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Mais les principes de la Révolution et ses fausses lueurs se trouvaient tellement mélangés aux principes de la vérité religieuse et sociale, que de bons et grands esprits trompés par des sophismes déliés et menteurs ne pouvaient se dégager complétement de préjugés puisés dans l'éducation, dans des écrits funestes ou des raisonnements captieux. Il fallait un grand acte pour séparer complétement la vérité de l'erreur; il fallait une autorité incontestée et un courage au-dessus de toutes les considérations humaines, de toutes les vaines popularités et même au-dessus de toutes les terreurs. Un homme seul sur la terre pouvait frapper ce grand coup qui devait retentir jusqu'aux extrémités du monde c'était Pie IX. Il le fit avec une simplicité pleine de grandeur, par la constitution apostolique quanta cura suivie d'un résumé des erreurs de notre temps, devenu si célèbre sous le nom de Syllabus. Il condamnait du haut du trône apostolique les erreurs du monde moderne et les principes de 1789. Ce coup remplit de joie les vrais catholiques, remplit de rage les impies et étonna les esprits timides qui auraient voulu plus de ménagements pour des erreurs que le siècle était habitué à considérer comme les premiers principes de vérité.

Mais déjà, depuis quatorze ans, les événements ont parlé et confirment par la grande voix de l'expérience la parole de Pie IX. Les principes de la Révolution produisant leurs dernières conséquences, se démasquent eux-mêmes et apparaissent dans cette hideuse réalité qui, pendant près d'un siècle, avait été voilée par d'inconcevables préjugés étayés de raisonnements spécieux. A mesure que nous avançons, le Syllabus nous apparaît comme le vrai code religieux et social, comme le flambeau qui seul peut nons conduire au milieu des ténèbres amoncelées. On se prend à s'étonner du bruit qn'a fait dans le temps la proclamation de vérités si raisonnables, si modérées, si salutaires, et de l'espérance que nourrissaient certains hommes de voir

l'Eglise, se réconcilier avec les principes modernes de la Révolution.

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Cette admirable constitution est donc venue éclairer le monde social; elle trace d'une main sûre les droits et les limites des trois sociétés fondamentales de tout ordre : La famille, l'Etat, l'Eglise. Quel chemin parcouru depuis 1864, année de sa promulgation! - Les idées sur le mariage chrétien et l'éducation se rectifient; l'omnipotence de l'Etat et le suffrage universel font leurs preuves; l'Eglise faible, opprimée, inspire au mal une terreur qui la présente aux cœurs droits comme le salut des nations. Enfin, on commence à comprendre que c'est en reconnaissant à la famille, à l'Etat, à l'Eglise, leurs droits et les limites de leurs droits, tels qu'ils sont indiqués dans le Syllabus, que l'Europe et le monde pourront retrouver . la paix et la prospérité.

Mais Pie IX ne s'en est pas tenu à la théorie, et son action a été à la hauteur de ses enseignements. On peut dire de lui comme de saint Grégoire-le-Grand, qu'il a jeté du haut du trône apostolique des rayons de lumière qui ont illuminé le monde. Il s'est montré comme le représentant sur la terre du droit méconnu et foulé aux pieds, et lui seul, faible, désarmé, captif, il a su dire la vérité tout entière aux puissances de la terre pour soutenir la justice et défendre les opprimés. Il le faisait avec une force et une majesté qui le présentait à tous les yeux comme l'organe de Dieu sur la terre et courbait la tête de ses ennemis mêmes, en même temps qu'elle imprimait à tous le respect et l'amour. Il n'a cessé de foudroyer de ses anathèmes les sociétés secrètes qui sont la plaie de notre société contemporaine. Il a protégé, il a encouragé et excité tous les admirables efforts qui se font partout pour le relèvement du monde chrétien. Quelles sont les œuvres qu'il n'a pas activées de son souffle puissant? La liberté d'enseignement, les Universités catholiques, les œuvres de la presse, les œuvres ouvrières, les comités catholiques, etc., recevaient

son

de lui le mouvement et la vie. Son nom était partout, action était partout, et cela était tellement passé dans l'ordre des choses, qu'on ne s'en étonnait pas plus que de voir le soleil chaque jour illuminer et échauffer la terre. Et si nous jetons un regard sur les contrées les plus éloignées et les plus barbares, nous constatons que son action civilisatrice a pénétré partout, et que près de cent vicariats apostoliques ont été créés par lui depuis les extrémités de la Chine et du Japon jusqu'aux contrées sauvages de l'Afrique centrale.

Tel a été le Pape Pie IX, et c'est pour cela que nous ne craignons pas de présenter son pontificat comme le phare social du monde moderne. D'ailleurs la mort du grand Pontife ne peut arrêter le mouvement. Ce mouvement avait commencé avant lui, il continuera après lui. Il lui a donné, il est vrai, une activité prodigieuse, mais il faut considérer au-dessus de lui un moteur infini qui ne meurt pas, et qui gouverne l'ensemble du mouvement pour le conduire à un but déterminé. Quels événements vont remuer les sociétés européennes, nous ne le savons; mais nous verrions sans étonnement Celui qui gouverne les royaumes et les empires, aprés avoir posé les prémisses pendant le grand pontificat qui vient de finir, tirer les conséquences pratiques sous le pontificat qui va commencer. Aussi nous serions heureux de pouvoir offrir à nos lecteurs le tableau moral et social des sociétés européennes, telles qu'elles sont aujourd'hui, afin qu'ils puissent, dans quelques années, y lire les changements qui auront été accomplis par la main des événements.

Sans doute, Pie IX apparaîtra plus grand encore à mesure que les événements nous apprendront que sa noble âme unie à la sagesse infinie y puisait des lumières fécondes pour le gouvernement de l'Eglise et pour l'instruction des nations. Pour nous, dans notre modeste sphère, nous chercherons à développer de notre mieux ses enseignements. Notre œuvre a été bénie par lui, nous ne

doutons pas qu'il ne continue à la protéger, et au milieu de la lutte, dans les moments où notre courage et notre force sembleront défaillir, nous nous souviendrons de ses encouragements paternels, lorsqu'il nous disait, plein d'amour pour la France, sa fille bien-aimée : « Nous demandons à Dieu, source de toute justice, des forces qui vous permettent d'être vraiment utiles à votre patrie, de contribuer à hâter pour elle des temps meilleurs, que nous appelons nous aussi avec un immense désir pour son salut et pour sa gloire: Quem pro ejus salute et gloria impensissimo animo expectamus » (1).

Au moment où nous traçons ces lignes, le cardinal Pecci, sous le nom de Léon XIII, monte sur le Siége apostolique et l'Eglise continue avec calme sa marche bénie au milieu des nations agitées.

JOSEPH CLÉMENT.

QU'EST-CE QUE LA RÉVOLUTION?

Sous ce titre le docteur Stahl, professeur de droit à l'Université de Berlin, publia, en 1852, un discours qu'il avait prononcé dans la Réunion évangélique. Ce discours produisit en Allemagne une impression profonde, on demanda de l'entendre à la Cour de Berlin. Depuis, des événements divers ont agité l'Europe et ont pu le faire oublier, sans rien enlever à son actualité. Aussi l'un de nos correspondants vient de nous le faire parvenir (2). On

(1) Bref à la Revue catholique des Institutions et du Droit, du 19 avril 1873.

(2) Il a été publié dans le journal l'Assemblée nationale, 1852.

nous a même prié, d'autre part, d'en faire une brochure et de la répandre, car c'est la définition la plus ferme, la plus claire, la plus lumineuse de la révolution. Nous nous contenterons cependant de l'insérer dans la Revue, et nous croyons que nos lecteurs nous saurons gré de le leur procurer. Quoiqu'il sorte de la plume d'un protestant, on pourra constater que, d'un bout à l'autre, il appartient à la doctrine catholique. Sauf quelques passages, nous le reproduisons tel qu'il a été publié, sans réflexion et sans commentaire.

Qu'est-ce que la révolution ? Qu'est-ce que rompre avec la révolution?

Révolution veut-elle dire la violence exercée par le peuple contre l'autorité? Est-elle synonyme de rébellion? Nullement ! La révolution n'est pas un acte, mais un état continu, un nouvel ordre de choses. De tout temps, il y a eu des rébellions, des changements de dynastie, des renversements de constitution. Mais la révolution porte la griffe particulière et distinctive de notre époque.

Ou bien, la révolution signifie-t-elle: Liberté politique, Institutions libérales? Faut-il n'être pas révolutionnaire et être partisan de la monarchie absolue, d'un pouvoir de police sans loi, de l'immutabilité des vieilles formes du droit? Est-on révolutionnaire pour désirer une alliance plus étroite des Etats allemands, ou bien une protection en faveur du Schleswig contre le Danemarck? Est-on révotionnaire pour s'opposer à la volonté du roi et de ses ministres ?.... Non!

La liberté politique, l'unité et la puissance des Etats allemands sont des buts conformes à l'ordre divin. Une résistance loyale contre l'autorité peut être ordonnée par la loi de Dieu. Thomas Morus refusant au roi de reconnaitre sa suprématie sur l'Eglise n'était pas révolutionnaire. Si donc la révolution n'est ni la rébellion, ni la liberté politique, qu'est-ce donc que la révolution?

La révolution, c'est une doctrine politique dominant depuis 1789 tous les esprits, et définissant les lois de la vie

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