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pas le feul intérêt de l'Eglife & de nos freres, c'eft le nôtre, qui demande de nous que nous nous affligions des maux de l'Eglife, & que nous fentions ceux de nos freres comme les nôtres propres; mais nous ne pouvons nous arrêter plus long-tems à cette pensée.

Celle des autres Peres eft, que la mer figure le monde femblable à une mer, par le mouvement perpétuel où font les hommes, & plus encore par les dangers aufquels on y eft expofé. La barque fignifie notre ame; les vents, les tentations qui l'attaquent; les flots, les périls où elle fe trouve expofée; le fommeil de Jefus-Chrift, l'affoupiffement de notre foi; fon réveil, la vivacité de cette foi qui fe ranime à la vûe du danger; c'eft l'interprétation que nous lifons dans faint Auguftin fur le pfeaume vingt-cinquiéme; & dans faint Chryfoftôme fur notre évangile, c'eft celle à laquelle je m'attacherai dans cette inftruction.

Ce monde eft non-feulement un exil, mais un pays ennemi par rapport à nous; nous y fommes environnés d'ennemis de toutes parts; ces ennemis le font de nos ames bien plus que de nos corps; quel intérêt n'avons-nous pas de connoître leurs forces, leurs artifices, leurs marches, & la maniere dont ils attaquent ? quel intérêt n'avons-nous pas d'apprendre les moyens de réfister à leurs forces, d'éluder leurs artifices, & de les tromper dans leurs voyes? quel intérêt n'avons-nous pas de fçavoir les deffeins de Dieu qui permet la tentation, afin de pou voir y entrer, & par là de fanctifier nos combats? C'eft fur tous ces points intéressans de la religion que je vous entretiendrai aujourd'hui & le premier Dimanche de Carême.

Aujourd'hui vous verrez d'abord pourquoi nous

fommes tentés, ce fera le fujet de mon premier point.

J'ajouterai enfuite comment il faut réfifter à la tentation, ce fera le fujet de mon fecond point.

Commençons par remercier ici le Seigneur de la grace qu'il va nous faire; & afin de la mériter, difons-lui avec David: béni foit le Seigneur mon Dieu, qui apprendra à mes mains à combattre, & à mes doigts à faire la guerre ; benedictus Dominus Deus meus, qui docet manus meas ad prælium, & digitos meos ad bellum. (a)

Premier Point.

Avant d'entrer dans l'explication des vûes que le Seigneur fe propofe en permettant la tentation, il eft bon de connoître ce que c'eft, & ce que fignifie le terme de tenter, qui fe trouve fi fouvent dans les Ecritures. Ce mot, tenter, peut fe prendre en deux fens différens ; ou pour éprouver, fonder, chercher à découvrir quelque chofe, ou pour porter au péché; & c'est dans cette feconde fignification que le démon est appellé tentateur dans l'évangile.

Suivant ces différentes notions, vous voyez que Dieu, les hommes & le démon peuvent nous tenter. Dieu le peut, en nous abandonnant à de violentes épreuves, en nous ordonnant des chofes difficiles, en nous laiffant dans des occafions dangereufes, qui nous feront connoître notre attachement pour fon fervice, & en nous fufcitant des traverses & des afflictions. C'eft ainfi que Dieu tentoit le chafte Jofeph, lorsqu'il permettoit qu'il fût fortement follicité par la femme de Putiphar; c'est ainfi que Dieu tentoit Abraham, en lui commandant d'immoler fon fils

(a) Pf. 143.

unique, l'objet de fa tendreffe: c'eft ainfi que Dieu tentoit fon peuple, lorfqu'il lui faifoit pleuvoir de la manne en abondance, pour éprouver s'il en uferoit felon qu'il lui avoit ordonné; & c'est encore ainfi qu'il le tentoit, en le faisant marcher dans le défert pendant quarante ans.

Les hommes peuvent fe tenter & fe tentent les uns les autres; quelquefois pour une bonne fin, comme quand la reine de Saba vint tenter Salomon, prefque toujours pour une mauvaise fin, ou pour furprendre & pour nuire, ou pour folliciter au mal & porter au péché. N'eft-ce pas là à quoi tendent leurs exemples & leurs difcours, leurs douceurs & leurs persécutions, leurs promeffes & leurs menaces ? que trouvet'on pour l'ordinaire en tout cela qui porte au bien?

Les hommes fe tentent encore eux-mêmes en ce fens, que depuis le péché de nos premiers parens il régne en nos membres un funeste penchant vers le mal, une inclination vicieufe dont nous fomentons les défirs par trop de ménagemens pour nous, au lieu de les réprimer avec toute la févérité de l'évangile,

Enfin le démon nous tente, & chaque fois qu'il nous tente, c'est pour nous porter au péché. Ainfi il faut reconnoître trois principes des tentations qui nous portent au péché; la concupifcence, qui excite en nous des mouvemens déréglés, le monde, qui nous féduit par fes confeils, fes exemples & fes maximes, & tous les objets qu'il préfente à nos fens le démon, à qui Dieu permet d'irriter notre convoitife, d'agir fur notre imagination & fur notre corps, de mettre devant nous des piéges dont il nous dérobe la vûe, & où nous rifquons d'être pris à chaque inftant. Tels font les ennemis que nous avons à com

battre, telle eft la guerre que nous avons à foutenir quelle fin Dieu fe propose-t'il en la permettant quelle vûe le démon a-t'il en nous la faifant, c'eft ce que l'explication de notre évangile va nous faire comprendre.

Jefus étant entré dans la barque, accompagné de Jes difciples, auffi-tôt il s'éleva une fi grande tempête, que la barque étoit couverte de flots; & ecce motus factus eft magnus in mari, ita ut navicula operiretur fluctibus. Saint Chrifoftôme, dans l'homélie qu'il a faite fur cet évangile, dit que Dieu permit cette tempête, pour former fes apôtres à deux vertus, à l'humilité & à la conftance; ut ad utraque eos erigeret à la conftance, en les accoûtumant aux périls où ils devoient être fi fouvent exposés dans la fuite, & ad hoc quòd in periculis non ftupefcerent; & à l'humilité, en les accoû. tumant à recevoir les honneurs qu'on leur rendroit avec tous les fentimens de la modération chrétienne ; & ad hoc quòd in honoribus moderata de fe autument; Jesus-Christ avoit retenu ses apôtres auprès de lui après avoir congédié le peuple, il étoit dangereux que cette marque d'honneur & de diftinction ne leur enflât le cœur, c'eft pour prévenir cette tentation que le Sauveur permet qu'ils foient expofés au péril de faire naufrage; ut non magna de fe faperent propter hoc quòd aliis dimiffis eos retinuerat, permittit eos fluctuari; c'est encore dans le même deffein qu'il permet la tentation, c'eft pour nous humilier & nous fortifier.

Il étoit à craindre que l'honneur que Jefus faifoit à fes apôtres de les retenir auprès de lui, ne leur infpirât de la vanité; eft-il moins à craindre pour un chrétien, que la providence a élevé au-deffus de fes freres, pour un chrétien qui fe yoit dans la profpérité, qui fe voit aimé des uns

& craint des autres, menagé, eftimé & refpecté de tous, pour un chrétien qui a reçû des graces particulieres de Dieu, un génie vaste, un cœur élevé, une ame née avec des inclinations heureufes: eft-il moins à craindre, dis-je, que ce chrétien ne foit tenté d'orgueil & d'un amour déréglé pour fa propre excellence? ames dévotes, que la piété éleve aux yeux de Dieu; & vous, que le rang ou la fortune élevent aux yeux des hommes, je vous le demande, ce rang, cette piété, n'ont-ils jamais été pour vous un fujet de vaine gloire? d'où vient cette opiniâtreté, cet attachement à fon fens, que nous appercevons quelquefois dans les perfonnes qui font profeffion d'une dévotion plus rare? d'où vient ce fafte, ces airs de hauteur qu'on affecte à proportion qu'on avance dans le monde? l'idée de votre fainteté, de votre élévation & de votre rang, voilà peut-être l'unique caufe de ces fentimens trop fenfibles de l'amour propre il lui faut donc un contre - poids à cette idée qui vous énorgueillit, & ce contrepoids c'est la tentation: elle doit fervir à vous humilier à vos yeux, autant que la grace & l'autorité pourroient vous élever aux yeux du Seigneur & des hommes. C'est ce que Dieu fit autrefois comprendre au grand apôtre par fa propre expérience.

Ce généreux athléte de Jefus Chrift vous apprend que Dieu l'avoit élevé jufqu'au troifiéme ciel & jufqu'au paradis, que là il entendit des chofes qu'il ne pouvoit raconter, & que l'homme ne pouvoit entendre; audivit arcana verba quæ non licet homini loqui. (b) Que fait le Seigneur pour empêcher que cette haute élévation n'enfle fon cœur ? voici l'humble aveu que faint Paul

(b) 2. Ad Corinth, 12,

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