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d'assiduité et des succès brillans l'y firent remarquer. Mais on sait qu'entre les succès de l'école et les débuts au Palais, il s'écoule toujours un temps plus ou moins long. Cet intervalle était difficile à franchir pour Ferrère. Moins favorisé de la fortune que de la nature, avant de pouvoir se lancer dans la carrière du barreau, il fut obligé de suivre celle de l'éducation. Il se plaça d'abord dans une institution; quelque temps après il entra comme précepteur chez un magistrat, membre d'une Cour souveraine, pour faire l'éducation de ses deux enfans. Les devoirs de cette place lui laissaient de nombreux loisirs; il les mit à profit pour étudier les langues étangères et les sciences, pour continuer de cultiver les muses. Il apprit, seul et sans maîtres, la musique, l'anglais, l'italien, l'espagnol et le portugais il se fortifia surtout dans la science de la jurisprudence; il en chercha les principes dans l'immortelle législation du grand peuple qui soumit le monde à ses armes et à ses lois; il médita les textes, il compara les auteurs. Ce fut ainsi qu'il amassa en silence ce trésor de connaissances qu'il devait montrer toutà-coup. Enfin, quand il eut pris assez de confiance en ses forces, il se sépara de ses élèves. Mais en les quittant, il ne les oublia pas; un tendre attachement avait uni le maître et les disciples, et cet attachement a duré toute leur vie.

A l'âge de vingt-deux ans, en 1789, Ferrère fut reçu avocat, et débuta au Parlement de Bordeaux. Son premier plaidoyer donna les plus belles espérances;

ceux qui suivirent les réalisèrent. Ses confrères lui prodiguèrent les éloges, et les membres les plus distingués de la Cour, de flatteurs encouragemens. M. Dudon était alors Procureur-général. Ce magistrat, que ses mœurs austères et ses grandes connaissances en jurisprudence rendaient également recommandable, prit en affection le jeune avocat, et lui témoigna jusqu'à sa mort une estime et une amitié toutes particulières.

Cependant notre horizon politique s'était chargé des plus sinistres nuages; le vertige révolutionnaire semblait avoir exalté toutes les têtes ; un faux patriotisme bouleversait la France, et bientôt allait la couvrir de sang. Les plus sages institutions étaient anéanties, et rien ne les avait remplacées; tout était dans la confusion, la désorganisation était complète, le désordre surtout était à son comble dans la législation. Ferrère sentit que, dans ces momens, d'anarchie, la sagesse consistait dans l'inaction; il se souvint du conseil de Tacite', et se condamna pendant les années 1792, 1793 et 1794, à l'obscurité et à l'isolement. Ce ne fut qu'en 1795 qu'il sortit de sa retraite et qu'il revint au barreau de Bordeaux.

Alors se rouvrit pour lui cette carrière de travail et de gloire que depuis il parcourut sans interruption. Les causes ne pouvaient manquer à sa réputation; quelquefois il s'en présenta dont il n'était pas

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Quiete et otio transit, gnarus sub Nerone temporum, quibus inertia pro sapientia fuit. TACIT.

sans danger d'entreprendre la défense; jamais Ferrère ne recula devant leurs périls; jamais il ne les repoussa quand il les trouva justes. Joignant à l'indépendance de sa noble profession l'indépendance d'un noble caractère, il exprimait hardiment toutes ses pensées, tous ses sentimens, sans s'inquiéter s'ils pouvaient déplaire ou non au gouvernement ombrageux qui pesa long-temps sur la France. Jamais il ne refusa au malheur la puissance de sa parole; souvent il lui offrit les modestes secours de sa fortune,

Ici il ne sera peut-être pas inutile de placer quelques mots sur sa manière de préparer et de traiter

ses causes.

Avant de se charger d'une affaire, il commençait d'abord par l'examiner avec une scrupuleuse attention; il cherchait ensuite à concilier les parties; il s'efforçait surtout de prévenir les discordes de famille dont les déplorables effets l'affectaient vivement. Ce n'était enfin que lorsqu'il jugeait impossible d'éviter un procès qu'il songeait à le défendre,

A l'audience, si la cause présentait quelques questions graves, après un exposé des faits toujours éloquent, en général, il parcourait rapidement l'ensemble des lois qu'il avait à discuter. Il reduisait ensuite sa défense à un petit nombre de propositions, dont la démonstration établissait la justice de ses conclusions, ou renversait les systèmes de ses adversaires. S'il avait à répliquer, alors il semblait redoubler de force; ses pensées arrivaient en foule,

sa pénétration saisissait sur-le-champ les rapports, les plus éloignés. Il faisait passer sa conviction dans tous les esprits, ses sentimens dans toutes les ames.

Habile à tracer ses plans, pour réfuter ses adversaires, il n'avait garde de les suivre servilement dans leurs divisions, et de s'embarrasser dans des routes destinées à conduire à un but opposé à celui qu'il voulait atteindre. Une réfutation dans laquelle on ne fait que redresser des faits, rétablir des principes, répondre à des argumens isolés, est nécessairement toujours sèche, hachée, sans liaison et sans couleur. Ferrère distribuait habilement dans les diverses parties de ses plaidoyers, et sans en altérer les proportions, les objections de ses adversaires; à chacune des propositions qu'il devait établir, il rattachait artistement tous les sophismes. qu'on leur avait opposés ; et sans se détourner de sa marche, il renversait en passant et comme d'un souffle, les obstacles impuissans qu'on avait élevés contre lui. Il trouvait dans cette méthode l'immense avantage d'éviter les redites, d'épargner les momens des magistrats, de ne pas diviser l'attention, et surtout de suivre toujours le plan le plus favorable à sa cause, chose si importante à l'ora

teur 1.

Quelles que fussent les causes que Ferrère traitât, dans les plus simples, dans les moins importantes,

'On trouve un exemple particulier de ce que nous venons de dire dans le plaidoyer pour Souverbie.

ses mémoires présentent toujours quelque morceau digne de son ta'ent. Dans tous ses écrits, on reconnaît son ame élevée, son cœur généreux. Jamais sa discussion ne dégénère en une froide dissertation, en une sèche controverse : elle est constamment chaleureuse, animée, palpitante d'intérêt. Mais c'est surtout dans les grandes affaires qu'il est véritablement sur son terrain, qu'il montre toutes ses ressources, qu'il déploie toute son éloquence : c'est surtout dans l'exposition des faits qu'il excelle, principalement quand ces faits sont mêlés de tragiques événemens. Alors ses images sont vives et hardies, sa narration devient solennelle et majestueuse, son récit prend tout l'intérêt d'un drame; il est tour-à-tour pathétique et terrible; il dispose à son gré de ses auditeurs. Sans que son style perde rien de sa noblesse, il en rejette tous les ornemens; il puise tous ses moyens dans son ame seule, il réussit toujours à attacher, à émouvoir fortement. En même temps, il trouve l'art de rattacher à sa cause les plus hautes considérations d'ordre public, et franchissant les limites d'une obscure contestation, il sait tirer d'une discussion particulière de grandes leçons.

Parmi les procès remarquables qui offrirent à Ferrère l'occasion de développer son beau talent et de montrer à quelle hauteur il pouvait s'élever, nous en distinguerons quatre surtout: l'affaire Plantey, l'affaire Lamorine, l'affaire Themines, et l'affaire Souverbie. Retraçons-en les circonstances.

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