Page images
PDF
EPUB

çus ont deux qualités qui s'excluent souvent. Ils sont nouveaux et ils sont justes. Nous connaissons peu de pages aussi achevées qué celles où nous sont dépeintes les origines du mouvement qui entraîne notre siècle vers l'association. Des deux faits diversement appréciables d'ailleurs qui ont comme inauguré cette ère nouvelle, l'édit de février 1776 qui proclame la liberté du travail, l'invention des métiers perfectionnés et des machines, nous voyons, dans un brillant tableau, rapidement sortir la réunion des industriels en sociétés, et cela à une double fin, pour soutenir la concurrence du travail émancipé, pour faire face d'autre part aux immenses frais d'installation de l'usine perfectionnée et agrandie. La transformation du matériel de production fait en outre sentir un salutaire contrecoup à deux industries spéciales, celle qui s'occupe de l'extraction des métaux et des combustibles, celle qui pourvoit au transport des personnes et des marchandises. « Pour façonner. l'ouvrier nouveau qui prenait la place de l'ouvrier humain, dit ingénieusement M. Lescœur, il fallait du fer, pour le nourrir de la houille. » On dut chercher le minerai à des profondeurs inexplorées dans le sol, pousser l'exploitation avec une activité plus grande. En même temps l'accumulation rapide des produits jetés sur le marché réclamait la création de voies nouvelles de communication, le creusement de canaux plus nombreux. Les chemins de fer et les bateaux à vapeur, véhicules nouveaux qui transportaient plus vite, resserrèrent leurs réseaux tout en agrandissant leurs rayons et furent bientôt appliqués au transport des personnes, dernière transformation que l'art fit subir aux modestes railways établis, pour la première fois, dans les mines du pays de Galles.

L'élan imprimé à l'industrie se communique au commerce. A mesure que l'usine envoie ses produits sans cesse accrus au magasin, celui-ci débite en proportion croissante, ses frais généraux augmentent. Ici encore l'agglomération des capitaux permet seule de pourvoir aux besoins de la situation. Mais, en revanche, elle condamne à la mort lente le petit commerce qui, dans la lutte pour l'existence, s'agite quelque temps encore et finit par s'arrêter vaincu.

En même temps, les banques étendent le cercle de leurs opérations pour fournir l'argent des grandes entreprises. Les assurances s'imposent comme une nécessité pour mettre à couvert les immenses valeurs engagées. L'esprit commercial, toujours en éveil, crée des combinaisons nouvelles qui permettent d'appliquer ces contrats à

mille objets restés en dehors des prévisions du législateur. « Or, qui ne sait, dit M. Lescœur, que le principe même de toutes leurs combinaisons est dans la réunion d'un certain nombre de participants et que leurs opérations sont d'autant plus sûres que ces participants sont plus nombreux. Ainsi, l'esprit de prévoyance pour premier auxiliaire l'esprit d'association, et les progrès de l'un se relient étroitement à ceux de l'autre. >>

Nous pourrions poursuivre la série de ces analyses presque littérales. Nous préférons reporter l'attention du lecteur sur ce qui fait encore un des côtés originaux de l'étude de notre collègue, nous voulons parler des précieuses indications de législation comparée qu'il nous fournit. Il compare judicieusement ce qui s'est fait chez nous avec ce qui a été réalisé au delà de la frontière, chez quatre peuples qui, à des titres divers, peuvent nous offrir d'utiles enseignements. Nous montrer les idées qui prévalent en Angleterre, en Belgique, en Allemagne et en Espagne, sur la législation des sociétés commerciales, c'est nous faire sentir combien la marche de nos lois est encore attardée sur bien des points, c'est apporter en même temps le témoignage des faits à l'appui des vœux d'amélioration qu'on exprime, c'est montrer par la pratique combien il est aisé de les réaliser.

Au reste, s'il est vrai que nous sommes ici en présence d'une étude du passé plutôt que d'un livre d'enseignement, le jurisconsulte n'y trouvera pas moins des données sûres pour la solution de questions qui confinent à l'histoire de la législation. Nous n'en voulons pour preuve que l'art et le talent avec lequel l'auteur élucide un des plus obscurs problèmes de la matière, la répétition des dividendes fictifs. On sait la longue controverse qui s'était élevée sur ce point aujourd'hui réglé par une solution à notre avis immorale. Nous n'hésitons pas à maintenir la qualification que lui a donnée M. Pouyer-Quertier.

Comme conclusion de son travail, M. Lescœur réclame la liberté absolue des sociétés par actions, sous l'empire des règles générales et traditionnelles du contrat de société. « Ne vaudrait-il pas mieux, dit-il, que le législateur rompît enfin résolûment avec cet esprit de réglementation (pour employer un mot barbare qui le caractérise bien), dont toutes nos lois, depuis le Code de commerce jusqu'à celle de 1867, portent l'empreinte plus ou moins profonde et dans lequel ont été conçues aussi les lois étrangères ?... La meilleure solution de ce problème qu'on n'a pas tranché jusqu'à présent, puisqu'il

reparaît sans cesse, ne consisterait-elle pas à abroger tous ces textes, à supprimer toutes ces restrictions, à lever toutes ces prohibitions, et à laisser le contrat de société sous l'empire du droit commun qui est la liberté des conventions? Les parties règleraient désormais comme bon leur semble les conditions dans lesquelles leur association se constituerait et fonctionnerait, le législateur n'interviendrait plus. »

Après avoir émis ce vœu général d'émancipation, après s'être appliqué à réfuter les objections qui lui sont opposées en principe, objections dont plusieurs ont un incontestable poids, après avoir essayé de lier le législateur par l'autorité des précédents, en lui montrant qu'il a fait en 1867 un pas vers la réforme par la réorganisation des sociétés civiles par actions, l'auteur précise ses vues dans les propositions suivantes : Il demande l'abrogation des règles qui régissent les sociétés par actions et la modification de celles qui s'appliquent à la commandite simple, ce qui entraînerait l'abrogation des articles 27 et 28 Cod. com., ce qui permettrait en même temps aux commanditaires de se saisir de la gestion. Il ajoute un projet aussi neuf que pratique. Il voudrait qu'ici, comme dans la matière du contrat de mariage, le législateur offrit au choix des associés un certain nombre de types, c'est-à-dire, de statuts-modèles qu'ils pourraient adopter intégralement ou combiner par parties.

Cette liberté d'option peut amener à sa suite de redoutables abus. Pour les prévenir, M. Lescœur indique plus qu'il ne les développe certaines additions qu'il serait opportun de faire à nos lois pénales. Il faudrait leur permettre d'atteindre les spéculateurs véreux qui s'abritent aujourd'hui sous l'équivoque des termes de nos codes. Il faudrait également rassurer contre la menace des procès en diffamation la presse financière, qui mettrait le public en garde contre la fraude et le mensonge. A l'appui de cette idée que nous approuvons, qu'il nous soit permis d'invoquer un précédent tiré des lois romaines, qui distinguaient soigneusement de l'injure délictueuse la divulgation de faits attentatoires à la loi (18 pr. D. 47. 10.) Peccata enim nocentium nota esse et oportere et expedire, dit sagement le jurisconsulte.

Pour ne pas interrompre ce résumé, nous avons tu jusqu'à présent quelques dissidences secondaires d'appréciation entre notre savant collègue et nous. Comme il importe de mettre à couvert du soupçon nos justes éloges, nous noterons impartialement dans son

travail les points qui nous paraissent sujets à contestation. On verra si l'énumération est longue à cet égard.

Tout d'abord, nous avouons ne pas partager l'engouement que M. Lescœur prête, un peu gratuitement peut-être, à la majorité des économistes pour le système de la liberté illimitée. Loin de nous la pensée de nier les dangers du système prohibitif! Il nuit souvent à l'usage en même temps qu'à l'abus, il endort l'activité commerciale, il paralyse l'essor du bien comme du mal. Tout bien pesé cependant, il nous paraît encore le meilleur parti à suivre. L'état de notre société, la soif de gain qui la dévore, le régime de la vie à outrance qui s'est généralisé dans ces dernières années, tout nous est indice que le régime protecteur n'a pas achevé son temps. L'abolir sans transition serait surprendre le pays et couvrir nos places commerciales de victimes. La répression ne les soulagerait pas. Elle ne vient comme le médecin qu'après la maladie. Comme nous l'avons vu, M. Lescœur estime judicieusement que les exemples venus du dehors sont utiles à consulter. Pourquoi alors ne pas prendre modèle sur l'Angleterre qui, tout en patronnant la liberté en principe, a prévu les dangers des sociétés ouvertes et organisé les sociétés à responsabilité limitée ?

Mu par une propension constante, M. Lescoeur paraît favorable aussi à la liberté absolue du taux de l'intérêt (page 336). Ici encore nous nous rangerons à un avis contraire. Nous connaissons des économistes et des meilleurs qui considèrent la loi de 1807 comme le modus vivendi le plus sage et le plus sûr à l'heure actuelle. Passant maintenant sur le terrain juridique, nous ne souscrirons pas à la réfutation que notre collègue essaye (page 259), d'une doctrine très-juste et très-pratique à notre avis, celle qui admet ou non les sociétés civiles à se faire représenter en justice par leurs administrateurs selon qu'elles revêtent la forme de sociétés commerciales ou qu'elles gardent leur physionomie propre. Vainement soutiendrait-on avec l'auteur que le caractère de personne morale ne peut dépendre pour elles des caractères accidentels, des dehors qu'il leur plaît d'affecter. Cette décision trop mathématique, peu en harmonie d'ailleurs avec les préférences de M. Lescœur pour la libre création des sociétés de commerce et, partant, pour la multiplication indéfinie des personnes morales, ne tient pas, à notre avis, un compte suffisant des circonstances que la loi consulte pour accorder ou refuser la personnalité. Les sociétés civiles ne l'ont pas reçue, uniquement,

sous l'empire d'une considération de crédit public, obstacle qui disparaît dès qu'elles s'environnent de la publicité des sociétés commerciales.

Nous avons hâte de quitter ce détail pour revenir, en terminant, aux qualités d'ensemble qui élèvent à un rang à part le travail de M. Lescœur. Eussions-nous plus d'autorité, nous dirions de ce livre : « Prenez et lisez, » pour imiter un mot célèbre. Prenez-le surtout, vous qui avez à un degré quelconque la lourde responsabilité qui s'attache à la rédaction des lois. Vous y trouverez rendues dans un style excellent, distribuées avec ordre et méthode, exposées avec un intérêt soutenu, les idées qui doivent être le fonds de vos connaissances législatives. Depuis longtemps on a appelé l'histoire « la maîtresse de la vie humaine. » Cet oracle ne cesse pas d'être vrai dans la sphère du droit. En prenant un pareil guide, on acquiert l'élévation et la largeur des vues, le sens pratique, l'instinct des temps, l'expérience anticipée. M. Lescœur rappelle quelque part (page 321), qu'au témoignage des hommes les plus compétents, on faisait beaucoup mieux les lois autrefois que de nos jours. La lecture de son livre aidera puissamment au retour des traditions qu'il regrette, elle mûrira la solution de questions nombreuses que le législateur n'a pas su trancher jusqu'à ce jour.

Jules CAUVIÈRE.

LES GRANDS FAITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX, première série d'études publiées dans l'Economiste français, par M. Toussaint LOUA, lauréat de l'Institut, chef du bureau de la statistique générale de France. Un vol. gr. in-8°, Paris, Berger-Levrault, 1878.

[ocr errors]

Les titres de ces études en indiquent le haut intérêt : Considération sur l'équilibre européen. L'esclavage au Brésil. - Le divorce en Belgique. La fécondité des populations. L'émigration européenne. La houille et les chemins de fer. Le fer et l'acier. -L'exploitation des chemins de fer dans les principales puissances de l'Europe. La télégraphie dans les deux mondes. - Les faillites en France depuis quarante ans. Les infanticides et les mortsLe suffrage universel dans ses rapports avec les lois de la population.

nés.

[ocr errors]
« PreviousContinue »