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déjà cité, veut que le consentement qui fait les contrats puisse aussi les dissoudre : Quæ consensu contrahuntur, contrario consensu dissolvuntur. Sans entrer dans la discussion que pourrait soulever la question de savoir si ce second principe est, comme le premier, de l'essence du contrat, opinion qui pourrait très-bien se soutenir, et que je crois même fondée, je ferai remarquer que tous les contrats sont soumis à cette règle : tous sont dissolubles. En est-il de même du mariage? Les époux peuvent-ils le dissoudre d'un commun accord?

Pour un catholique, la réponse ne saurait être douteuse : Quod Deus conjunxit homo non separet, et alors même que la loi proclamerait la dissolubilité du mariage, comme elle le fait dans certains pays, le mariage n'en resterait pas moins indissoluble. Cette loi serait nulle de plein droit comme l'est toute loi immorale et contraire aux commandements de Dieu. Non, le mariage ne peut pas être dissous, il ne peut pas l'être, précisément parce que ce n'est pas la volonté des parties qui la crée, parce que c'est Dieu qui a formé le lien, et que, lui seul, dès lors, pourrait rompre ce lien qu'il a formé.

Toute volonté humaine est impuissante. Or, quel est le contrat qui offre ce caractère? Il n'y en a aucun. Mais, dira-t-on, les conventions matrimoniales, elles aussi, sont indissolubles? Il faut distinguer de ce que dans un intérêt d'ordre public, et pour couper court à toute fraude, l'article 1395 du Code civil ait décidé qu'après la célébration du mariage aucune modification ne pourrait être apportée aux clauses du contrat qui règle les intérêts pécuniaires des époux, il n'en résulte pas que ce contrat soit indissoluble. Il n'est plus modifiable, voilà tout. J'irai même plus loin: si, pour des raisons particulières, le législateur avait décrété l'indissolubilité de cette convention, cette indissolubilité serait purement de fait et ne serait pas, à proprement parler, de l'essence de la convention, puisque nous pourrions toujours nous la figurer sans ce caractère. Il n'en est

pas de même du mariage; remarquons-le bien, chez lui, l'indissolubilité est tellement de son essence, que sans elle il n'existerait pas.

Mais cette prétendue indissolubilité des conventions matrimoniales n'existe même pas ! Elles ne peuvent recevoir aucune modification après la célébration du mariage, c'est vrai, mais elles sont tellement peu indissolubles que le Code lui-même a prévu le cas de leur dissolution. La communauté n'est-elle pas dissoute par la séparation de corps et la séparation de biens? (Art. 1441, Cod. civ.)

On le voit donc à ce second point de vue, encore, le mariage diffère essentiellement des contrats. Il est indissoluble; ils ne le sont pas, et j'ajoute qu'ils ne peuvent pas l'être. La volonté de l'homme est trop mobile pour pouvoir imprimer à un contrat le caractère d'indissolubilité; et, alors même que la loi proclamerait l'indissolubilité d'un contrat, elle n'en changerait pas la nature. Par la contrainte, elle pourrait bien lui donner une espèce d'indissolubilité de fait, mais, dans son essence, il serait toujours dissoluble. Dieu seul ne change pas, lui seul peut donc marquer un acte du caractère de l'indissolubilité !

Qu'on ne me dise pas que chez les Hébreux le divorce était admis, et que, par suite, l'indissolubilité n'est pas de l'essence du mariage. Il faut distinguer ici ce qui est permis de ce qui est toléré. Or, le divorce n'a pas toujours été admis chez les Juifs; il ne l'a été qu'à une époque où la corruption des mœurs était tellement grande, que Moïse dut le tolérer pour éviter un plus grand mal. C'est là, du reste, une vérité que l'Evangile nous enseigne : « C'est à cause de » la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de ren› voyer vos femmes; mais cela n'a pas été ainsi dès le

› commencement. »

L'indissolubilité du mariage existait donc même chez les Hébreux, « dès le commencement, » et si le divorce fut toléré plus tard, c'était à cause de leur « dureté de cœur. » Cette tolérance prouve, même à mon sens, l'indissolubilité

du mariage; si, en effet, le mariage avait été dissoluble, aurait-on eu besoin d'une loi spéciale pour permettre le divorce?

Il me semble qu'on peut conclure de ce qui précède que le mariage, ne possédant aucun des caractères des contrats, ne peut pas être confondu avec eux. Il se forme à la manière des contrats, il naît d'un contrat, mais il n'est pas plus un contrat, que la propriété, par exemple, qui elle aussi naîtra le plus souvent d'un contrat.

Le mariage n'est donc pas un contrat, mais comment le définir? Pour répondre à cette question, je ne puis mieux faire que de citer le Catéchisme Romain. Je dirai donc, avec l'Eglise : « Matrimonium est viri et mulieris maritalis » conjunctio inter legitimas personas, individuam vitæ » consuetudinem retinens, » ou, plus brièvement encore, suivant l'énergique expression de Domat : « Le mariage est un lien formé par la main de Dieu. >>

Laissons donc de côté la qualification de contrat, ne l'appliquons pas à un acte aussi auguste que le mariage, à une institution divine, élevée à la dignité de sacrement! Réservons-la, si l'on veut, à cette monstrueuse création du mariage civil qui, lui, est bien certainement un contrat, mais un contrat que réprouvent la conscience et la dignité de l'homme.

DONAT BÉCHAMP,

Avocat à Lille.

DES SOUSTRACTIONS COMMISES ENTRE PROCHES PARENTS.

Il y a quelques mois, M. l'avocat général Robinet de Cléry analysait ici, dans un très-remarquable article, les éléments constitutifs du vol. C'est, pour ainsi dire, la suite

de cette étude que nous venons essayer de tracer, en examinant les cas dans lesquels l'action de vol ne donne pas lieu à l'action criminelle.

L'article 380 du Code pénal dispose que « les soustractions commises par des maris au préjudice de leurs femmes, par des femmes au préjudice de leurs maris, par un veuf ou une veuve, quant aux choses qui avaient appartenu à l'époux décédé; par des enfants ou autres descendants au préjudice de leurs pères ou mères ou autres ascendants, par des pères et mères ou autres ascendants au préjudice de leurs enfants ou autres descendants, ou par des alliés aux mêmes degrés, ne pourront donner lieu qu'à des réparations civiles. >>

Quels sont les motifs de cette disposition? La loi a-t-elle pensé qu'à raison de la communauté d'intérêts, qui existe entre ces personnes, on ne trouvait pas ici tous les éléments du vol, ou a-t-elle cru devoir, en considération de l'intimité de leurs rapports, écarter l'action criminelle d'un délit qui, d'ailleurs, réunit toutes les conditions nécessaires pour constituer un vol? L'intérêt de la question est des plus graves. En effet, si la loi ne voit pas un vol dans ces soustractions, les tribunaux ne pourront en tenir compte dans les cas où un délit, accompagnant un crime, emporte une aggravation de peine, et notamment dans le cas de meurtre (art. 304).

La Cour de cassation, dans une jurisprudence constante, a admis que ces détournements renfermaient tous les caractères du vol, et elle fonde son opinion sur ce que la disposition de l'article 380 ne s'applique que lorsque le vol est isolé, et non lorsqu'il est connexe avec un autre délit ou un autre crime.

Faisant application de cette jurisprudence, précisément au cas de meurtre, elle a jugé que la soustraction, commise par une fille à la suite du meurtre de son père, constituait une circonstance aggravante et devait entraîner la peine de mort: « Attendu que les exceptions portées par

l'article 380 du Code pénal, qui s'opposent à l'exercice de l'action publique, ne sont applicables qu'au cas où le vol forme l'objet principal de la prévention, et non à celui où il n'en est qu'un accessoire, comme dans le cas prévu par l'article 304, parce qu'alors le vol que le meurtre a précédé, accompagné ou suivi, n'est pas seulement un crime connexe avec le crime de meurtre, mais bien une circonstance aggravante de ce crime, puisqu'il donne lieu à une aggravation de peine; d'où il suit que l'article 304 renferme des dispositions générales qui ne peuvent être modifiées par les exceptions portées en l'article 380, lorsqu'elles doivent être appliquées limitativement au fait du vol isolé de tout autre crime (1). »

Cette jurisprudence doit-elle être suivie? Nous ne le croyons pas, et c'est ce que nous essayerons de démontrer en examinant les dispositions de l'ancien droit, les travaux préparatoires et le texte même de notre article.

Dans l'ancien droit, on faisait reposer l'immunité qui couvrait les soustractions commises entre époux, ascendants et descendants, « sur l'espèce de droit que ces sortes de qualités donnent sur la chose même que l'on soustrait (2). » C'était établir clairement que cette immunité venait de cette sorte de copropriété admise, entre les membres d'une même famille, par toutes nos anciennes coutumes, et que, par suite, les peines étaient écartées, parce qu'un des éléments essentiels du vol était absent. Ce sont ces mêmes raisons qui apparaissent sous une forme différente, dans l'exposé des motifs fait par M. Faure, à la séance du Corps législatif du 9 février 1810: « Il serait extrêmement dangereux qu'une accusation puisse être poursuivie dans des affaires où la ligne qui sépare le manque de délicatesse du véritable délit, est souvent difficile à saisir (3). »

(1) Cass., 2 déc. 1837.

(2) Muyart de Vouglans, Lois crim., p. 283.

(3) Locré, t. xxi, p. 141.

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