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qu'ils établissent. Nous allons voir que, pas mieux que les rois, ils ne sont institués par Dieu pour exercer par euxmêmes le pouvoir supérieur de la nation dont ils sont membres, et que si, dans la constitution d'un gouvernement, ils peuvent s'en attribuer l'exercice et se créer souverains, ils sont libres de se désigner un chef unique, et que, par là, ils ne confèrent ni ne déléguent un pouvoir qui leur soit propre, de droit divin ou naturel, mais qu'ils élisent seulement celui qui sera comme la tête du corps social, et par lequel s'en exerceront les droits naturels.

Nous heurtons ici de front le principe fondamental de la révolution radicale. Suivant l'école positiviste, qui en formule les théories doctrinales, le pouvoir politique est essentiel au citoyen et la république est de droit naturel. Pour la monarchie, si elle n'est pas une usurpation violente et criminelle des droits du peuple, elle ne peut jamais être que la délégation toujours révocable que le peuple fait de ses droits politiques à un souverain. Il s'en suit que les souverains ne sont que les mandataires du peuple et qu'ils n'ont pas plus le droit de gouverner contre la volonté du peuple, que les mandataires n'ont celui d'outrepasser les limites de leur mandat. Il s'ensuit que le peuple a toujours le droit de révoquer la délégation qu'il a faite de ses pouvoirs et de chasser les rois qui ne sont pas les serviteurs dociles de leurs désirs. Mais les révolutions sont coûteuses, dangereuses; n'y aurait-il pas moyen de concilier l'amour que le peuple a pour tout ce qu'il y a de grand dans la royauté, avec son droit d'avoir toujours un gouvernement qui soit l'expression exacte de ses sentiments et l'exécuteur fidèle de ses volontés? Le problème ne devait point être au-dessus des forces du doctrinarisme révolutionnaire. On connaît la fameuse maxime dans laquelle il en a concentré la solution : « Le roi règne, mais ne gouverne pas. » Ceux qui gouvernent, ce sont les ministres qu'il nomme, mais que les Chambres imposent à son choix; les ministres qui naissent et meurent par la volonté de celles-ci, et qui ne

peuvent rien faire que sous leur inspiration, leur bon plaisir et leur contrôle. Au fond, si le peuple n'était le jouet et la victime des intrigues, ce serait à lui logiquement de gouverner, car c'est lui qui élit les assemblées devant lesquelles les ministres sont responsables. Mais non, en définitive, ce sont les ambitieux et les intrigants qui, par leurs menées, imposent leurs volontés aux peuples et substituent leur action à celle de la royauté dont ils anéantissent la réalité, tout en vivant à l'ombre de son prestige. L'invention du doctrinarisme révolutionnaire n'est donc qu'une fiction hypocrite et mensongère, faite pour leurrer le peuple, annihiler et avilir la monarchie, en faisant servir son influence à la fortune et à la gloire des rusés politiques qui savent en exploiter la puissance, et en mettant à son compte, sous sa signature, toutes les fautes qui contribuent à la ruine des nations. Car, on le sait, le roi ne gouverne pas et il est irresponsable, mais, en même temps, il est forcé de signer toutes les résolutions que prennent ses ministres sous l'inspiration des assemblées, quelque contraires qu'elles soient à sa conscience, quelque opposé qu'il y soit personnellement.

Mais cette fiction ne pouvait tenir longtemps devant le -courant de la logique qui emporte l'esprit humain. Pourquoi masquer au peuple la réalité de ses droits et de sa puissance derrière le nom et la fausse majesté d'une royauté sans pouvoir, pour cacher, sous cet échafaudage trompeur, les intrigues et les menées d'une oligarchie ambitieuse? Le règne dissimulé de ces hommes, qui se passent, à tour de rôle, les portefeuilles ministériels où ils puisent, avec le pouvoir, la fortune et la considération, touche à sa fin, peu de temps après la monarchie qu'ils ont supplantée, avilie et renversée

Le flot de la démocratie monte toujours et n'est pas loin d'envahir et de submerger complétement ceux-là mêmes qui ont soufflé le vent de la tempête. Déjà les apôtres d'un nouvel état de choses se lèvent et proclament la souve

raineté populaire inamissible et incommunicable. D'après le dogme nouveau, le peuple ne peut validement s'en dessaisir un seul instant pour la moindre parcelle. Dès lors, la République est de droit inaliénable et imprescriptible, et la royauté est un régime contre nature. De là l'axiome fameux qui résume toutes les doctrines révolutionnaires : « L'insurrection est le plus sacré des droits, le plus saint. des devoirs. » Si, en effet, un peuple ne peut validement renoncer à sa liberté politique, il peut toujours, et même il doit, le lendemain, dès qu'il en a le désir, revenir sur les engagements de la veille et renverser aujourd'hui les institutions d'hier.

Cette théorie repose tout entière şur une erreur capitale, à savoir sur la confusion du pouvoir individuel et du pouvoir politique. Avec Jean-Jacques Rousseau, qui l'a formulée et éditée dans le Contrat social, les républicains absolus soutiennent que la société est une œuvre libre de la volonté humaine, et que le pouvoir social est la somme totale librement constituée par l'union des droits particuliers.

Si cette hypothèse est vraie, le pouvoir politique appartient proprement aux citoyens qui en sont la source, et l'exercice de ce pouvoir par ceux-là mêmes dont il est la propriété naturelle, est la forme de gouvernement la première, la plus naturelle; c'est celle que la nature elle-même a instituée. Quant à la monarchie, il ne serait pas encore exact qu'elle fût contre nature, car il n'est point contre nature que des êtres, mêmes intelligents et libres, se confient avec leurs droits et leurs intérêts à la direction d'un être plus intelligent et plus maître de lui-même. Rien de plus fréquent dans la vie humaine; tous les jours, les hommes recourent à leurs avoués et à leurs médecins, pour le soin de leurs affaires et de leur santé. Ce qui serait vrai dans cette hypothèse, c'est que la monarchie ne serait plus qu'une institution artificielle du génie humain, qu'une délégation facultative du pouvoir social. Néanmoins, dans ce

cas, le peuple serait encore tenu aux obligatiens du contrat par lequel il aurait délégué son pouvoir à un monarque et se serait mis sous son gouvernement; car il est de droit naturel de tenir ses engagements. Mais cette hypothèse estelle vraie?

La bonté, la sagesse et la puissance du Créateur ne lui permettent pas de produire un être sans l'investir des droits et du pouvoir dont il a besoin pour exister et pour remplir sa destinée.

Le Créateur a donc donné à la société humaine les pouvoirs qui conviennent à sa nature et que réclame la raison de son existence; il ne peut pas avoir moins fait pour le corps social que pour les particuliers qu'il a revêtus des droits nécessaires à l'exercice de leur vie individuelle.

C'est pourquoi, nous le répétons, le pouvoir social ne peut point être identique au pouvoir particulier, car l'être nation, auquel il est propre, est d'une autre nature que l'homme individuel à qui appartient ce dernier.

Le pouvoir politique ne peut pas non plus être du même ordre que le droit individuel, car le corps national est d'un ordre supérieur aux particuliers dont il se constitue comme de ses parties. En outre, s'il était du même ordre, il n'aurait point la majesté nécessaire pour les soumettre sans les dégrader et les avilir. Deux êtres égaux cessent de l'être quand l'un s'assujettit l'autre. Mais, comme celui qui s'arroge la domination ne peut réellement s'élever au-dessus de lui-même, c'est celui qui descend au rang de sujet qui cesse d'être ce qu'il était en s'abaissant à un degré inférieur.

A plus forte raison, le pouvoir politique ne peut-il pas être d'un ordre inférieur au pouvoir individuel. Or, c'est pourtant ce qu'il serait, s'il était formé de la somme des droits particuliers par la libre volonté des citoyens. En effet, formé par la libre volonté des hommes, il ne serait qu'une œuvre humaine, tandis que le droit particulier émanant directement du Créateur est une œuvre divine.

Or, les moindres œuvres de Dieu sont d'un ordre supérieur à toutes celles du génie humain.

D'ailleurs, nous l'avons montré, s'il dépendait de la liberté humaine, comment aurait-il la force de la dominer et de la gouverner? Si donc le pouvoir social procédait de la volonté humaine, il n'aurait rien de ce qu'il lui faut pour remplir sa mission, ce ne serait que l'instrument d'une infâme tyrannie. Formé de la somme des pouvoirs particuliers, il serait composé de parties, divisible en autant de parties. Mais les êtres composés et divisibles sont d'un ordre inférieur à celui des êtres simples et indivisibles. Ainsi la matière, même organisée, est incapable de vie et de mouvement spontané. Pour vivre et se mouvoir spontanément, il faut qu'elle soit assujettie à un principe simple et indivisible qui l'anime. Car ce n'est qu'à la substance simple et indivisible que peut proprement appartenir la vie qui fait d'un être composé un tout unique ou une unité indivisible sous peine de destruction, en mettant en rapport et en reliant entre elles par un lien invisible, les parties différentes qui le constituent. Si donc la vie est supérieure à la mort, l'être simple et indivisible est supérieur à l'être composé et divisible; c'est l'être simple et indivisible qui domine et s'assujettit l'être composé et divisible. Ainsi la plante qui ne peut vivre d'une vie unique dans toutes ses parties qu'au moyen d'un principe vital, simple et indivisible, s'assujettit, en se l'assimilant, les parties de la matière qui lui conviennent. L'animal, dont la vie est plus étendue à mesure que son principe vital est plus élevé audessus de la matière, se soumet et s'approprie, non-seulement les substances végétales, mais encore les substances organiques de son règne. Partout donc, nous voyons que le pouvoir et le gouvernement appartiennent aux principes simples et indivisibles. La masse, le poids et le nombre des parties qui composent une montagne ne peuvent proprement se soumettre un insecte. C'est l'insecte au contraire qui y établira son domaine et y cherchera sa nourriture

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