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localités couvertes de rivières et de forêts impénétrables, comme la Guyane.

Il ne faut pas, toutefois, pour établir cette industrie, détruire les forêts, mais seulement les percer par des chemins et des allées et les couper successivement en ordre d'aménagements, afin d'en obtenir des revenus perpétuels.

Un pays neuf est, en un mot, un grand jardin à nettoyer: il va à détruire, à conserver et à embellir, autant dans l'intérêt du gouvernement et du propriétaire que dans l'intérêt de la salubrité des habitants. Dans ces grandes améliorations, il faut spécialement avoir l'avenir en perspective, et ne pas faire de provisoire; on doit agir sur un plan général, longuement médité et sagement réfléchi, avec des idées larges et généreuses; ce qu'on n'a point encore fait à la Guyane, où ceux qui s'y sont rendus n'ont cherché qu'à recueillir, prendre et faire fortune en peu de temps. Espérons qu'à l'avenir on sera éclairé par l'expérience, et que l'on sentira micux ses intérêts; alors on donnera à ce vaste et riche pays toute la prospérité dont il est susceptible; chacun le comprendra comme nous. Le gouvernement peut seul déterminer ce mouvement, parce qu'il ne peut être arrêté par les difficultés et les dépenses, comme cela pourrait arriver à des entreprises particulières, qui échoueraient au moment même d'atteindre leur but, faute de fonds suffisants ou d'harmonie dans l'exécution des plans quelles voudraient suivre.

Justement enthousiaste du sol fécond et embaumé

de la Guyane, et sans nous dissimuler les inconvénients de ses maringouins, de ses marécages et de ses serpents, nous avons l'idée qu'un jour la France en retirera de grands avantages. Mais, pour arriver à ce but tant désiré, nous pensons que les personnes chargées de l'amélioration de cette possession française, ainsi que celles intéressées au sol, doivent s'occuper

1° De creuser des pertuis ou écluses sur les cataractes, pour faciliter la navigation des rivières ;

2o De réparer le canal Crique fouillé, qui fait la communication de la rade avec la rivière de Cabasson;

3o De continuer celui de Gabriel, qui pourra, un jour, communiquer, par ses embranchements, avec celui de Torcy; ce dernier encore très-imparfait, et ne pouvant servir au transport des marchandises que par les temps de pluie;

4° De perfectionner celui de Torcy, qui doit communiquer de la rivière de Machary à celle de Kan, et qui n'a encore que 3,600 toises d'étendue;

5° De créer des établissements de forges à fer; construire des fabriques de poterie, briqueterie, faïence et porcelaine, si, comme nous le pensons, on en trouve la matière, afin de déblayer le pays de ces lianes et plantes parasites qui l'obstruent, et, en outre, privent, par leur ombrage très-épais, tous les végétaux des qualités qui leur seraient nécessaires pour être durables et les faire livrer au

commerce.

En résumé, quand on veut assainir une maison

abandonnée, que fait-on? d'abord, du feu dans les cheminées; ensuite on en ramasse toutes les malpropretés qu'on jette immédiatement dans le foyer comme un chiffon embarrassant qu'on brûle au milieu d'une chambre pour la purifier. De même, pour un pays vierge et boisé, on a recours principalement aux fourneaux à fer et aux fours des fabriques; c'est ce que nous conseillons vivement pour la Guyane. Les administrateurs de cette colonie sentiront eux-mêmes que, sans ces éléments bien connus de prospérité publique, elle sera plus onéreuse à la France qu'elle ne lui sera profitable.

CHAPITRE XXII.

CRAINTES DES PROPRIÉTAIRES DE BOIS SUR L'INTRODUCTION DES BOUILLES ÉTRANGÈres pour LE SERVICE des forges eT HAUTS FOURNEAUX, MÊME DES FOYERS DOMESTIQUES ET RÉFLEXIONS POLITIQUES SUR LA FRANCE.

L'introduction des houilles et des fers étrangers est une question de douane très-grave qui ne peut être jugée que par les personnes instruites dans cette partie nous avons l'opinion qu'elle sera accueillie tôt ou tard; cependant les propriétaires de bois en prendraient l'alarme à tort, car ce qu'ils perdront d'un côté ils le gagneront de l'autre.

Le bois sert à tant d'usages et a des qualités si précieuses, qu'il sera toujours recherché.

La houille, par sa concurrence, pourra en maintenir encore longtemps le prix actuel; mais, en retour, les défrichements en élèveront la valeur et forceront peut-être le gouvernement à taxer le bois comme le pain. Le bois, jusqu'à Louis XVI, se vendait à Paris à la taxe.

Admettons un instant que les houilles étrangères vinssent alimenter nos forges et nos fourneaux, même nous livrer leurs fers à moitié du cours français : nous ferions encore du fer dans certaines localités.

Nos forêts, qui servent exclusivement aux forges

et qui n'auraient pas d'autres débouchés, perdraient beaucoup sans doute; ce serait d'abord une catastrophe. Mais on s'est remis en France, et promptement, d'événements plus fàcheux.

L'abaissement de prix du bois amènerait des défrichements considérables, surtout s'ils sont légale ment autorisés; cette denrée se raréfierait donc beaucoup, et l'envahissement incessant de la culture de la vigne sur les bois en coteaux ajouterait encore aux immenses avantages qu'on retire de cette production répandue maintenant dans presque toute la France, parce que probablement le pays est plus découvert, ou que, par suite d'un changement de température, il est moins sujet aux gelées du printemps.

L'augmentation progressive des populations, particulièrement dans les régions où l'on consomme le plus de bois (*); l'aisance qui s'introduira dans les classes moyennes et populaires par des institutions en harmonie avec nos mœurs, secondées de banques nationales établies sur des bases philanthropiques, feront reprendre au bois, nous n'en doutons pas, la valeur que les houilles pourraient lui faire perdre un instant.

Malgré notre confiance dans l'avenir de la France et de ses propriétés, nous voyons cependant avec douleur et inquiétude que le vaisseau de l'État, quelque habiles que soient ses pilotes, n'est point lancé de manière à éviter de funestes écueils, parce qu'il s'est embarqué dans une fausse route, en laissant un peu trop

(*) Voir nos Réflexions sur la progression de la population de la France, pages 23 et 21..

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