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interrompu et chaque quartier de Rome possédait son église, sa paroisse. Assurément, il faut reconnaître la main même de Dieu dans ce fait extraordinaire, mais il faut avouer aussi que l'Eglise aida de tout son pouvoir à l'action divine et chercha tous les moyens humains de triompher. Elle commença par s'adresser aux empereurs et par faire appel à leur justice et à leur humanité.

Alors parurent les apologies de Quadratus et d'Aristide sous Hadrien, celles de saint Justin sous Antonin et MarcAurèle, celle de Tertullien enfin. Ces écrits amenèrent quelque amélioration dans la condition des chrétiens: Hadrien et, après lui, Antonin défendirent d'accuser les chrétiens en tant que chrétiens, et établirent des peines contre leurs dénonciateurs. On n'avait recours contre les chrétiens que pour des crimes de droit commun. Dans ce cas, il fallait suivre la procédure régulière, et il était interdit d'employer les pétitions collectives ou les demandes tumultuaires. Malheureusement, ces dispositions ne restaient pas longtemps en vigueur et les édits de persécution venaient bientôt succéder à ces mesures d'équité. Lorsqu'un empereur cherchait à mettre fin aux rigueurs d'une persécution, il ne proclamait pas la légalité du Christianisme, mais il déclarait que, par bonté d'âme, il lui permettait d'exercer son culte (1). En dépit de la forme restrictive dans laquelle ils étaient rendus, ces édits ne laissaient pas que d'être d'un grand secours aux chrétiens qui pouvaient notamment les invoquer comme un précédent pour amener le retrait des édits de persécution. Cette ressource-là, malheureusement, devint de plus en plus précaire, surtout au Ie siècle. C'est alors que l'Eglise profita de la liberté fort grande dont jouissaient les corporations d'arts et de métiers et les colléges funéraires, pour tenir ses réunions et propager sa doctrine.

(1) Voy. l'édit de Galerius (de Mortib. persecut., 34). Cf. Lampride, Alexand. Sever., 22.

Le droit de s'associer était accordé à ceux qui voulaient former des colléges funéraires, à la condition qu'ils ne se réuniraient qu'une fois par mois pour payer la contribution nécessaire à la sépulture de leurs morts (1). Il fut facile aux chrétiens d'user de la latitude laissée aux colléges funéraires. Ils apportaient, en effet, la plus grande sollicitude pour tout ce qui concernait les funérailles et la sépulture, et ils étaient dans l'usage de faire dans leurs réunions des collectes pour les pauvres, les condamnés aux mines etc. Il n'y avait qu'un point embarrassant, c'était l'obligation de se réunir seulement une fois par mois. Mais cette difficulté ne tarda pas à disparaître. Alexandre Sévère permit aux membres des colléges de se réunir toutes les fois qu'ils le désireraient, à la condition cependant que ce fût dans un but religieux; les associés, en outre, ne devaient pas enfreindre les prescriptions des sénatus-consultes relatifs aux associations illicites (2). Cette mesure laissait au Christianisme toute latitude pour la célébration de son culte, et il en profita pour se produire au grand jour, couvert de la sorte par la protection de la loi. De même que cela se pratiquait dans les associations païennes, les fidèles se réunissaient pour assister soit aux funérailles d'un de leurs frères, soit à une cérémonie religieuse quelconque, soit aux agapes même, car l'usage invétéré des colléges sous l'Empire était de réunir fréquemment leurs membres dans un festin, sous une foule de prétextes pieux, faciles à trouver.

Il faut cependant remarquer deux choses dans ces lois

(1) Qui stipem menstruam conferre volent in funera, in it collegium coeant, neque sub specie ejus collegi nisi semel in mense coeant conferendi causa unde defuncti sepeliantur. Boissier, La Religion romaine d'Auguste aux Antonins, t. II, p. 313. - Le Digeste cite ce texte (de Colleg. et corporib., 1. 1) sous le nom de Marcien, mais il omet de dire qu'il s'agit de colléges funéraires.

(2) Dig. de Colleg. et corporib., 1. 1 (lib. xLvII, tit. 22).

sur les associations; c'est, d'une part, que les colléges ne pouvaient être composés que de tenuiores (1), de gens de classe inférieure, affranchis, ouvriers, esclaves (ces derniers avec l'autorisation de leurs maîtres); en second lieu, c'est qu'en mentionnant chaque autorisation, les jurisconsultes ont soin de rappeler les décrets toujours en vigueur qui interdisent, sous les peines les plus sévères, les associations illicites.

Par la nature même de leurs réunions, les chrétiens n'avaient pas à craindre cette menace et ils trouvaient d'ailleurs un autre sujet de sécurité en se réunissant dans les cimetières, car ils profitaient ainsi de l'immunité dont les sépultures jouissaient en vertu de la loi.

La tombeau d'un mort était chose sacrée et inviolable, et le droit pontifical étendait ce caractère religieux non-seulement à la portion du terrain où se trouvaient les constructions funéraires, mais même quelquefois à un champ tout entier. Les Romains n'ignoraient nullement l'existence des Catacombes l'entrée n'en était pas toujours dissimulée aux regards. Elle se trouvait sur une route, dans une de ces chapelles que l'on construisait sur les tombes des martyrs ou dans la propriété de quelque chrétien. Ce ne fut que plus tard que les fidèles se virent obligés de cacher l'entrée des galeries souterraines, et Valérien, voulant atteindre les disciples d'un culte que protégeait la religion des tombeaux, publia un édit pour défendre aux chrétiens de se réunir dans les Catacombes. Au temps de Tertullien déjà, la populace de Carthage avait demandé la destruction des cimetières (2). La défense portée par Valérien fut souvent éludée, et les Catacombes envahies par les soldats romains furent fréquemment témoins de scènes de carnage. Une fois même, une troupe de chrétiens fut enfermée vivante dans une des chapelles par les persécuteurs qui en

(1) Dig. de Jure immunit, 1. v, § 12 (lib. 1, tit. 6). (2) Tertull., ad Scapulam, III.

murèrent toutes les issues; la chaire pontificale fut aussi arrosée du sang des martyrs, et le pape saint Sixte II, surpris dans les Catacombes pendant qu'il célébrait les saints mystères, fut ramené dans le cimetière de Prétextat pour y subir avec ses diacres le dernier supplice.

VI.

Telle était la liberté de l'Eglise; les détails qui précèdent nous démontrent dans quel état d'infériorité la religion chrétienne se trouvait vis-à-vis des cultes païens, et nous pouvons maintenant apprécier à sa juste valeur la doctrine de l'école rationaliste; nous pouvons maintenant déclarer que le Christianisme a été illégalement et injustement persécuté.

En admettant pour un instant que les lois dont nous avons parlé aient pu être avec une entière légalité appliquées aux chrétiens, les causes des persécutions et la procédure qui a été suivie ne peuvent que nous laisser les plus grands doutes sur la bonne foi des Romains. Je citais tout à l'heure les actes arbitraires dont les proconsuls et les magistrats ont donné tant de preuves; mais ce n'est pas là seulement que s'est manifestée leur injustice.

L'autorité romaine procédait illégalement, lorsqu'elle faisait mettre à la torture les esclaves pour les forcer à dénoncer leurs maîtres, la loi s'y opposait formellement. Elle procédait illégalement en abusant des supplices et en assouvissant sa vengeance par des châtiments raffinés, comme à Lyon, par exemple, pendant le martyre de sainte Blandine, où les païens avouaient avec une cynique ingénuité que jamais femme n'avait souffert de si épouvantables tourments.

La loi défendait expressément les accusations tumultuaires les magistrats cependant obéirent fréquemment à la pression de la multitude, et condamnèrent à mort des

chrétiens pour satisfaire une populace en délire. Odieuse lâcheté dont Ponce-Pilate a donné le premier exemple et dont l'histoire fournira chaque jour de nouvelles preuves! Et qu'on se rappelle enfin ce qui met le comble à tant d'iniquités, je veux dire ces actes monstrueux et qu'on ne sait comment qualifier, ce sentiment satanique qui animait les magistrats, lorsqu'ils ordonnaient de conduire dans des bouges infâmes les vierges chrétiennes pour leur ravir leur pureté et leur foi!

Assurément, ces procédés détestables suffisent amplement pour flétrir la politique romaine envers l'Eglise. Mais ces lois dont on excipe contre les chrétiens ne leur étaient pas légalement applicables. La loi sur les associations illicites ne pouvait être invoquée, puisque les réunions religieuses étaient formellement autorisées, et que jamais les chrétiens ne purent être convaincus des crimes ou des délits reprochés aux associations secrètes. La loi de majesté ne pouvait leur être appliquée, puisque leurs réunions étaient toujours pacifiques, puisque jamais une révolte ou un semblant d'émeute ne fut causé par les chrétiens, puisque jamais ces hommes ne cessèrent d'être pleins de respect pour le pouvoir et d'enseigner l'obéissance à l'Empereur, la soumission à l'autorité.

Le crime d'irréligion ne pouvait être un motif de les poursuivre, quand Rome ouvrait ses portes à toutes les superstitions grecques, égyptiennes et persanes même les plus immorales, et tolérait la célébration de tous les mystères païens. Les empereurs ont prétendu qu'il fallait exterminer cette race impie des chrétiens, qui méprisait et combattait les dieux de l'Etat et la religion nationale. Mais quel cas faisaient-ils eux-mêmes de cette théologie caduque et de ces idoles vermoulues dont les autels menaçaient de s'écrouler de toute part et ne parvenaient à se soutenir que par l'appui du culte officiel? Quel cas en faisait la multitude qui ne croyait plus ni à Jupiter ni à l'Olympe, et qui avait l'impudente audace d'offrir aux chrétiens et la sécurité pour

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