Page images
PDF
EPUB

devoir nous y livrer, c'est que l'autorité du nom justement vénéré de M. de Dombasle nous en a fait même une obligation: n'ayant pas hésité à réfuter l'immortel Buffon sur ses théories forestières, nous espérons que M. de Dombasle sera assez indulgent pour prendre en bonne part nos doutes sur son infaillibilité en pareille matière.

Au surplus, n'avons-nous pas sous nos yeux l'exemple de plusieurs départements, notamment dans le Midi, et particulièrement les environs de Marseille, ainsi que nous l'avons dit, qui portaient de superbes forêts qui ont été défrichées entièrement et qui ne présentent plus actuellement au voyageur que des masses de rochers d'une nudité affligeante? La culture ayant fait disparaître le gazon qui protégeait la couche végétale de ces terrains, il ne reste donc plus qu'un sol de pierre ou de gravier, sur lequel actuellement on ne peut même replanter du bouleau ou du pin sylvestre, arbres à racines traçantes, qui viennent sur les terrains les plus maigres.

Nous aurions bien d'autres exemples de dévastation à citer, comme dans la Sologne, le Berry, la Bretagne, etc., où des forêts qui auraient une grande valeur aujourd'hui ont été brûlées et dilapidées sans fruit ou dévorées par la dent des bestiaux, notamment par le mouton. Plusieurs milliers d'arpents qui figuraient sur la carte de Cassini, en 1755, sont détruits, et présentement il n'y a plus un arbre même pour en rappeler le souvenir.

Dans les localités où les forêts ont entièrement dis

paru, particulièrement aux environs des Alpes, des Cevennes et des Pyrénées, on a souvent trop ou pas assez d'eau; mais, à la suite d'une sécheresse désastreuse, il survient un orage, une forte pluie simultanément, ou une fonte subite de neige, provenant des hautes montagnes qui les dominent et qui, en un instant, inondent et ravagent tout le pays; les forêts ne sont plus là pour arrêter ou modérer la fougue impétueuse de ces torrents, qui entraînent tout sur leur passage et causent d'affreux dégâts dans les vallées.

Qui ne sait d'ailleurs que le plus grand préservatif contre les avalanches et les inondations est les plantations?

Si toutes ces considérations ne peuvent fléchir les partisans des défrichements et arrêter la destruction de ce qui nous reste de nos forêts, qu'il nous soit, au moins, permis de faire des voeux pour que cette mesure, blâmée hautement par nous dans l'intérêt de notre pays, ne soit, en tout état de cause, autorisée que pour les bois des coteaux et que ceux, surtout, qui couronnent si majestueusement nos montagnes soient soustraits à la pioche meurtrière du bûcheron, notamment si on peut supposer qu'ils alimentent des sources vives, quoiqu'à une distance très-éloignée d'eux. Nos désirs sont les mêmes pour les bois situés près des rivières, des fleuves et de la mer, parce qu'ils garantissent les riverains des ravages de l'eau.

Enfin, pour consoler, s'il est possible, les fores tiers sur les défrichements de bois, nous les engageons à partager l'espérance qu'on sera, au moins,

assez prudent pour arrêter la vente des forêts de l'État; dans cette confiance, nous les invitons à joindre leurs efforts aux nôtres, afin de demander aux chambres que si la loi sur le défrichement des bois lui est imposée, que ce soit, du moins, la dernière atteinte portée à cette précieuse propriété; que, désormais, les forêts de l'État et celles de la couronne deviennent les insignes de notre puissance, qu'elles soient, en un mot, l'arche sainte à laquelle on ne pourrait toucher sans encourir l'anathème national. Nous demanderons aussi que l'on donne tous les soins possibles à l'amélioration de notre sol forestier; autrement, nous restons convaincu que nous serions bientôt exposés à recourir à l'étranger, même pour notre chauffage domestique. En déboisant la France, on aurait, en outre, à craindre, nous n'en doutons pas un instant, la famine de temps en temps, le choléra et les autres maladies qui n'existent et ne sont permanentes que dans les contrées privées de la fraîcheur des forêts. L'expérience nous a prouvé que le choléra a exercé ses plus grands ravages sur le bord des fleuves et rivières y aboutissant, ensuite dans les gorges des montagnes déboisées, et enfin sur les grandes populations privées d'eau et d'abris contre le mauvais air; au contraire, les habitants des bois en ont toujours été préservés, parce que les arbres raréfient l'air en se chargeant des miasmes pestilentiels qui, généralement, engendrent les maladies contagieuses.

Un défrichement, bien plus important, beaucoup plus sage, infiniment plus utile, enfin, vivement désiré

par nos économistes et les vignicoles, qui aurait les résultats les plus avantageux, ce serait celui de toutes les vignes basses, afin de rendre à la culture nos plus riches terrains envahis par les plants qui donnent des vins détestables dont nous sommes empoi⚫ sonnés tous les jours, particulièrement en voyage. La culture des mauvais vins, sans aucun doute, paralyse celle des bons; il serait bien temps que les plantations de vignes se fissent exclusivement sur les coteaux, ainsi que l'avait ordonné Louis XIV. Le propriétaire, le négociant et le consommateur y gagneraient sous tous les rapports.

La vigne n'est pas indigène en France; elle y a été importée par l'empereur Tacite; elle fut cultivée, dès le principe, par les moines sur des terrains pierreux dont on voit encore les vestiges dans nos grands vignobles; la vigne fut d'abord plantée sur les cimes des montagnes, dans les endroits les plus ingrats et les plus solitaires, parce que les moines, dont la plupart sortaient de la classe ouvrière, se retiraient par austérité dans les lieux les plus sauvages et, par conséquent, les plus rebelles à la culture; ils ne pouvaient y vivre, même en travaillant beaucoup, mais la charité chrétienne, alors très-fervente, subvenait à tous leurs besoins. Creuser une terre rocailleuse, en extraire la pierre et les cailloux, puis ensuite en remplir les trous avec des terres et des engrais, telles étaient, après leurs prières, leurs occupations favorites et de tous les jours; travail improductif, il est vrai, et qui n'aurait pas donné au travailleur la valeur

d'un pain en un mois; c'est à peu près de cette manière qu'aux environs des villes et des villages les ouvriers non occupés ont, chaque année, avec leurs femmes et leurs enfants, créé des vignobles appelés cotas, qui, ensuite, ont été acquis par des personnes riches, et ont enfin formé, avec le temps, de grandes pièces de vignes: on en faisait peu par jour, mais, en 18 siècles, on a donné bien des coups de pioche à nos montagnes qui, dans les premiers temps de l'ère chrétienne, étaient incultes, sans s'occuper du gain qu'on pouvait y faire. Toujours est-il que les chartreux et nos pères, en occupant leurs loisirs, nous ont créé le clos Vougeot, le Chambertin, le Pomard, la Chenette, Migraine, le Château-Margaux et nos vignobles les plus distingués.

Un rocher exploité en carrière, puis rempli de terre, dans les loisirs d'un pauvre vigneron, faisait, avec des siècles, une excellente vigne; de nos jours, on connait trop le prix de l'argent et on aime, en outre, trop la dissipation ou ce qu'on appelle plaisir, pour se livrer à de pareils travaux, attendu, surtout, que les vignes ne peuvent être que le patrimoine du riche, parce qu'elles exigent des dépenses très-grandes et continuelles; qu'elles sont quelquefois d'un faible rapport souvent très-– incertain, et surtout celles qui produisent les bons vins; que le prix, généralement, en est faible par la concurrence, laquelle est d'autant plus grande maintenant, que la vigne aujourd'hui est cultivée dans tous les pays, même en Normandie; qu'enfin il en coûte

« PreviousContinue »