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courants sous-marins qui surprennent les imprudents et font qu'un très-petit nombre arrive au port: apparent rari nautes in gurgite vasto. Qui comptera toutes les victimes de l'opinion? Ceux qui la suivent aujourd'hui seront les naufragés de demain comme ceux de la veille. Elle ne flatte davantage que pour perdre plus sûrement; car il lui est impossible d'avoir toujours les mêmes favoris. Après avoir infligé toutes sortes de bassesses et d'humiliations à ses adhérents, elle les brise sur ses rivages, d'où l'on ne se relève presque jamais, sauf devant sa conscience et devant Dieu.

Heureux encore si l'opinion ne comptait d'autres victimes que celles de l'ambition; mais elle fait subir des naufrages à la raison et à la foi catholique. Car, en même temps qu'elle exige le sacrifice de la raison et souvent du sens commun, elle demande à ses adeptes une sorte d'apostasie pratique, ou leur interdit toute manifestation de leur foi, si la foi, comme il arrive presque toujours, n'est pas dans le courant de l'opinion, parce qu'elle n'est pas de ce monde. Qui ressemble mieux à un athée que celui qui se laisse entraîner au courant de l'opinion? Il ne doit pas avoir de convictions personnelles d'autres pensent pour lui, écrivent ce qu'il doit penser et dire. Hasarder un autre jugement que celui de l'opinion, ce serait éveiller ses susceptibilités. Elle ne permet pas qu'on entende d'autres leçons que les siennes un regard de convoitise ou une simple curiosité serait un prisme à ses yeux. Et l'imprudent qui serait pris en flagrant délit de lecture d'un livre, d'une revue ou d'un journal, qui ne seraient pas les siens, entendrait son sifflet ou essuierait sa colère. Que la vérité soit la vérité tant qu'elle voudra; l'opinion, c'est l'opinion. Et si jamais la vérité veut avoir ses sympathies ou un sourire de bonne grâce de sa part, il faut qu'elle se range sous son drapeau et courbe la tête modestement voilée. Du reste, elle ne dit pas qu'elle ne fera pas société avec elle,

mais il faut pour cela que la vérité entre dans l'opinion, ou que la vérité devienne l'opinion.

Il est donc vrai que l'opinion tue tout où elle domine, et qu'elle veut régner sur les ruines de notre vieux bon sens français et de la religion elle-même qu'elle n'épargne pas plus que le reste.

N'avons-nous pas entendu dire que l'Eglise avait assez vécu et que l'opinion avait fait justice de sa doctrine? — L'opinion moderne, en effet, trouve que la religion catholique a fait son temps, parce qu'elle croit que son chef n'est point le fils de la volonté divine, mais de la volonté humaine, d'une opinion surannée et morte. Moins heureux qu'Attila, le fléau de la société moderne, l'opinion ou la franc-maçonnerie, sa nourrice, ne voit pas l'ange qui tient l'épée aux flancs du Pontife, et il espère le tuer et l'ensevelir dans le linceul du ridicule. Mais d'où vient qu'elle fasse tant de fracas autour de lui? Est-il nécessaire de proférer tant de menaces et de soulever tant d'indignation contre un vieillard dépouillé de tout? Pourquoi tant de bruit? Si son gouvernement est un gouvernement humain, il doit tomber au seul souffle de votre colère; et vous n'avez nul besoin de tout cet appareil d'armes et de batteries qui vont attirer sur vous le ridicule du héros de Cervantès? Mais si vous craignez autre chose, c'est-à-dire Dieu, il vous vaincra. Au reste, il est habitué à la victoire : N'est-il pas le successeur de ce Léon, qui repoussa Attila, traînant à sa suite les hordes des barbares? Oui, l'Eglise a vaincu l'opinion, et ses victoires antérieures nous garantissent ses succèsfuturs.

Qu'on ne dise donc plus qu'on ne résiste pas à l'opinion. Si cet étrange langage signifie que l'opinion est trop faible pour tenir contre la vérité, et que, par conséquent, toute résistance est superflue, cela peut s'entendre. Mais s'il signifie qu'on se brisera contre l'opinion, ce n'est plus qu'une plaisanterie dont il importe de faire justice?

Quelles sont donc les armes de l'opinion?

Elle a pour armes son nom, le bruit et le silence. Mais son nom, nous l'avons dit, la sert mal, ou plutôt il la trahit.

Elle réussit mieux avec le bruit. Comme elle ne peut entendre la vérité ni voir la vertu, elle fait beaucoup de tapage pour s'étourdir et étourdir les passants, en détournant à son profit leurs regards et leur attention. Elle a pour cet office les cent voix de la presse, et, au besoin, les chanteurs nocturnes et les buveurs. Tout lui sert, tout lui est bon, pourvu qu'on fasse du bruit. Vons entendez parler un matin de tel événement, de tel personnage nouveau venu sur la scène politique : C'est l'opinion qui passe; laissez-la passer. Mais, dites-vous, elle est si forte qu'elle fait trembler les bons et que la poussière de son chemin obscurcit la vérité? Ne craignez rien, l'opinion passera, et la vérité restera debout, pareille à cette statue de l'Egypte, dont parlent les historiens, elle demeure immobile dans sa majesté, malgré la poussière des siècles. Le vent du désert, le sable soulevé, les nuages amoncelés semblent l'envelopper et l'ensevelir à jamais; elle paraît un instant comme indécise et flottante au milieu des tourbillons et de la tempête; mais le soleil brille à l'horizon, et bientôt de tout ce fracas et de tous ces épais brouillards il ne reste plus que quelques gouttes de rosée, qui la rendent plus éclatante à ses premiers rayons.

Mais, quelle est cette nouvelle tactique ou métamorphose? On parle des bienfaits de la religion, de l'action d'éclat d'un simple catholique. L'opinion se tait. Elle pense que son silence étouffera la vérité. Le bien et la vérité semblent ne rencontrer que des sourds et muets. Jésus-Christ, sortant de son village, sans lettres ni étude, se fit remarquer publiquement par sa science au milieu des docteurs. Mais l'opinion du temps voulait qu'il ne sortit rien de bon de Nazareth, et, de par l'opinion, on fit silence, et Jésus reprit le chemin de son village. Mais, quand le temps fut venu, son heure, comme il disait, il parla par des miracles plus éclatants encore, parce qu'ils étaient accomplis devant la foule, qui,

elle, ne savait se taire et criait sur les places : « Il a bien fait toutes choses; il a fait entendre les sourds et parler les muets. »

L'opinion judaïque s'est trompée et a voulu tromper sur Jésus, âgé de trente ans, qu'elle croyait le Fils de Joseph : Et putabatur Filius Joseph.

L'opinion du XIXe siècle, qui consiste à croire que JésusChrist, âgé de mil huit cent soixante-dix-huit ans est le Fils de la volonté humaine, se trompe également. L'opinion ne dure qu'un temps, — c'est dans sa nature; mais la vérité dure éternellement, parce qu'elle est de la nature de Dieu.

Oui, quelque soit le bruit, le fracas de l'opinion, la vérité fera entendre sa voix, quelque fois plaintive, et l'opinion indignée n'aura plus, comme l'âme des héros de Virgile, qu'à se cacher dans l'ombre: Fugit indignata sub umbras. Les ténèbres sont le lieu de l'habitation de l'opinion. C'est des ténèbres des Sociétés secrètes, des Loges maçonniques qu'elle sort; c'est là qu'elle doit rentrer comme dans sa demeure. Mais la vérité, qui est lumière, habite et vit au grand jour en pleine lumière. Voilà pourquoi l'athlète de la foi, Paul, foudroyé par la clarté de l'Evangile, dit que les défenseurs de la vérité doivent s'armer de lumière, induamur arma lucis, pour combattre l'erreur et le mensonge, qui sont les ténèbres de l'esprit.

Donc le devoir de tout catholique, que l'opinion ennemie crie ou se taise, c'est de crier plus fort qu'elle, comme les premiers disciples: Il a bien fait toutes choses: Il a fait entendre les sourds et parler les muets. Sans doute Dieu, qui est la vérité que nous défendons, n'a pas besoin de notre secours pour triompher, mais nous avons besoin de lui pour triompher nous-mêmes et mériter les honneurs réservés à la victoire de la vérité sur l'opinion, de l'Esprit de Dieu sur l'esprit du monde.

P. COUSSEYROUX. Avocat à la Cour d'Appel de Limoges.

NOTE SUR L'ARTICLE 199 DU CODE PÉNAL.

MARIAGE RELIGIEUX IN EXTREMIS.

Cet article dispose: Tout ministre d'un culte qui procédera aux cérémonies religieuses d'un mariage sans qu'il ait été justifié de l'acte civil de mariage, sera puni de 16 à 100 fr. d'amende.

L'article 200 punit la première récidive de deux à cinq ans de prison, et la seconde de la peine de la détention.

On a proposé la question de savoir si des peines aussi sévères sont encourues par le prêtre, qui fait un mariage in extremis, c'est-à-dire, lorsqu'un des époux est en danger de mort imminente.

Prise absolument, la loi irait jusque là, et ce serait mettre le prêtre dans l'impossibilité de s'y conformer, malgré tout son désir, attendu qu'il ne saurait refuser un sacrement de l'Eglise, autrement que pour des motifs purement religieux, en tant, du moins, qu'en fait, les prescriptions de la loi civile y opposeraient un obstacle insurmontable. — La loi alors deviendrait persécutrice, et, spécialement en France, elle se trouverait en opposition formelle avec l'article 1er du Concordat, selon lequel « la religion catholique, aposto>>lique, romaine sera librement exercée en France... » ce qui est dire évidemment : la religion catholique, avec ses lois constitutives et règles fondamentales.

L'article 199 aurait dû, dès lors, prévoir et spécifier les exceptions que motiveraient des circonstances particulières. Le législateur a vu des inconvénients à le faire, mais s'il s'en est abstenu, c'est qu'il trouvait dans la loi organique du Concordat le moyen de se rendre juge lui-même des cas où il y aurait lieu d'appliquer l'article 199 ou de ne l'appliquer pas. Ce moyen se rencontre dans les articles organiques 6 et suivants, d'après lesquels, article 6: il y a recours au Conseil d'Etat en cas d'abus des personnes ecclésiasti

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