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«< calamité et une cause prochaine de décadence et << de ruine, leur dégradation, leur réduction au<< dessous des besoins présents et à venir est un de «< ces malheurs qu'il faut prévenir, une de ces fautes <«< que rien ne saurait excuser et qui ne se réparent « que par des siècles de persévérance et de privations.

« Pénétrés de cette vérité, les législateurs de tous «<les âges ont fait de la conservation des forêts l'objet « de leur sollicitude particulière.

<< Malheureusement les intérêts privés, c'est-à« dire ceux dont l'action directe et immédiate se fait « sentir avec plus de puissance et d'empire, sont «< fréquemment en opposition avec ce grand intérêt « du pays, et les lois qui le protégent sont trop sou<«< vent impuissantes.

<< Pendant plusieurs siècles, les efforts de nos rois «<luttèrent contre les abus auxquels les forêts de « l'État étaient exposées et contre les spéculations imprudentes de la propriété privée; mais ces efforts << ne furent pas constamment heureux.

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» Le désordre toujours croissant et la nécessité « d'y porter un prompt remède fixèrent l'attention « de Louis XIV, et l'ordonnance de 1669, fruit d'un «<long travail et des méditations de conseillers ha«biles, prit rang parmi les monuments d'un règne « illustré par tous les genres de gloire. »

A ce précieux document contre le défrichement, nous croyons devoir encore ajouter que presque tous les conseils généraux de départemement ont réclamé contre la dévastation des forêts et en ont signalé les

dangers. Si on défrichait les montagnes des Pyrénées, des Cevennes, de l'Auvergne, du Jura, des Alpes, du Morvan et des Ardennes, nous verrions bientôt la Garonne, la Dordogne, la Loire, le Rhin, la Meuse et la Seine cesser de porter des bateaux : il faudrait, comme pour le Manzanarės à Madrid, en vendre les ponts pour avoir de l'eau.

Il est, aujourd'hui, établi, incontestablement, que nous avons trop défriché, notamment depuis un siècle. La France de 1839 est loin de l'époque où Jules César fit la conquête des Gaules et trouva, sur le territoire de Marseille, des bois propres aux constructions et, dans ses marches militaires, des forêts impénétrables où les druides exerçaient paisiblement leur culte religieux et offraient un asile assuré à ceux qui cherchaient à se soustraire au joug du conquérant. Depuis longtemps cet état de choses n'existe plus; les nombreuses générations qui se sont succédé ont détruit tant de bois, qu'on ne trouve plus de forêts impénétrables en France, et que maintenant les environs de Marseille n'offrent que des pierres et des sables arides.

Paris, l'ancienne Lutèce, dont le nom indique un pays fangeux et de boue, était couvert de bois avant l'invasion des Romains les anciennes chroniques parlent de deux sources qui sortaient de la butte Montmartre et se dirigeaient vers la Seine; l'une passait par la Madeleine et l'autre traversait les terrains du faubourg Saint-Antoine; il n'y en a plus aucun vestige, parce que les bois qui couvraient

Paris n'existent plus; alors les bois de Vincennes, ceux des prés Saint-Gervais, Montmartre et Boulogne ne formaient encore qu'une seule et même forêt.

A Clamecy (Nièvre), il existait, depuis la montagne de Beaumont jusqu'au hameau de Moulot, un bois appartenant à la famille Faulquier, une des plus anciennes de cette ville, appelé la forêt de Feurquiau, donnant le titre de marquis à l'un des membres de cette famille, mais en plaisanterie. Au milieu de ce bois on rencontrait une fontaine qui a disparu entièrement lors du défrichement, opération mal entendue, même à ces époques où le bois abondait de toutes parts, car les terres y sont tellement maigres, qu'on n'en cultive qu'une très-petite partie; en bois, au contraire, situés près d'une ville et quelque médiocres qu'ils pussent être, on en cût retiré un bien meilleur produit que celui que rapportent aujourd'hui ces terres presque sans valeur.

A Druyes (Yonne), où les druides avaient un temple (*), les belles fontaines de cette ville antique donnaient le double d'eau: lorsque toutes les forêts qui l'entouraient existaient, la vallée des Druyes, à Andries, n'était, à cette époque, qu'un vaste étang, même en été; maintenant il y a des terres cultivées, des marais que l'on peut faucher et même quelques parties de prés passables.

En résumé, si on récapitulait toutes les fontaines

(*) Au milieu du silence et des bois solitaires

La nature en secret leur ouvre des mystères.

qui, en France, ont tari depuis 1400, le nombre en serait considérable; aussi, dans les temps le grandes pluies, où, en vingt-quatre heures, elles jetaient simultanément, elles causaient de grands ravages de nos jours, sous ce rapport, elles sont moins à redouter, nous n'avons plus maintenant de ces inondations à obliger les riverains à rester plusieurs jours dans leurs greniers pour se soustraire à la fureur des eaux, comme le firent les habitants de Clamecy, en 1740, sous Louis XV; mais, d'un autre côté, les effets désastreux du défrichement des bois sont maintenant un fait reconnu et dont les forestiers instruits redoutent les conséquences.

Cependant un agronome recommandable à beaucoup de titres, M. Mathieu de Dombasle, dans un opuscule de vingt-quatre pages in-12, publié en novembre 1839, émet une opinion entièrement contraire à celle que nous exposons sur le tarissement des sources par l'effet du défrichement des forêts, à un tel point que l'on serait tenté de croire qu'il n'a jamais commandé ni assisté à aucun défrichement de bois, et qu'il ignore même que ce sont les eaux pluviales qui alimentent en grande partie nos sources ou fontaines : nous sommes d'autant plus fondé à le penser, qu'après avoir demandé avec instance aux hommes les plus éminents dans les sciences physiques et naturelles, « comment s'opère la distribution des eaux « souterraines à la superficie du sol,» il déclare ensuite expressément qu'il considère cette question comme insoluble.

Le créateur des fermes modèles, dont la pensée favorite serait peut-être de mettre toute la France en céréales et prairies artificielles, est, à nos yeux, dans une grande erreur sur les effets du défrichement des bois.

Malgré notre respect et la haute considération que nous professons pour cet agronome, nous sommes on ne peut plus surpris de ce qu'il n'a pas encore compris un fait connu du plus simple laboureur et que nous allons essayer de lui expliquer.

C'est d'abord que les bois attirent sur eux les pluies et les orages; en second lieu, que les pays déboisés sont souvent sans pluies, et que, dans ceux, au contraire, où il y a beaucoup de forêts, il pleut davantage, et qu'ils contiennent grand nombre de sources ou fontaines.

En France, par exemple dans le Midi, la Beauce et autres contrées privées de bois, on éprouve quelquefois des sécheresses désastreuses, tandis qu'en Normandie, en Bretagne, sur le littoral de l'Océan, en Brie et dans le Nord, pays éminemment forestiers, les pluies sont beaucoup plus fréquentes qu'à Marseille, Nimes et Montpellier; enfin il est certain que, si l'on défrichait les forêts de la haute Marne, de la Côte-d'Or, de l'Yonne, de la Nièvre et des Vosges la Marne, la Seine, la Saône et la Meuse seraient sans eaux pendant six mois de l'année, comme la Durance, le Gard, le Var et autres rivières de nos provinces du sud.

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Les eaux pluviales, faut-il le dire à un esprit aussi perspicace et aussi éclairé que celui de M. de Dombasle, s'infiltrent en terre par un procédé aussi simple

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