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il ne dit pas qu'un homme commandera à un autre homme et régnera sur lui. Mais il créa les hommes avec un jugement raisonnable, droit et libre. Ceux-ci, unis entre eux et usant de leur raison, s'élurent un roi dans l'intérêt public et pour le bon gouvernement des peuples. Or ce jugement rationnel droit et libre procéda immédiatement de Dieu, et par conséquent le pouvoir qui en dérive vient aussi de Dieu. » Il poursuit en rendant un tribut de soumission au dogme catholique, et s'appuie sur ce passage des Proverbes Per me reges regnant et legum conditores justa decernunt. »

D'ailleurs, si l'autorité est dans tous les hommes réunis, elle est aussi dans chacun d'eux, et c'est la cession que chacun en fait pour sa part qui constitue le pouvoir du gouvernement ou du chef. Or, après ce que nous venons de dire, il est difficile de comprendre le sens de ces mots : Autorité sur soi-même, pris dans un sens absolu. Il est plus logique de dire : « Je dispose de mes facultés, je coordonne mes actions et j'en ai la responsabilité, » que de dire « J'ai une autorité sur moi-même. » Et puis, s'il était exact de dire que l'homme exerce une autorité sur sa volonté, dans tous les cas cette volonté s'exerce dans la conscience, qui se dirige et se gouverne d'après les lois qui lui ont été imposées par le créateur.

Enfin la formation d'un corps social rend nécessairement les individus inégaux, puisque quelques-uns sont mis audessus des autres. Mais comme les partisans de la communauté nationale soutiennent que tous les hommes sont égaux, et que Rousseau, avec son école, prétend que les droits politiques sont inaliénables et intransmissibles, il suit que la souveraineté nationale est la plus notoire et la plus palpable des contradictions.

Le révérend Gual expliqne cela avec beaucoup de clarté, par les paroles suivantes : « Une saine philosophie ne pourra jamais comprendre comment un individu peut être à la fois et par rapport à lui-même souverain et sujet, lé

gislateur et subordonné, ayant des lois pour se gouverner lui-même, qu'il ne peut céder, parce qu'ils sont naturels et imprescriptibles, et ne les ayant pas parce qu'il les a cédés par une convention. Et cependant ces choses sont les bases fondamentales du système du peuple souverain. Dans ce système, en effet, chaque individu de la nation établit la loi et se l'impose à lui-même, car le législateur est son représentant, il est la personnification du délégué, il agit par suite du droit qui lui a été transmis par le mandant, sans la délégation duquel il ne pourrait rien décréter. Rien de plus vrai que cette proposition: qui per alium facit per seipsum facit; tous les jours elle est mise en pratique. Voilà donc l'individu qui, en même temps qu'il est législateur et souverain, est, sous le même aspect, sujet et subordonné. Il est en même temps celui qui s'impose la loi, celui qu'enchaîne cette loi, celui qui obéit à cette même loi. Nul autre, d'après ce système, ne pourrait la lui imposer, car il considère tous les individus comme égaux, libres, indépendants; or, il est évident qu'un égal ne peut imposer la loi et commander à un égal, libre aussi et indépendant. Ainsi nous avons dans le même temps et sous le même rapport, souverain et sujet, législateur et subordonné. Est-il rien de plus paradoxal? »

Ce système présuppose l'égalité naturelle et sociale des hommes, être de raison qui ne se conçoit pas et ne peut se réaliser. Les hommes sont égaux par nature en ce sens qu'ils naissent ayant une même nature, et avec le même droit au respect de leurs semblables et à celui de la loi, mais les hommes sont bien loin d'être égaux par la nature de la société; car, comme nous l'avons déjà établi, il est indispensable qu'il y ait un gouvernement et qu'on lui obéisse; et si on consulte la raison, pour peu qu'on veuille en faire usage, on reconnaîtra qu'il est également indispensable que nous dépendions les uns des autres, comme les besoins sociaux et la nature même l'exigent.

Ce n'est pas le cas de parler ici ni d'esclavage ni de ty

rannie. Jamais l'abus que les gouvernements pourront faire de leur pouvoir ne démontrera la fausseté de la notion du pouvoir telle que nous l'avons donnée. On ne doit pas non plus établir une telle corrélation entre les deux états exprimés par ces mots : maître et esclave qu'on doive conclure que dès lorsqu'il y a un maître il y a aussi l'esclave. Le docteur angélique, saint Thomas, fait à cet égard une lumineuse distinction. « Le pouvoir, dit-il, s'entend de deux façons, l'un comme étant l'opposé de l'esclavage, c'est ainsi qu'on appelle seigneur celui à qui quelqu'un est assujetti comme esclave; l'autre, qui indique celui à qui on est soumis d'une manière quelconque; et dans ce sens on appelle seigneur celui qui a l'office de gouverner et de conduire des hommes libres. » Cette distinction explique clairement comment un prince peut s'appeler maître, seigneur et seigneur naturel de ses sujets, sans que ceux-ci cessent d'être libres, ni que leurs droits soient le moins du monde. affaiblis.

Parlant sur le même sujet, l'abbé Pey dit ce qui suit : «Dieu étant infiniment sage et juste a voulu que les hommes en vivant en société, vécussent selon la justice et qu'ils fussent liés entre eux par une mutuelle relation de secours qui tendit à assurer le bien de tous. Mais cet ordre ne pouvait subsister sans l'institution d'une puissance souveraine, dont l'origine, si elle ne procède d'un ordre exprès de Dieu, a du moins son principe dans le dessein général de la Providence, qui, attentive aux besoins de l'homme, devait établir dans l'ordre moral comme dans l'ordre physique, certaines lois, avec une puissance chargée de leur conservation et de leur accomplissement... Comme Dieu seul est le souverain naturel des hommes, que la nature, dit Domat, a fait égaux, de Dieu seul ceux qui gouvernent peuvent recevoir leur autorité, et c'est ce même Dieu qu'ils représentent dans l'exercice de leurs fonctions. Nous n'attribuerions donc pas à la souveraine autorité des princes une origine assez noble, et nous ne lui reconnaîtrions pas des

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fondements assez solides, si nous ne lui donnions que le contrat social pour origine. Il est vrai que ce sont les besoins de l'humanité qui ont déterminé les peuples à se réunir sous différentes formes de gouvernement, mais il n'est pas moins certain que l'autorité de ceux qui gouvernent a son origine dans l'ordre de la Providence, et que la puissance qu'ils exercent est émanée de Dieu même. >>

L'illustre Balmès a traité également cette matière et a établi l'opinion que nous soutenons nous-mêmes, par une suite de raisonnements décisifs et d'irrécusables autorités. Voici un fragment qui résume admirablement toute la doctrine qu'il expose :

<< La vraie philosophie est parfaitement d'accord avec la doctrine catholique en ce qui concerne la question du droit divin, considéré en lui-même. Si, en effet, le pouvoir civil ne vient pas de Dieu, quelle origine pourra-t-on lui assigner? Sur quel principe un peu sûr sera-t-il possible de s'appuyer? Si l'homme qui l'exerce ne donne pas le ciel pour base à la légitimité de son mandat, tous les autres titres seront impuissants pour défendre son droit. Ce droit sera radicalement nul, et cette nullité sera absolue et sans remède. Si nous considérons en Dieu l'origine de l'autorité, nous concevons facilement le devoir de nous soumettre à elle. Cette soumission n'offense en rien notre dignité; mais dans le cas contraire, nous voyons dans le pouvoir la force, l'astuce, la tyrannie, quelque chose qui n'a rien à faire avec la raison et la justice. On peut voir une nécessité de se soumettre, d'obligations aucunes. A quel titre un homme aurait-il la prétention de nous commander? A cause de la supériorité de son intelligence? Qui a jugé le fait et lui a adjugé la palme? Au reste, cette supériorité ne fonde pas un droit; une supériorité d'intelligence peut fournir en quelques cas une direction utile, mais jamais obligatoire pour ceux qui la reçoivent. Arguera-t-il de la supériorité de la force? Dans ce cas, le roi du monde devrait être l'éléphant. Alléguera-t-il qu'il est le plus riche? La raison

et la justice ne consistent pas dans des métaux. Le riche est né dénué de tout, et quand il descend dans la tombe, qu'emporte-t-il? Ses richesses peuvent lui servir sur la terre de moyen pour acquérir le pouvoir, mais non pas de titre pour le légitimer. Dira-t-il, enfin, que le pouvoir lui a été octroyé par d'autres hommes? Qui les a établis, ces hommes, nos mandataires! Mais, de plus, comment pourrons-nous nous flatter d'avoir eux et nous les droits que suppose l'exercice du pouvoir civil? Et si nous ne les avons pas, comment pourrions-nous les déléguer? »

Il faut conclure de tout ce qui précède, qu'aux yeux de la raison que n'égare pas la passion et qui ne se laisse pas dominer par des préventions injustes, l'origine du pouvoir civil est de droit divin. Reste à étudier brièvement la question au point de vue du droit positif chrétien.

(A suivre.)

BIENVENIDO COMIN, avocat,
Sarragosse (Espagne).

ÉTUDES SUR LE SOCIALISME

(Conférences du P. Félix), 2o article.

LA PASSION SOCIALISTE. L'ACTION OU LA CONSPIRATION SOCIALISTE (1).

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Dans l'article précédent, nous avons considéré le Socialisme comme une idée qui se propage par toutes les voix de

(1) Les conférences sur le Socialisme du P. Félix, qui vont être bientôt livrées à la publicité, nous paraissent une étude extrêmement solide et élevée de notre situation actuelle et de notre grande plaie sociale. Aussi, nous continuerons à en donner, sinon le texte, au moins la substance très-exacte à nos lecteurs. Par suite de notes inédites que veut bien nous communiquer l'auteur, nous pourrons compléter ce travail par l'examen du Socialisme dans ses rapports avec la richesse sociale.

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