son domaine prive, l'a toujours scrupuleusement respecté ; qu'il proclamait en 1893, dans une instance analogue suivie devant cette cour« qu'il ne pouvait en aucun cas, ni à aucune époque, réclamer la démolition des constructions existantes lors de la promulgation de la loi de 1791; que cette règle ne saurait faire doute un seul instant »> ;

Attendu que ce droit ne constitue pas une tolérance concédée par une autorisation ministérielle révocable ad nutum ; qu'il dérive de la loi même qui l'a créé; qu'il n'a pas été modifié lorsque, par l'effet du déclassement de la place de Bouchain, ses fortifications et ses remparts sont entrés, avec les charges dont ils etaient grevés, dans le domaine privé de l'Etat ;

Attendu que Havez, successeur de la ville de Bouchain et de l'Etat, ne peut avoir plus de droit que ses auteurs ; qu'il n'a donc pu acquérir le mur litigieux que grevé de l'assujettissement d'appui reconnu par la loi au profit des constructions des consorts Sauvage;

Attendu, d'autre part, que le démantèlement n'a nécessité ni la démolition du mur de soutenement du rempart adjugé à Havez, ainsi que le constate le procès-verbal de remise du terrain dérasé à la ville de Bouchain (approuvé par décision ministérielle du 5 janvier 1897), ni la démolition des constructions des consorts Sauvage;

Qu'il a par suite laissé les lieux dans l'état où ils se trouvaient avant le déclassement; que la prétention du demandeur d'obliger les défendeurs à acquérir la mitoyenneté de son mur ou à démolir leur construction est donc

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