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de l'Eglise elle-même, en lui laissant le soin de répartir les biens entre les établissements particuliers qui dépendront d'elle, ou au contraire se refuser à reconnaître la personnalité de l'Eglise, et se borner à admettre celled'établissements spéciaux strictement limités dans leur mission. La première solution est la seule sans doute qui donne entière satisfaction aux besoins des Eglises (1). La seconde peut cependant en pratique être admise par les Eglises elles-mêmes comme équivalente, à condition qu'elle ne soit point appliquée dans un esprit de tracasserie ou de persécution, et que l'ensemble de la législation permette de créer toutes les personnes morales nécessaires aux besoins réels de l'Eglise. On sait que notre législation admet seulement, au point de vue de la capacité civile en droit interne, cette seconde solution. Elle admet la personnalité juridique des fabriques, menses, séminaires, consistoires, etc,, non celle de l'Eglise catholique ou de l'une quelconque des Eglises dissidentes. On doit cependant considérer l'Eglise catholique comme ayant une personnalité de droit public, reconnue pas l'Etat lui-même au moment du Concordat, et manifestée par les relations, tout à fait analogues à des relations internationales, que le gouvernement français a entretenues avec le Saint-Siège jusqu'à une époque toute récente. La rupture des relations diploma

(1) L'Eglise catholique a toujours affirmé qu'elle était une société parfaite, ayant par elle-même le droit de posséder; et le Syllabus a condamné, sous le no 26, la proposition: Ecclesia non habet nativum ac legitimum jus acquirendi ac possidendi. Mais il est évident qu'en pratique cette capacité naturelle de l'Eglise est,comme celle de l'homme lui-même, subordonnée dans son exercice à la reconnaissance par l'Etat. V. Meurer, Der Begriff und Eigenthümer der heiligen Sachen., t. I, p. 125 et s.

tiques qui existe à l'heure ou nous écrivons, ne peut pas plus être considérée comme ayant supprimé cette personnalité de droit public, que la rupture des relations diplomatiques avec un Etat n'entraînerait la négation de la personnalité internationale de cet Etat. La reconnaissance de cette personnalité de droit public n'entraîne pas nécessairement dans le droit interne la reconnaissance de la personnalité de droit privé (1), puisque cette personnalité est suppléée par celle des établissements ecclésiastiques particuliers. Nous croyons cependant qu'elle entraîne nécessairement, pour le Saint-Siège, possibilité d'acquérir et de posséder en France pour les besoins de sa personnalité diplomatique, car ces besoins ne sont desservis par aucun des établissements particuliers reconnus par notre loi, et les textes qui instituent ces établissements particuliers, n'ayant visé que l'organisation interne de l'Eglise de France, ne doivent pas être considérés comme ayant exclu la personnalité diplomatique du Saint-Siège et ses conséquences (2).

D'autre part, l'Etat peut prendre vis-à-vis des Eglises des situations diverses qui vont depuis la séparation absolue, jusqu'à l'union intime et même jusqu'à la con

(1) Cpr. Hinschius, dans l'Handbuch de Marquardsen, t. I. Staat und Kirche, p. 258. Il considère que, lorsque l'Etat reconnaît une église à titre de personnalité de droit public, la capacité de posséder en dérive pour l'Eglise naturellement, mais non essentiellement, cette capacité pouvant être en fait remplacée par celle des établissements particuliers.

(2) V. pour le détail de la question notre article sur la Capacité en France des personnes morales étrangères et en particulier du St-Siège. Dans la Revue générale de Droit intern. public, t. I, (1894) p. 193 et s., notamment p. 217 et s.

fusion des deux pouvoirs; et c'est suivant la situation qu'il aura adoptée à ce point de vue que devra être tranchée la question de savoir si les Eglises (ou les établissements ecclésiastiques qui en tiennent lieu) doivent être considérées comme des personnes morales de droit public ou comme des personnes morales de droit privé. Le premier de ces deux points de vue sera adopté partout où l'on considérera les services du culte comme de véritables services publics, à raison soit de la confusion du pouvoir civil et du pouvoir spirituel entre les mains de l'Etat, soit de l'intérêt que l'Etat attache au développement de l'idée religieuse. Jusqu'ici c'est le système suivi en France, où les établissements du culte. sont certainement considérés comme des établissements publics et à ce titre participent aux faveurs et aux servitudes attachées à la qualité de service public. C'est d'ailleurs le système suivi encore à l'heure actuelle dans presque tous les pays. Au contraire le régime de la séparation absolue, tel qu'il est projeté dans la loi en discussion au moment où nous écrivons, entraîne comme corollaire la classification des personnes morales représentant les églises parmi les personnes morales de pur droit privé.

Quel que soit le système adopté, on doit dire d'ailleurs que les droits appartenant aux personnes morales. qui représentent les Eglises sont bien des droits véritables. La personnalité en effet correspond ici incontestablement à un groupement distinct de la collectivité nationale ou des collectivités locales, le groupement des personnes appartenant, dans la France entière, ou dans une circonscription territoriale inférieure, à une confes

sion religieuse (1). L'Etat n'est pas plus le propriétaire de ces biens que des biens affectés aux indigents, et ses droits à leur égard sont même moindres qu'à l'égard des biens des pauvres; car pour ces derniers, ils se trouve en présence de fondations, dont il est parfois lui-même l'auteur, et dont, dans le cas contraire, le fondateur a disparu; pour les biens des Eglises, au contraire il se trouve en présence de véritables corporations vivantes et agissantes. Il peut, vis-à-vis de ces corporations, adopter des politiques diverses, il ne peut en nier l'existence, et quand il institue des établissements du culte, il n'en est pas en réalité lui-même le fondateur, il ne fait que les reconnaître et les classer parmi les établissements chargés d'un service public. Mais l'initiative en cette matière n'est jamais venue de lui, et il ne peut aucunement prétendre être le véritable propriétaire des biens amassés par la corporation dont il a reconnu l'existence.

(1) Quoi qu'on en ait pu dire dans la discussion du projet de séparation, ce groupement était déjà distinct de la collectivité nationale en 1789; car à cette époque déjà il y avait des dissidents en France. C'est ce que méconnaissait Mirabeau quand il assimilait les biens du clergé aux biens de la marine ou de l'armée. (V. Archives parlementaires, t. X, p. 609), et en concluait que l'Etat était le véritable propriétaire. Nous nous contenterons ici de cette brève indication, l'examen des diverses thèses soutenues à propos du projet de loi sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat nous paraissant mieux placé dans la partie de cet ouvrage où nous traiterons de la suppression des personnes morales. V. cep. infrà, p. 381.

CHAPITRE IV

LA CRÉATION DES PERSONNES MORALES DE DROIT PRIVÉ

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SOMMAIRE 135. Position de la question. 136. Historique du droit moderne. La législation de l'ancien régime au XVIe siècle; ses idées directrices. 137. Point auquel elle aboutit la personnalité morale n'est reconnue qu'à l'Etat et aux services publics qu'il tient sous sa dépendance; application et conséquences de cette idée pendant la période révolutionnaire. 138. Son application sous le Consulat et l'Empire; toutes les personnes morales reconnues à cette date sont de véritables établissements publics. 139. Origine de la théorie des établissements d'utilité publique. 140. Reconnaissance, progressivement admise par notre législation, de la personnalité morale des groupements privés. 141. Evolution analogue dans d'autres pays. 142. Revue sommaire de législation comparée sur la personnalité morale des associations. 143. Ordre à suivre dans l'étude de la législation française et place à faire à l'étude des établissements d'utilité publique.

§ 1. Associations soumises au droit commun. 144. Législation antérieure à 1901. 145. Système du projet de loi Waldeck-Rousseau. 146. Système qui a triomphé : petite et grande personnalité. 147. Formation de l'Association. 148. Formalités à remplir pour obtenir la petite ou la grande personnalité. 149. Situation juridique de l'Association avant qu'elle ait obtenu la reconnaissance. Sa vie embryonnaire. 150. Régime des biens possédés en fait par les associations dépourvues de personnalité. § 2. Associations soumises à des règles spéciales. 151. Classification. 152. Congrégations religieuses. Définition et historique. 153. Situation juridique antérieure à 1901. 154. Situation juridique d'après la loi du 1er juillet 1901. 155. Associations privilė. giées. Associations syndicales de propriétaires. 156. Syndicats professionnels. 157. Sociétés de secours mutuels. Sociétés ou caisses d'assurances mutuelles agricoles.

158.

§ 3. Sociétés. - 159. Sociétés anonymes et sociétés en comman

dite par actions. 160 Sociétés d'assurances mutuelles.

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