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1837, qui aujourd'hui fait loi. Personne n'ignore qu'aucune disposition n'est formelle, dans le Code civil, quant à la nullité des mariages contractés par des personnes engagées dans le lien sacerdotal, mais la conscience publique, sur ce point, sait faire respecter la loi morale et religieuse. Pourrions-nous croire qu'en matière d'égalité de partage, on ne sut pas remonter, si on le voulait bien, aux principes économiques, et faire une meilleure et plus saine appréciation de la liberté, dont le père de famille doit jouir. La jurisprudence aurait, dans ce cas, une voie toute tracée, si elle cherchait ailleurs que dans l'esprit du Code civil la raison de ses jugements et de ses arrêts. D'éminents économistes ont donné, sur ce sujet, des sortes de consultations, très-propres à concilier le texte de la loi écrite, plus large qu'on ne l'estime, avec les intérêts de l'agriculture et de la morale. La réforme pourrait ainsi venir de la jurisprudence, mieux éclairée, avant de s'imposer formellement au législateur.

L'influence chrétienne, à laquelle nous devrons toutes ces réformes, n'est pas d'ailleurs une loi tyrannique, et sollicitant sans cesse, pour triompher, le secours de la force. La France et l'Europe ont mis des siècles entiers à entrer dans le courant catholique. C'est à l'opinion d'abord, et à la raison, que s'adresse la doctrine religieuse, qui a pour elle la vérité, et après avoir pris l'homme par cet endroit, elle n'a aucune peine ensuite à le pénétrer de toutes parts, et à le rendre captif sous ses liens. Heureux les peuples qui ne craignent pas de se laisser enchaîner sous cette autorité, lá seule capable, après tout, de faire entrer dans leurs institutions politiques et sociales, la liberté qu'ils recherchent si avidement! Veritas liberabit vos.

A. MARCHAL.

IMMUNITÉS DES BIENS D'ÉGLISE ET DU CLERGÉ

Sous les Empereurs romains.

(SUITE) (1).

LE DROIT D'ASILE (2).

Dans l'antiquité, alors que la force brutale non-seulement primait le Droit, mais formait à elle seule le Droit, les malheureux, poursuivis injustement, n'avaient d'autre ressource que de se réfugier dans les temples des dieux le sentiment de respect ou plutôt de terreur qu'inspirait la divinité était seul assez puissant pour arrêter les persécuteurs et les tyrans. Les premiers asiles furent donc les bois sacrés et les temples; le premier pas de la civilisation fut de consacrer comme une règle de Droit la coutume qui interdisait de saisir ou de mettre à mort ceux qui s'y réfugiaient. La Grèce était riche en lieux d'asile (aula) (3). Rome en eut dès son origine : Romulus ayant, d'après la tradition, ouvert un asile dans la nouvelle cité pour augmenter le nombre de ses habitants (4). Plus tard, Tacite nous apprend comment, à l'époque de la grandeur romaine, Tibère sut réprimer les abus du Droit d'asile, en vertu duquel on prétendait accorder aide et protection aux criminels les plus convaincus et les soustraire à l'action

'1) Voir 5 année, 2° sem., p. 241, 300 et 381.

(2) C'est l'orthographe actuelle; mais asyle répondait mieux à l'étymologie du mot. On trouvera dans le Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, par MM. Daremberg et Edmond Saglio au mot asylia, l'indication exacte de toute la littérature ayant trait aux asiles.

(3) Thucyd., 1, 126 et suiv.; — - Cornel. Nep., Vit. Paus., IV, 4; -TiteLive, xxxv, 51.

(4) Tite-Live, 1, 8; Virg., Aen., VIII, 342 et suiv.: XLVII, 19; - voir aussi Denys d'Halic., IV, 26.

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Dion Cass.,

de la justice (1); puis comment, à raison de l'idée de toutepuissance et de divinité qui s'attachait à la personne des empereurs, il s'établit un Droit d'asile nouveau, attribuant aux temples élevés à la mémoire des empereurs défunts, aux statues et aux images des empereurs régnants, le privilége de garantir la vie des innocents. Mais, ici encore, Antonin-le-Pieux dut supprimer de nombreux abus (2).

Le Droit d'asile, sous des formes quelque peu différentes il est vrai, avait donc existé à l'origine chez tous les peuples parmi les païens aussi bien que les Juifs, dont les villes lévitiques étaient autant d'asiles. Ce Droit s'était même conservé chez les peuples, malgré le progrès des mœurs, en subissant, toutefois, de notables changements, jusqu'au moment où l'Eglise catholique, proclamée religion d'Etat et revendiquant partout où elle pouvait la protection des faibles et des opprimés, réclama pour elle-même et pour ses temples le privilége d'offrir un refuge assuré à ceux que l'on poursuivrait à tort. Telle fut l'origine du Droit d'asile chrétien (3). On dit qu'il en fut question pour la première fois dans un acte de législation ecclésiastique, au Concile de Sardique (343 ou 344). Mais peut-on voir le Droit d'asile proprement dit dans le septième canon où se trouve, comme par incident, ce passage : « Quoniam sæpe contingit, ut ad misericordiam Ecclesiæ fugiant, qui injuriam patiuntur, et qui peccantes in exilium vel in insulas damnantur aut certe quamcumque sententiam suscipiunt, ideo subveniendum est his, et sine dubitatione eis est petenda per Ecclesiam indulgentia. » Selon Mer Héfelé (Conciliengeschichte, II, 77), c'est au quatrième Concile de Carthage, tenu en 399, que deux Evêques furent désignés pour aller demander à l'empereur Honorius le Droit d'asile en faveur des églises. Le Concile d'Orange (441) porta ce

(1) Suet. Tiber., c. 37;

(2) Tacit., III, 36.

Tacit., Ann. II, 60, 61, 62.

(3) V. Serrigny, ouvr. déjà cité, t. 1, p. 410 et suiv.

canon (le cinquième entre les trente que l'on reconnaît comme authentiques : « Qui s'est réfugié dans une église ne doit pas être livré (extradé), mais protégé par respect pour le saint lieu (1). » L'effet de cette protection consistait en ce que le fugitif ne pouvait être arraché de l'asile, ni livré par l'Evêque, qu'à la condition que celui qui le réclamait ne lui ferait subir aucune mutilation, ni la peine de mort.

Les services qu'à cette époque l'Eglise fut ainsi appelée à rendre par sa médiation aux différentes classes de la société sont incalculables. Les discordes qui agitaient si souvent les grandes cités eussent à plusieurs reprises amené effusion de sang, si le parti vaincu n'avait pu trouver dans les églises une protection suffisante pour se garer du fer des ennemis, et si les Evêques n'étaient intervenus pour obtenir le pardon des vainqueurs. Au milieu des troubles et des commotions de l'Orient, saint Ambroise eut plusieurs fois l'occasion de s'interposer et d'arrêter ainsi des massacres prêts à fondre sur des populations entières (2). Souvent aussi, les esclaves venaient chercher dans les églises un abri contre les fureurs et les cruautés de leurs maîtres, et dans l'intervalle les Evêques et les clercs s'employaient à calmer ces derniers. D'autres fois, c'étaient des débiteurs malheureux, poursuivis comme une proie par des créanciers sans pitié; ils cherchaient là une retraite pour éviter le mauvais parti dont ils étaient menacés, et de pieux Evêques ou les clercs s'occupaient aussitôt de faire une collecte dans les villes ou dans les paroisses pour sauver ces pauvres réfugiés; très-souvent, ils leur faisaient des avances de deniers pris sur la caisse de l'église, ou ménageaient un accommodement entre les parties, quand ils ne faisaient pas comme saint Augustin,

(1) Conciliengesch., 11, 293, 661, 686, etc.

(2) Ambr., epist. LVIII et LXXXVII ; - V. Thomassin, ouvr. déjà cité, t. v, 11' partie, liv. III, ch. 95.

qui paya sur sa fortune personnelle la dette considérable d'un certain Faustinus (1). Mais de même que dans l'antiquité, le Droit d'asile païen, à côté des bienfaits qu'il avait rendus, avait fréquemment dégénéré et amené de nombreuses injustices en favorisant trop souvent les malfaiteurs, il dégénéra de même, bien que devenu une institution chrétienne, par suite de la conduite inconsidérée ou de la compassion mal réglée de certains Evêques et de l'intervention parfois violente de certains moines. A côté de cela, il y aurait de la partialité et même de l'injustice à mettre au compte des Evêques, des clercs et des moines, tous les actes d'arbitraire et de violence qui se produisirent à l'occasion de l'exercice du nouveau Droit d'asile; il ne faut pas oublier que ce Droit, par la raison même qu'il ne devait pas son existence à une loi formelle, mais bien à la coutume et à d'antiques usages, était souvent méconnu ou contesté par des fonctionnaires jaloux de leur autorité ou hostiles au clergé (2). C'est ainsi que, par les excès des uns et des autres, cette institution, dont les citoyens n'avaient à attendre que des bienfaits et qui ne devait produire que des fruits de paix et de concorde, était détourné de son but et provoquait des collisions entre les pouvoirs publics et les représentants de l'Eglise; il y avait donc urgence à ce que la loi en vint régler l'exercice pour l'avenir.

Un premier tort de la part des Evèques ou de certains clercs, avait été de chercher parfois à entraver le cours de la justice, en soustrayant à son action, à la faveur du Droit d'asile, des parjures et d'autres criminels (3). Mais ce qui était bien plutôt fait pour exciter la colère des empereurs, était de voir les églises devenir un lieu de refuge assuré pour les citoyens qui ne payaient pas les impôts et échappaient ainsi, pendant assez longtemps, aux poursuites dont

(1) Aug., ep. 268 resp. 215; ep. CLIV et de Verbis Apost., serm. 18. (2) Riffel, 1. c., p. 254, en donne des exemples.

(3) Aug., ep. 250; Riffel, 1. c., p. 257.

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