Page images
PDF
EPUB

en serait tout autrement dans les législations qui, comme le Code civil allemand, admettent la création de la fondation par acte unilatéral de volonté; même si elles exigent l'autorisation de l'Etat, elles voient le véritable acte créateur dans l'acte de volonté, et elles doivent logiquement considérer l'autorisation comme purement déclarative, et comme rétroagissant au jour où la fondation a été constituée (1).

162. Pratiquement c'est surtout à des dispositions à cause de mort que les fondations doivent leur origine. L'absence d'une institution juridique spéciale crée pourtant ici des difficultés graves. Le fondateur ne peut léguer ses biens à l'œuvre à fonder, puisque celle-ci n'existe pas encore. Il est donc obligé de prendre un détour, et de léguer à personne déjà existante, à charge par le légataire d'établir en fait la fondation. Les difficultés varient suivant le procédé employé.

1° L'intermédiaire choisi peut être une personne physique, simplement chargée d'affecter les biens au but que se propose le fondateur, sans être obligée de solliciter pour l'œuvre entreprise la personnalité morale. C'est le procédé du testament de Théophraste et du testament de Nicole, et nous le retrouvons chez nous fréquemment employé, par exemple dans le testament Baron, et dans le testament Graule, qui ont fait l'objet

(1) Aussi les auteurs allemands sont-ils disposés à admettre une vie embryonnaire de la fondation analogue à la vie embryonnaire de l'association. V. Gierke, Deutsches Privatrecht, § 78, no 3 (p. 651-652). La solution dépend d'ailleurs des idées théoriques sur la nature de la personnalité morale; le système de la fiction conduit à nier cette vie embryonnaire, puisqu'il considère l'autorisation de l'Etat comme l'acte créateur.

MICHOUD

30

l'un et l'autre d'une longue série de décisions judiciaires (1).

Au point de vue du résultat pratique, ce procédé est évidemment incomplet, parce que, n'aboutissant pas à la personnalité morale, et ne s'appuyant d'ailleurs sur aucune personne morale déjà existante, il n'assure pas, d'une manière suffisante, la perpétuité de l'œuvre. Au point de vue juridique, il doit, à notre avis, être considéré comme régulier; mais il a donné lieu à des objections que nous ne pouvons examiner ici dans tous leurs détails. La plus grave se présente dans le cas où le bien légué doit être en entier affecté à l'œuvre; on a pu soutenir dans ce cas, avec beaucoup de force, que le legs était nul parce

(1) Sur le testament de Theophraste, v. de Lapradelle, Théorie et pratique des fondations, p. 13. Sur le testament de Nicole, eod. loc., p. 114, note 4 (Denizart, v. Fideicommis, § 3, no 3, cite d'autres exemples). Sur le testament Baron, v. Orléans, 8 janvier 1885 et Cass. 5 juillet 1886. D. 86. 1. 465 ; et S. 90. 1. 241, note de M. Labbé. Angers, 22 juillet 1887. D. 89. 2. 4 ; et Req., 6 mai 1888. D. 89. 1. 314, et S. 90. 1. 241. La demoiselle Baron, avait légué tous ses biens au comte Armand de Biencourt, à charge d'établir à perpétuité, à Azay-le-Rideau, une école libre de garçons ; il était dit dans le testament qu'en aucun cas on ne pourrait changer l'affectation des biens légués, et que le légataire aurait soin de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la continuité de l'œuvre après sa mort. L'arrêt de la Cour d'Orléans annule ces dispositions, comme ne contenant pas un legs sérieux ; elles sont au contraire validées par les autres arrèts ci-dessus cités. Sur le testament Graule, v. Montpellier, 23 avril 1900, et Cass., 12 mai 1902, D. 1902. 1. 425, avec les conclusions de M. le procureur-général Baudouin. M. Graule avait institué comme légataires universels trois personnes, chargées d'employer les biens à la fondation d'une œuvre hospitalière dont la direction serait confiée à des religieuses, et, afin d'assurer la perpétuité de l'œuvre, avait engagé ses légataires universels à former entre eux une société civile de longue durée. Les deux arrêts ont admis la validité de cette disposition.

.qu'il ne comporte aucun avantage, même simplement éventuel, pour le légataire, et que l'animus donandi, cause essentielle de tout legs, lui fait défaut (1). Même pour le cas où la charge n'absorbe pas en entier l'émolument du legs, on peut encore objecter que les bénéficiaires de la fondation ainsi faites doivent être assimilés à des légataires, que ce sont des personnes incertaines, pouvant n'être pas même conçues à l'époque du décès du testateur, et que l'article 906 fait obstacle à la disposition faite en leur faveur. On peut objecter enfin que l'établissement même à créer est au fond le véritable légataire, et que l'article 911 fait obstacle à ce qu'il puisse recevoir, puisqu'il n'est pas une personne juridique et même ne doit jamais l'être.

La jurisprudence n'a pas cru devoir s'arrêter à ces objections: elle a répondu à la première que ce qui fait le legs, c'est la transmission à titre gratuit de la propriété des biens légués, et que, si le légataire devient incontestablement propriétaire, il importe peu qu'il n'acquière cette propriété qu'en assumant des charges capables d'en absorber l'émolument; que c'est à lui à apprécier s'il doit accepter, et que, s'il le fait, le legs est valable alors même qu'il constituerait le légataire en perte. Elle a répondu à la seconde et à la troisième que les articles 906 et 911 ne s'appliquent qu'au legs direct

(1) V. le développement de cette idée dans de Lapradelle, op. cit., p. 125 et s. (L'auteur vise l'hypothèse d'un legs à charge de fonder un établissement pour lequel on demandera la personnalité; mais l'objection est la même dans le cas contraire). Au raisonnement général indiqué au texte, il ajoute (p. 133) que, par là, on violerait l'art. 1026 C. c., qui refuse la saisine des immeubles à l'exécuteur testamentaire, parce qu'au fond le légataire dont il s'agit n'est pas autre chose qu'un exécuteur testamentaire

et non au legs fait indirectement sous forme de charge. La majorité de la doctrine s'est montrée disposée à accepter ces réponses (1). Les dispositions ainsi faites ne peuvent d'ailleurs être grevées d'aucune charge formelle de conserver et de rendre; elles tomberaient, en effet, par là sous le coup de la prohibition des substitutions, et on pourrait en outre leur reprocher d'aboutir à la constitution d'une mainmorte occulte. Il est clair que cette règle aggrave la précarité qui s'attache à toute fondation de ce genre.

163. 2o L'intermédiaire choisi est une personne morale, qui doit affecter les biens au but désigné, sans être obligée de solliciter pour l'œuvre entreprise la personnalité morale par exemple un legs est adressé à une commune à charge de fonder et d'entretenir une école dans des conditions déterminées, à une Académie à charge de distribuer des prix, etc. (2). Ici nous ne

(1) V. particulièrement la note de Beudant, sur l'arrêt de Besançon, 26 mars 1891, D. 93. 2. 1, et les nombreuses références qui y sont citées.

(2) Il faut classer dans la même catégorie la libéralité adressée à une personne morale existante, & charge par elle d'en faire bénéficier un service dont elle a la charge, mais qui n'est pas érigée à titre de personne morale : libéralités faites au département en faveur du service des enfants assistés; au maire, représentant légal des pauvres en faveur d'une œuvre municipale, crèche, nursery, ouvroir, etc., non personnalisée (V. notamment dans les Notes de jurisprud. administ., publiées en 1892, p. 183, les libéralités autorisées en faveur de crèches, qui, bien que n'étant pas reconnues d'utilité publique, se rattachent étroitement à l'Administration municipale). En la forme, les libéralités de ce genre sont souvent adressées à l'établissement non reconnu lui-même ; mais elles sont considérées comme s'adressant à la personne administrative compétente, avec charge d'en faire profiter l'œuvre en question. Toutefois, il faut pour cela que la libéralité vise les pauvres et non

retrouvons plus la première des objections adressées à la fondation par intermédiaire de personne physique (celle qui est tirée du défaut d'animus donandi); c'est bien, en effet, gratifier la personne morale que de lui donner des biens affectés au but ou à l'un des buts en vue desquels elle a été créée; par là on facilite sa tâche, et c'est la seule manière de gratifier une personne morale, puisque, à la différence des personnes physiques, elle n'a d'autres besoins que ceux des services dont elle est chargée. La seconde objection signalée plus haut, celle qui est tirée du caractère futur et incertain des bénéficiaires de la fondation, aurait il est vrai, la même valeur ici que pour les personnes physiques; mais nous avons vu que la doctrine et la jurisprudence ne s'y étaient jamais sérieusement arrêtées.

Aussi le procédé de fondation dont il s'agit est-il généralement approuvé de tous, et il est d'une pratique courante. Il présente l'avantage de n'être pas précaire comme la fondation par legs à personne physique, puisque l'intermédiaire choisi est une personne morale à vie indéfinie. En outre, il n'y a pas de danger qu'il aboutisse à la constitution d'une mainmorte occulte, puisque les legs à personne morale sont d'ordinaire soumis à autorisation du Gouvernement. Le procédé a cependant plusieurs points faibles : 1° il est fort pos

l'œuvre incapable elle-même. V. Derouin, Gory et Worms, Traité de l'assistance publique, t. 2, p. 440, et les arrêts des tribunaux judiciaires qui statuent en ce sens. C'est dans la même catégorie qu'il faut ranger les libéralités adressées aux fabriques, à charge de fondation de services religieux (fondation qui peut d'ailleurs aussi être faite avec la fabrique par voie de convention, et qui dans ce cas n'a pas le caractère de libéralité).

« PreviousContinue »