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grands propriétaires; ces bois devraient, au contraire, servir de modèles par leur bonne tenue, et être l'objet d'une gestion sage, approfondie et sûre.

Pour conclure, nous pensons et nous ne craignons même pas d'affirmer, ainsi que nous l'avons déjà répété, que la science forestière est inconnue non-seulement en France, mais encore en Europe, et nous osons espérer que nous le prouverons.

A l'exception d'un très-petit nombre de forestiers qui sont anciens dans la partie, les autres ont fort peu d'expérience, et parmi ceux-ci il en est même, et nous parlons avec certitude, qui ignorent les premiers éléments de cette science, ou de ce métier, si l'on veut, et qui seraient même fort embarrassés de dire quel est le mois le plus convenable pour abattre le bois, et pourquoi on doit l'abattre plutôt en novembre qu'en mars; qui ne savent pas comment il faut le couper, si c'est bas ou élevé, à un ou deux pouces au-dessus de la souche, ou sur racine, à un ou deux pouces de profondeur, ou enfin rez terre, suivant les terrains et les expositions; s'il faut essoucher

ou non, et comment; quelles réserves on doit faire dans les bois riches de fonds, et dans ceux arides ou médiocres; comment on doit les choisir, si c'est de toutes essences, même dans les bois blancs pour les mieux espacer, ou préférer les bois durs et les essences les plus recherchées; si la vidange des bois exploités doit avoir lieu avant le 30 avril de l'année de sa coupe; sur les routes ou chemins le plus près de l'exploitation, ou l'année suivante, si l'âge et l'ordre des aménagements peuvent être régis par des règles invariables, ou suivant le sol, les localités, et l'état plus ou moins prospère des

coupes.

Voilà en peu de mots l'énumération des principes forestiers, ils sont peu nombreux et faciles à saisir; cependant très-peu de personnes les comprennent, ou du moins consentent à se donner la peine de s'en pénétrer, par insouciance ou paresse: aussi sommes-nous justement révolté de ce que les trois quarts au moins des agents forestiers marchent en aveugles, ne se doutant pas qu'ils exercent une profession dont le premier venu peut s'acquitter aussi bien qu'eux, en un mot

sans avoir la plus légère connaissance de toute la puissance de la végétation des bois; n'ayant d'autres guides, dans leurs fonctions, que les anciennes routines et les fausses théories de Buffon ou de ceux qui l'ont copié.

De cet état d'incurie et de cet oubli des vrais principes naissent en foule, dans la culture et dans l'exploitation des bois, des abus monstrueux que nous avons le plus vif désir de signaler et de détruire, en traçant des instructions pour tout ce qui a rapport aux forêts, et en cette intention nous entrerons dans tous les détails qui pourront aider l'intelligence sur ce sujet; nous ferons tous nos efforts pour préciser si bien ces détails, que la plus étroite capacité nous comprendra; au moins, tel est notre but. Nous les classerons de notre mieux, même en nous répétant plusieurs fois, quand nous le jugerons nécessaire, afin qu'on puisse, sans intermédiaire, et notre ouvrage à la main, exécuter tous les travaux forestiers, jusqu'aux flottages des bois sur les

ruisseaux et en trains.

C'est dans ces vues et sur ce plan que nous avons composé ce traité général des bois,

animé du désir de le rendre classique en France et partout où le bois a acquis ou pourra acquérir dans l'avenir toute son utilité. La Russie, particulièrement, y trouvera le résumé de cinq siècles d'expériences sur l'exploitation des bois; ce peuple, qui, comme les États d'Amérique, marche rapidement vers les améliorations, appréciera les bienfaits de notre industrie, et, les appliquant à son sol, en retirera d'immenses avantages.

La Russie est aujourd'hui, quant aux forêts, au point où nous en étions au 1x siècle, sous Charlemagne : ses habitants, privés de toutes connaissances forestières, ou plutôt abusant de ce que la nature leur a donné avec tant de prodigalité, et comme de toutes choses dont on cherche à se débarrasser, brûlent leurs futaies sans s'inquiéter de l'avenir; ils en pavent leurs routes, les abattent et coupent sans règle ni mesure; laissent dévorer par leurs bestiaux les renaissances de celles exploitées à la cognée; enfin ils en usent comme nous le faisions nous-mêmes quand les trois quarts de notre territoire en étaient couverts.

Bientôt, sans doute, ce pays des grands

végétaux reconnaîtra qu'il a dilapidé sans profit ses richesses forestières; c'est pourquoi nous souhaitons qu'un autre Louis XIV fasse pour le Nord ce que le nôtre a fait pour la France, et qu'il arrête, au moyen d'une législation fondée sur plusieurs siècles d'expérience, le gaspillage de la plus utile comme de la plus belle des propriétés. Nous espérons que l'empereur Nicolas, qui se distingue par tant de hautes qualités et par la protection raisonnée qu'il accorde à tout ce qui peut accélérer les progrès de la civilisation, sera ce législateur, et qu'il fera apprécier à ses peuples une valeur dès à présent immense, et qui, selon nous, doit acquérir dans l'avenir une bien plus grande importance encore.

En cherchant, par notre ouvrage, à faire naître pour les bois, leur culture, leur amélioration, leur exploitation et pour tous les avantages de leur produit l'intérêt si puissant que l'on porte aux autres produits agricoles, nous avons principalement en vue de soulever le voile qui cachait la culture de la propriété d'une des grandes ressources de la France; malgré notre zèle, notre vieille ex

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