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chambre, il faut la séparer des masses d'où elle tire sa force et ses inspirations de courage, les lui opposer même; c'est uniquement avec cette puissance du jour, qu'on aura à ses ordres quand on saura l'apprécier et la diriger par ses faiblesses et ses passions, que gouvernement pourra maintenir la paix et la prospérité en France. Saint-Bernard, Sugger, abbé de Saint-Denis, Richelieu, Louis XIV et Bonaparte, en sortant les masses de leurs fondements pour les sacrifier à leur ambition, s'en faisaient adorer.

le

Tout gouvernement, en définitive, pour être fort et durable, doit baser sa politique gouvernementale sur les masses qui n'ont rien ou peu à perdre, afin d'être toujours en mesure de réprimer les prétentions incessantes et immodérées des coureurs de place et des traitants, qui ne cherchent à le harceler dans sa marche, ou à le détruire, qu'en vue de s'enrichir,ou de satisfaire leur insatiable vanité.

L'aristocratie est pour un État ce que les fondements, les poutres, les étriers, etc., etc., sont pour un bâtiment. Pas de gouvernement possible sans une aristocratie quelconque.

La démocratie seule est une construction sur le sable, de nos jours surtout où l'argent semble être l'objet du culte de tous; elle est d'autant plus dangereuse, qu'on y prenne garde, qu'à la première étincelle elle sera prête à déployer l'étendard de la révolte, sans savoir où elle ira, et recrutera sur son passage ceux que l'oisiveté ou la misère tient sous ses étreintes, pour tout détruire, mème ce qu'elle adorait la veille. L'argent étant le faible qui captive les hommes, la

politique s'en est aidée et doit s'en aider encore pour satisfaire leurs mauvaises passions et les diriger en conséquence. Richelieu et Bonaparte les connaissaient bien; aussi faisaient-ils de cet appât le principe de leur action gouvernementale, tout en les dominant de leur despotisme absolu.

Nos erreurs et nos fautes, disons-le franchement, proviennent de ce que nous nous estimons trop et que nous ne connaissons pas assez nos faiblesses et combien peu nous valons! En nous appréciant mieux, nous viserions seulement à faire usage de nos meilleures facultés, et surtout à mettre toute rivalité de côté, quand il s'agirait, par exemple, de nous fixer sur le choix de nos mandataires constitutionnels en nous déterminant particulièrement pour ceux qui présenteraient des garanties à la fois morales et territoriales, enfin qui seraient les plus intéressés au repos public et à la prospérité des citoyens, qui, en faisant leurs affaires et en mettant leurs châteaux, leurs fermes ou leurs magasins à l'abri des invasions étrangères et de la rapacité toujours envahissante du fisc, feraient aussi les nôtres. Alors notre chaumière, cotée à l'impôt sur une base commune, aura peu à payer; et, sans avoir notre place au somptueux et perpétuel banquet de l'État, nous reposerons tranquillement, et nous nous garderons surtout de songer à faire des révolutions, qui profitent rarement à ceux qui y ont pris la plus grande part.

Avec des hommes qui seront intéressés au sol, nous n'aurons pas ce qu'on nomme la meilleure des républiques, mais bien un gouvernement qui offrira des

garanties aussi stables que les choses humaines peuvent le permettre. Voilà, en résumé, nos craintes et nos espérances; et, si notre faible voix n'est point entendue, nous nous en consolerons, parce que nous sommes assuré que l'on pourra faire mieux, que, tôt ou tard, l'excès du mal amènera le bien, et, en un mot, que, tant qu'il existera un Bourbon, la France ne périra pas comme la Pologne.

Revenus à l'ordre et à la tranquillité, ayant des principes de gouvernement et de haute administration larges et stables, ayant aussi le mouvement des banques et du papier-monnaie qui nous manque, et dont nous jouirons dès que le monopole de la banque de Paris aura été détruit, ayant enfin une royauté im-muable et respectée, mise à l'abri de nos critiques politiques par une responsabilité ministérielle et accompagnée d'une puissance électorale basée sur la propriété foncière, créée spécialement dans l'intérêt de tous, la France reprendra la considération dont elle doit jouir par son sol et l'industrie de ses habitants. Voilà sur

quoi nous comptons pour l'établissement de la prospérité publique. Nul doute alors, et dans l'intérêt du sujet que nous traitons, que le bois, malgré la houille, ne soit rangé dans les consommations de nécessité et de grande valeur qui seront les plus recherchées.

Nous ne nous refusons pas néanmoins à reconnaitre que beaucoup de forges, en Normandie, en Bretagne, en Bourgogne, en Nivernais et en Berri, sur l'Yonne, la Seine et la Marne, seront cruellement froissées par l'introduction des fers et des houilles

étrangères, sans frais de douane ou avec de légers droits. Mais les bois ne seront pas sans valeur pour cela; ils prendront une autre direction : ils serviront aux besoins des localités, à ceux de Paris, qui sont toujours croissants, et autres grandes villes; s'exporteront sur nos rivières, canaux et chemins de fer, et se caseront insensiblement. Un peu de diminution dans le prix en ferait consommer davantage. On réglera alors leurs aménagements sur les progrès et les besoins du jour, et les propriétaires de bois ne seront pas aussi lésés qu'ils le craignent. S'ils veulent lire nos deux volumes d'un bout à l'autre et avec attention, ils se rassureront peut-être.

Si les fers étaient livrés à moitié du prix du cours actuel, il est certain que l'agriculture et les vignobles y gagneraient beaucoup; il y aurait donc compensation, et, dans leur intérêt particulier, nous engagerions, comme compensation et indemnité, les proprié taires de bois à réclamer la libre exportation des écorces par la Seine et la Loire, aujourd'hui confinée seulement à la Meuse, à l'Isère et à une commune du Jura (*). Alors nos voisins, les Anglais, nous rendraient probablement ce qu'ils recevraient pour leurs fers et leurs houilles.

Tout cela pourrait peut-être s'arranger à la satisfaction des deux pays; il ne s'agirait que de s'entendre franchement et sans prévention.

Quand en serons-nous là?

(*) Voir, vol. 1er, p. 267, et vol. 2o, nos chapitres Exploitation à l'écorce.

CHAPITRE XXIII.

AFFOUAGE OU CHOIX DES BOIS POUR LES CONSTRUCTIONS MARITIMES ET RÉFLEXIONs sur l'école FORESTIÈRE DE NANCY.

Lorsqu'on réfléchit qu'un vaisseau de haut-bord porte plus de population, de vivres, de munitions de guerre, que certaines villes frontières, on s'effraye de la légèreté et de l'insouciance que nous mettons, aussi bien que nos voisins, dans le choix de la principale matière d'un bâtiment aussi important, surtout quand il est destiné à un voyage de long cours; placé constamment sur un abime, menacé à tout instant par le feu, les tempêtes et les vents contraires, par les rochers et tant d'autres écueils que la nuit et les brouillards dérobent souvent à la vue, n'ayant d'autre espoir, enfin, que celui trop rare d'un autre vaisseau qui, par humanité et courant lui-même d'aussi grands périls, voudra secourir votre détresse.

Pour la sûreté de tant de personnes et de fortunes, par économie même et pour l'avantage de nos constructions navales, à l'avenir nous pensons qu'il est urgent de donner au ministère de la marine un affouage en bois qui serait pris dans les forêts que l'État possède encore.

Pressons-nous d'agir en ce sens, car si le système

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