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dans un grand désordre, parce que les chefs ne connaissaient qu'un mode de bonne administration, celui de suivre les errements qui existaient avant eux, et, autant que possible, d'égaliser les dépenses et de n'en faire qu'à regret, et le moins possible. Mais ces dépenses alors devenaient en certaines occasions, considérables, tout en n'améliorant aucune partie du service.

Ils ne dépensaient donc l'argent de leurs commettants qu'à corps défendant, et cela était bien sans doute, mais il y avait à côté l'inconvénient et comme exemple qu'une réparation de 6 fr, faite à propos aurait valu 120 fr. et plus au commerce,

Lorsque notre père arriva au syndicat, il eut beaucoup à faire; quand il ordonnait une dépense, il voulait que le résultat en fût beau et durable, et qu'il fût digne d'un commerce plein d'avenir. Aussi avec de pareilles idées marcha-t-il toujours avec une liberté qui déplut quelquefois aux petits marchands. Soit jalousie, soit ignorance, ils critiquaient sourdement ses opérations, mais en agissant largement, sa conscience ne lui reprochant rien, il s'inquiétait peu de leur mécontentement et de leurs reproches qui n'étaient que des railleries irréfléchies; néanmoins ce ne fut pas sans peine qu'il parvint à leur faire comprendre que les dépenses, en définitive, étaient payées par les propriétaires ou plutôt par les consomma

teurs.

Nous nous plaisons ici à rendre également hommage au zèle et au talent de M. Paul Bourlet, agenţ

général des petites rivières. La voûte du canal du Nivernais, près Beillé, le pertuis d'Armes, le premier qui fut construit en pierre, et autres grands travaux sur l'Yonne, sont son ouvrage; il seconda beaucoup notre père dans ses constructions de vannages, étangs et redressements de rivières, et avait, comme lui, les vues les plus généreuses.

CHAPITRE VIII.

DU FLOTTAGE EN TRAINS OU RADEAUX.

Le flottage en trains ou radeaux, dont on donne à tort l'invention à Jean Rouvet, existe de temps immémorial; avant de construire des bateaux et, par suite, des vaisseaux, on a fait des radeaux en jonc ou en bois.

Le bois le plus lourd, séché pendant quelques jours, étant alors plus léger que l'eau, surnage naturellement. Alors plusieurs morceaux réunis se portent appui mutuel, et, placés sur une surface plane, ils forment un train ou un plancher mobile qui flotte encore mieux et peut même supporter un grand poids; c'est, en un mot, une large planche ou plusieurs planches ensemble qui flottent dans la direction qu'elles reçoivent.

Depuis le déluge, car il faut bien remonter aussi haut, depuis la création même, quand il est arrivé des inondations on a fait des trains, c'est-à-dire qu'on a été naturellement porté à employer les premiers bois ou planches trouvés sous la main pour se faire un train ou radeau, afin de se sauver ou de secourir au

plus vite ses semblables en danger: on a donc, par suite, réuni et lié ensemble des bois et des planches par des cordes ou de jeunes branches d'arbre, et c'est avec ces constructions improvisées qu'on a commencé à paralyser en partie la fureur des flots, établi des communications faciles et utiles; nul doute enfin que les radeaux ou trains ont précédé tous les bâtiments de marine, et datent d'une époque de plus de 5000 ans avant Jean Rouvet.

Il n'a donc pas fallu des efforts de génie pour inventer le flottage à bûches perdues et en train; il faudrait même pousser bien loin l'hyperbole, ce nous semble, pour qualifier d'invention ces deux industries.

Il y a plus de quinze siècles qu'on transporte les charpentes et les bois à brûler sur le Rhin, la Loire, la Saône, etc., à l'exemple des Grecs et des Romains, qui eux-mêmes reçurent l'invention de peuples plus anciens.

Cette navigation naturelle a reçu, il est vrai, depuis 1400, de grandes améliorations sur l'Yonne et ses affluents, à cause du commerce considérable des bois destinés au chauffage des Parisiens; mais ces améliorations sont dues au temps, au progrès des arts et de l'industrie, et particulièrement à l'intelligence bien connue des ouvriers des bords de l'Yonne. Nous croyons donc être fondé à dire qu'il y a de l'exagération à avoir personnifié dans Jean Rouvet le flottage des trains, et on doit s'étonner, surtout, de ce que les propriétaires et les marchands de bois

se sont un peu trop impressionnés en érigeant sur le pont de Clamecy le buste de Jean Rouvet, comme ayant inventé ce flottage. La donnée dont on s'est servi pour glorifier Jean Rouvet est celle-ci :

Saint-Yon, auteur de 1610, p. 1028, rapporte « que le premier qui a fait venir des bois flottés du << pays de Morvan en la ville de Paris a été Jean « Rouvet, marchand, bourgeois en ladite ville. »

Delamarre, dans son Traité de police, t. iv, p. 866, qui a copié Saint-Yon, en dit autant; ensuite tous les auteurs qui ont écrit sur les flottages ont de même répété cette fable, l'ayant puisée à la même source: il est facile de concevoir que le fait rapporté par SaintYon est établi sur un on dit dont toutefois il n'a pu être contemporain, car, à cette époque, on n'achevait ses études que de 25 à 30 ans ; admettons qu'en 1610 Saint-Yon avait la quarantaine, ci. . . . 40 ans.

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A cet âge, il est vrai, on peut se laisser abuser et prêter l'oreille aux plus grandes invraisemblances. Nous contestons donc cette prétendue invention qui, sous tous les rapports, est une puérilité, même pour les personnes les plus familiarisées avec la navigation. Que d'inventions et de découvertes ont été aussi utiles et bien plus ingénieuses, et dont on ne parle pas ! En admettant encore, pour un instant, que ce soit une merveille pour la Nièvre et l'Yonne, les personnes qui se sont laissé entraîner à cette idée

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