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Il y a donc un bénéfice évident, en prenant le terme moyen de 2,500 fr. seulement, de neuf fois le prix du fonds de bois. Cet énorme avantage est d'un si puissant attrait pour certaines contrées, qu'on donnera dans les défrichements, sans aucun doute, comme à Paris, en 1825, on spéculait sur les bâtisses, et en 18361837 sur les entreprises par actions. Ainsi, quand les défrichements seront autorisés légalement, on défrichera avec excès, même des bois nullement propres à former des prairies ni des terres pour les cé

réales.

C'est un écueil grave que nous signalons et que les plus capables n'éviteront pas, parce qu'on est naturellement toujours disposé à avoir confiance dans ce qui promet de gros revenus et qu'on se laisse facilement entraîner à voir en beau ce qu'on désire vive

ment.

Toutefois, avant de se fixer sur le défrichement d'un bois, il faut, avec soin d'abord, sonder le fond en plusieurs endroits, bien examiner la qualité et la nature du terrain, sans oublier qu'on trouve fréquemment dans les forêts une terre noire semblable au terreau de couche, qui est sans consistance, et où rien ne vient que les bois tendres, et encore assez mal; ou une autre terre rougeâtre, ayant une riche apparence, qui, cependant, n'a aucune sève ni aucune puissance de végétation.

Il est nécessaire, en outre, de faire attention que les plus mauvais terrains pour la culture sont ceux aquatiques, mélangés de corroi et de terre glaiseuse;

ils sont quelquefois propres à la fabrication des tuiles, mais ne valent rien pour les céréales : ceux garnis d'un sable granitique, de gros cailloux ou de gravier ferrugineux, sont, au contraire, très-bons les pour bois, particulièrement pour le chêne, et valent encore moins, pour les céréales, que les glaiseux et humides.

Enfin, pour se déterminer sur un défrichement, on ne doit pas manquer de prendre, préalablement, tous les renseignements utiles, afin de ne pas faire une fausse opération; ensuite on doit s'attacher principalement à s'assurer de la qualité des terres du voisinage; si elles sont en partie abandonnées, s'il y a déjà quelques plantations de bois autour, examiner si elles sont bien venantes; enfin si elles sont plus ou moins nombreuses et soignées.

Il arrive souvent qu'un propriétaire laisse de graudes landes incultes quand il devrait les planter sans perdre un moment, parce qu'il recule devant une dépense de plantation qui rentre lentement, ou lui présente de l'incertitude pour le recouvrement de ses avances; un autre, au contraire, plantera où les céréales prospèrent; il est vrai qu'une plantation prête aux illusions, occupe ceux pour qui le travail est un besoin, ou qui aiment à se bercer d'espérances flatteuses; aucune culture ne présente autant de charmes, on fait quelquefois une plantation par agrément, et comme un pavillon chinois; enfin on plantera à grands frais ce qu'un autre détruira, pour n'avoir, en résultat, qu'une chetive pâture de

moindre valeur; c'est pourquoi, avant de défricher même une faible plantation, il faut y regarder à deux fois.

Quand le terrain n'a pas de profondeur et qu'à quatre ou six pouces on trouve le roc pur, il faut bien se garder de défricher même un très-mauvais bois, ce serait la plus désastreuse des opérations; malgré tous ces avertissements, on défrichera néanmoins quand on en aura la permission.

Pour éluder la loi on a creusé, sur des terrains à pierres calcaires, des fossés à l'entour de bois assez considérables, et on a élevé des murs de peu de consistance pour en former de prétendus parcs. Eh bien! nous avons l'opinion que ces diverses parties de terrain, défrichées sans examen. seront remises en bois, si c'est encore possible.

Quand l'humus, produit par la pourriture des feuilles, n'est que de quelques pouces, et que la terre qui est dessous est froide, glaiseuse et sans puissance végétative, alors il se délaye et se perd par l'action spongieuse de la terre elle-même, où il est bientôt enlevé par les récoltes successives ou lessivé à sa surface par les pluies après cinq ou six ans et même moins, il n'y a plus de produits à espérer, pas même en sainfoin, qui vient dans les terres les plus arides, et sur un sol de trois à quatre pouces de profondeur seulement (12 à 16 centimètres).

M. le marquis de Louvois, qui fut un de nos plus grands propriétaires de bois, a fait entourer, en 1834, d'un léger mur en pierres sèches une forêt de mille

arpents, près d'Ancy-le-Franc (Yonne), dont il a défriché huit cents arpents et créé de magnifiques fermes pour les exploiter; peu de temps après, il en a vendu la propriété à ses fermiers: ceux-ci auront peut-être, pendant dix à douze ans, d'assez belles récoltes; mais ensuite elles décroîtront chaque année, et même nous avons la certitude que, si dans quinze ans les nouveaux propriétaires possèdent encore les fermes et leurs dépendances, ils n'hésiteront point à remettre le tout en bois.

Cette citation est un jalon que nous posons comme remarque pour nos lecteurs, et isolé de tout autre motif qui ait rapport à M. le marquis de Louvois ou à ses honorables acquéreurs; nous souhaitons même que nos prévisions soient en défaut, et que la forêt de Maule devienne pour ces derniers une véritable terre promise.

Tous ces mécomptes et fausses entreprises ne sont pas les inconvénients les plus dangereux, en mettant même de côté celui de rendre rare et hors la partie des médiocres fortunes un produit de première nécessité, si utile, en outre, à l'agriculture et aux arts; mais c'est menacer la France des plaies de l'Égypte, en y introduisant de longues et grandes sécheresses, pendant lesquelles tout périt ou qui d'horribles orages. Plusieurs naturalistes prétendent qu'un arbre séculaire, bien pourvu de branches, contient une superficie d'un milliard de pieds carrés en feuilles qui, de concert avec les racines de l'arbre, soutirent par la force de leur succion, en un jour et

une nuit, vingt-cinq milliers d'eau ou vingt-quatre tonneaux, jauge d'Orléans, qu'ils digèrent ensuite après s'en être nourris. C'est beaucoup. Quelques auteurs ne portent cette absorption qu'à 150 livres en vingt-quatre heures; nous pensons que cette dernière évaluation est plus rapprochée de la vérité : ce qu'il y a de certain et de non contesté aujourd'hui, c'est que les arbres attirent les eaux et les rendent ensuite pour se former en pluie. M. le duc de Raguse, dans la relation de son voyage en Égypte, annonce qu'il n'y pleut jamais, excepté au Caire et à Alexandrie environ quarante jours par an, spécialement à cause des plantations faites autour de ces deux villes, depuis le passage de l'armée française en 1798. M. Jomard, orientaliste célèbre, qui a fait partie de la commission scientifique d'Égypte et entretenu des rapports continuels avec le souverain de ce pays, dans la séance académique du 13 mai dernier, a réfuté l'assertion du duc de Raguse, et il a conclu, avec l'appui du docteur Destouches, résidant au Caire, que la commune des pluies au Caire et à Alexandrie, ainsi que dans toute l'Égypte, était de quinze à seize jours par an; qu'enfin les plantations faites par Mehemet Ali, quoique dans un sol trèsriche, et s'élevant à plus de seize millions de pieds d'arbres, sont encore sans influence sur la quantité annuelle des pluies. Au surplus, quelle que soit la différence des opinions entre ces deux illustres narrateurs, en considérant que la commune en

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