ma visite, je le vis préoccupé à l'extrême des résultats de son procès, et résistant d'abord à tout examen de ma part. Je lui représentai qu'il était parfaitement libre, mais que mà mission était une mission de vérité et de justice; que la dernière visite qui lui avait été faite remontait à plus de cinq mois, et qu'il était important à tous les points de vue de constater s'il n'était pas survenu de changements dans son état; qu'enfin son refus de se laisser examiner par moi pourrait être mal interprété et donner à penser qu'il avait quelque chose à cacher. Ce dernier argument a paru le toucher, et il a fini par se prêter à mon examen, non sans récriminations et commentaires de tout genre, sans cesse en défiance, ne répondant à mes questions les plus directes et les plus simples qu'avec un embarras et une hé sitation marqués. Cet homme est jeune et d'une vigueur peu commune; il offre tous les attributs de la santé la plus florissante. Je l'ai trouvé au lit; mais c'était le matin, et il ne se lève d'ordinaire qu'après midi. Cette dernière circonstance m'a permis de procéder dans les conditions les plus favorables à un examen très-complet. Or, il peut prendre dans son lit toutes les positions qu'il veut et avec la plus entière liberté de mouvement. Il est impossible, au premier coup d'œil, de ne pas être frappé du développement des muscles des membres inférieurs, très-considérable pour les deux membres, mais notablement plus marqué du côté droit, qui serait précisément le côté paralysé. La sensibilité n'est pas le moins du monde lésée; mais les épreuves, d'ailleurs assez peu probantes, auxquelles nous l'avons soumis, nous ont seulement montré combien le prétendu paralytique avait peur de se compromettre en répondant à contre-sens. Quant à la motilité dans le membre dont cet homme prétend ne pas pouvoir se servir, je constate de la manière la plus positive que non-seulement le jeu des articulations est parfaitement libre, mais qu'il n'y a pas de contracture des muscles, et que, lorsqu'on maintient la jambe élevée pendant un certain temps sans la soutenir complétement, les muscles de la jambe et de la cuisse. entrent en jeu instinctivement pour l'empêcher de céder à son propre poids. En un mot, il demeure évident que les muscles de la totalité de ce membre n'ont subi ni amaigrissement, ni dégénérescence, ni atrophie, ni relâchement, ce qui se serait inévitablement et invariablement produit sous l'influence d'une paralysie même incomplète et de cause quelconque datant de près de deux ans. Cet individu, lorsque je l'ai fait lever, marche appuyé d'un côté sur une béquille, de l'autre sur une simple canne. Il ne faut pas oublier que le membre inférieur gauche est, de son propre aveu, parfaitement sain et vigoureux, et présente cette singulière anomalie d'une paralysie qu'on a attribuée à une lésion de la moelle, et qui ne frapperait qu'un seul côté, chose, à coup sûr, très-peu commune. Mais ce qui est plus fort, c'est que cette jambe droite, qui s'étendait complétement et s'allongeait sur le lit, que je pouvais fléchir et étendre sans que rien s'opposât à la parfaite souplesse des mouvements, est maintenant demi-fléchie et comme portée par le prétendu paralytique tant qu'il est debout. Il ne tient la jambe fléchie que par un effort volontaire et par la contraction très-apparente des muscles de la cuisse, fait qui explique à merveille le volume exagéré qu'a acquis la cuisse, que la paralysie eût dû amaigrir. L'exercice violent qu'imposent à ces muscles la simulation de la paralysie et la flexion persistante de la jambe les a développés outre mesure. Enfin, lorsqu'il se tient debout, appuyé sur sa béquille, le membre inférieur droit demi-fléchi repose non à plat ni sur le côté, mais sur le bout du pied et l'extrémité du gros orteil, et, loin d'être mou, pendant et inerte, ce membre est dur, roide et contracté. Si on l'engage à poser les deux pieds à plat en se tenant immobile, il 196 A. TARDIEU. BLESSURES PAR IMPRUDENCE. a soin de prendre la jambe droite avec sa main et de la placer dans l'attitude qu'on lui demande. Il s'y maintient bien, et les muscles sont alors dans le relâchement; mais, quand on l'invite à se remettre en marche, il commence par replier la jambe supposée paralysée par un mouvement qui atteste précisément la force et le libre jeu des muscles de ce membre. Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'il n'existe aucun symptôme d'inertie de l'intestin, de la vessie, ni des fonctions génitales, et que tout absolument démontre que la paralysie est simulée, et que l'habitude et une longue inaction viennent en aide à la simulation. Je ne me suis autant étendu sur les détails du fait qui précède que pour appeler l'attention sur les procédés auxquels j'ai eu recours dans une expertise difficile et délicate, et aussi pour fournir un spécimen très-frappant de ce que peut une analyse physiologique minutieuse comme moyen très-sûr de découvrir la simulation qui vient si fréquemment compliquer le rôle de l'expert dans ces affaires de blessures accidentelles si peu étudiées jusqu'ici, et dont je me suis efforcé de donner dans ce long travail une histoire médico-légale pratique et complète. FIN. CHAP. I. - CHOIX D'OBSERVATIONS DE BLESSURES PAR IMPRUDENCE.. 10 1o Accidents de chemin de fer... 2o Accidents de voitures.. 3o Accidents professionnels.. 4° Accidents par coups de feu, incendies, explosions, etc... - CHAP. II. DES CONDITIONS GÉNÉRALES DE L'EXPERTISE MÉDICO- 86 CHAP. III. CARACTÈRES GÉNÉRAUX DES BLESSURES ET DE L'HOMI- - 1o Blessures et homicides par imprudence dans les chemins de 101 103 2° Blessures et homicides produits par les accidents de voitures. 121 135 8° Blessures par coups de feu.. 137 9o Blessures accidentelles par incendie et explosion de gaz, de 139 10° Blessures produites par des projectiles imprudemment lan- 148 11° Blessures accidentelles faites par les animaux domestiques.. 151 CHAP. IV. DES RÈGLES A SUIVRE ET DES ELÉMENTS D'APPRÉCIA- Appréciation de la nature et des complications de la bles- |