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que celui des fontaines filtrantes de nos cuisines : l'eau arrive goutte à goutte au robinet après avoir traversé, par la puissance de son poids, un sable caillouteux, et de plus une pierre de deux centimètres d'épaisseur, qui pourtant sépare hermétiquement le sable et la première eau versée dans la fontaine; telle est en peu de mots, nous le pensons du moins, la solution du problème de la distribution des eaux souterraines.

Nous croyons devoir ajouter encore que dans les pays où les eaux et ruisseaux de flottage (*) abondent, et qui sont situés particulièrement dans les forêts ou au versant de leurs lisières, il arrive souvent que, le soir ou le lendemain d'une forte pluie, d'une neige fondue et même d'un orage, les eaux des sources surgissent avec une telle violence, qu'en un instant elles inondent les lieux qui les avoisinent, changent de couleur aussitôt et sont plus ou moins terreuses, suivant les localités et selon que les pluies auront été plus ou moins fortes ou continues, et qu'enfin les sources ou fontaines baissent ou s'élèvent, suivant l'abondance ou la rareté des pluies.

Toutes les sources, nous en conviendrons, ne proviennent pas uniquement de nos forêts; la mer, nos fleuves, nos ruisseaux, nos réservoirs, canaux et étangs en alimentent quelques-unes par des fissures et infiltrations insensibles, ainsi que nos puits

(*) Ruisseaux de Chamoux près Vezelay (Yonne), d'Arthel, de Houdan (Nièvre).

et autres dépôts intérieurs; mais ce que nous pouvons garantir à M. de Dombasle, c'est que, sur cent sources et fontaines, quatre-vingt-dix, au moins, découlent du sein de nos forêts: nous allons lui en donner une preuve sur mille que nous pourrions citer.

La rivière de Vannes (Yonne), qui a 57,000 mètres de cours ou 14 lieues un quart, est alimentée, depuis les environs de Troyes jusqu'à Sens, par trente-deux sources, dont trente sur la rive gauche proviennent toutes de la forêt d'Othe : les deux seules qui se trouvent sur la rive droite, où le sol est en grande partie livré à la culture des céréales, sont encore produites uniquement par les portions de bois qui sont situées de ce côté; il est d'ailleurs à remarquer que, sur six ruisseaux de flottage qui se jettent dans cette rivière, cinq surgissent encore de la forêt d'Othe, tandis qu'un seul, celui de Voluisant, prend son cours sur la rive droite, et puise uniquement son origine dans les bois de Voluisant et de Pouy.

La cause de ce fait est simple et facile à concevoir : les terrains déboisés et cultivés, ainsi que les prés, pâtures et friches, en plaine comme en coteaux, conservent superficiellement, au moyen de leur couche de gazon, ou chassent extérieurement les eaux pluviales. Qui ne sait encore que les cultivateurs, par les rayons ou les fortes rigoles qu'ils ont soin de pratiquer dans leurs champs et prés, poursuivent sans relâche les eaux qui peuvent leur nuire et mettent un vif intérêt à les faire écouler en les dirigeant sur de grands fossés aboutissant à des étangs, réservoirs

d'eau ou rivières, et enfin que les terres en culture, ayant les pores très-ouverts et se trouvant généralement imprégnées d'engrais, les rejettent encore au dehors et certes sans aucune infiltration, ou les conservent jusqu'à ce qu'elles soient absorbées par l'air et les vents desséchants. En un mot, une terre en plaine est comme une éponge; elle reçoit les influences atmosphériques de toutes parts et, par cette cause, se sèche rapidement dès qu'elle n'est plus alimentée d'eau : aucune partie, ou elle est bien minime, n'est destinée à pénétrer profondément dans le solet ne peut alors alimenter les sources.

Mais il n'en est pas de même dans les forêts: les pluies qui tombent sur les feuilles et presque aussitôt sur la mousse, qui d'abord les protége et les abrite contre l'action dévorante de l'air, n'éprouvent absolument aucune absorption; on comprend que, une fois sorties de cette mousse qui les pompe successivement et les loge à mesure qu'elles arrivent à la superficie d'un fonds de bois, elles suivent aisément ensuite le tracé des racines des arbres morts ou vivants, qui ont, en quelque sorte, troué par avance le terrain, pour leur faciliter leur arrivée aux réservoirs ou conduits souterrains qui alimentent nos sources et fontaines. Ce qui nous étonne le plus, c'est que M. de Dombasle, avec ses vastes connaissances agricoles, semble ignorer que les eaux et forêts sympathisent tellement entre elles, que de toute antiquité leur administration n'a été, exclusivement et sans division, connue que sous le titre et la dénomination d'eaux et forêts,

parce qu'effectivement il existe une si intime harmonie dans leurs rapports, que l'un ne va pas sans l'autre.

En définitive, c'est en vain que M. de Dombasle cherche à se placer sur les territoires de la Meurthe, de la Belgique ou de la Prusse, pour mieux faire apprécier ses raisonnements.

Disons premièrement un mot sur la forêt de Haie, traversée par la route de Nancy à Toul, qu'il invoque et appelle à son secours; cette forêt, assure M. de Dombasle, contenait à son extrémité une source appelée les Cinq-Fontaines, réduites aujourd'hui à une seule. Admettons encore l'existence réelle, il y a quelques années, de ces cinq fontaines; mais un défrichement de 60 hectares de bois (dont il convient) peut bien ne pas être sans quelques résultats : en outre, des travaux de route considérables de deux à trois cents pieds de profondeur ont pu détruire les conduits souterrains des eaux pluviales et les forcer à prendre une autre direction, particulièrement sur un terrain calcaire et perméable, ou produire d'autres effets qu'un examen réfléchi pourrait faire connaitre.

Quant à l'opposition énergique et constante des habitants belges et prussiens contre le boisement du plateau tourbeux qui domine Verviers et Eupen, d'où découlent les sources de la rivière de Vesdres, rivière qui entoure ces deux villes et alimente plusieurs centaines d'usines, nous répondrons qu'en Prusse et lisière de Prusse, où les têtes ne sont plus françaises, on peut bien ne pas être aussi avide

d'innovations que nous alors nous concevons parfaitement que les habitants de Verviers comme d'Eupen, contents de l'eau qu'ils possèdent et dans la crainte de changer une position bonne pour une autre qui pourrait être meilleure, mais qui est inconnue et leur semble, par conséquent, incertaine, se montrent contraires au boisement du plateau de la Vesdres; mais ce n'est pas une raison suffisante à nos yeux, pour en induire sérieusement que les plateaux ou terrains déboisés sont plus favorables à l'alimentation des sources que ceux qui sont couverts de bois.

En résumé, si M. de Dombasle daigne lire entièrement notre chapitre sur le défrichement, et se pénétrer, avec le talent qui le distingue, de tous les exemples de tarissement que nous avons cités, nous osons nous flatter qu'il changera ou modifiera, au moins, ses idées sur cette importante question: si cependant il persiste encore à croire que nous sommes nous-même dans une profonde erreur et aveuglé par notre amour pour la conservation de nos forêts, il nous obligera infiniment en nous continuant ses observations, et il peut être assuré que nous recevrons sa critique comme un bienfait et avec reconnaissance; car nous sommes pleinement persuadé, à son égard, que, s'il se trompe, il n'est guidé que par son désir bien connu d'être utile à son pays et aux sciences agricoles qu'il cultive avec tant de succès.

Nous prions nos lecteurs de nous pardonner cette réfutation, peut-être trop longue, mais qui n'est pas tout à fait étrangère à notre sujet; si nous avons cru

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