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préparé les esprits au dénouement de la grande comédie qu'on jouoit depuis deux mois (1), on frappa le dernier coup, le coup décisif.

1804.

Motion

faite dans

nat.

Le 30 avril 1804, M. Curée, Gascon d'origine, confident du prince et membre du tribunat, prononça un le tribudiscours, dans lequel il récapitula toute l'histoire de la révolution, assura que la nation avoit besoin d'un chef héréditaire, prétendit que le système d'élection étoit pour les grands états un système de destruction, essaya de prouver que prouver que les temps étoient arrivés où la troisième race, effacée du livre héréditaire, laissoit voir la race de Charlemagne demandant vengeance et un successeur digne des trois héros qui l'ont fondée. Il conclut en proposant : 1o que Napoléon fût proclamé empereur de la république françoise; 2° que l'empire fût héréditaire dans sa famille ; 3° que les institutions existantes reçussent une forme définitive et conforme aux deux premiers articles de ce vœu.

MM. Siméon, Duveyrier, Jaubert, Duvidal, Fréville et Carion - Nisas, appuyèrent cette motion de tout ce que l'histoire, les services du premier consul, les avantages du système héréditaire, le passé, le présent et l'avenir, pouvoient fournir d'arguments péremptoires en sa faveur.

M. Carnot seul osa parler contre la motion, et dire que si Buonaparte avoit en effet rétabli la liberté en France, ce n'étoit pas une raison de lui en offrir le sacrifice pour récompense. L'opposition de M. Carnot

(1) Le mot de comédie est peut-être un peu léger pour un événe ment qui a eu des suites si graves et si fâcheuses: mais quel autre nom donner à des scènes dans lesquelles les auteurs, les acteurs et les spectateurs se moquoient les uns des autres?

1804.

ne servit qu'à rehausser le triomphe du consul. La motion de M. Curée fut convertie en décret et portée au sénat par une députation, au discours de laquelle le vice-président répondit ce qui suit :

"

« Citoyens tribuns, ce jour est remarquable: c'est celui où vous exercez pour la première fois près du sénat conservateur cette initiative républicaine et populaire que vous ont déléguée nos lois fondamentales. Vous ne pouviez ni l'essayer dans un moment plus favorable, ni l'appliquer à un plus grand objet. Vous venez d'exprimer devant les conservateurs des droits nationaux un droit national. Je dois vous dire que depuis long-temps le sénat avoit fixé sur le même sujet la pensée du premier consul.

<< Comme vous, citoyens tribuns, nous ne voulons pas des Bourbons, parceque nous ne voulons pas la contre-révolution, seul présent que puissent nous faire ces malheureux transfuges, qui ont emporté avec eux le despotisme, la noblesse, la féodalité, la servitude et l'ignorance (1).

« Comme vous, nous voulons élever une nouvelle dynastie, parceque nous voulons garantir au peuple françois tous ses droits, que des insensés ont le projet de lui reprendre. Comme vous, nous voulons que la liberté, l'égalité et les lumières ne puissent plus rétrograder.

« Je ne parle pas du grand homme appelé par sa gloire à donner son nom à son siècle, et qui doit l'être par nos

(1) Si cette phrase signifie quelque chose, elle tend à faire croire que sous le règne des Bourbons les François n'ont fait que végéter dans la servitude et dans l'ignorance. M. le président du sénat devoit pourtant se douter que cela n'étoit pas vrai, et que le siècle de Louis XIV valoit bien celui de Buonaparte.

vœux à nous consacrer son existence. Ce n'est pas pour lui, c'est pour nous qu'il doit se dévouer. Ce que vous proposez avec enthousiasme, le sénat le pèse avec calme.

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Citoyens tribuns, c'est ici qu'est la pierre angulaire de l'édifice social, mais c'est dans le gouvernement d'un chef héréditaire qu'est la clef de la voûte. Vous déposez dans notre sein le vœu que cette voûte soit enfin cimentée. En recevant ce vou, le sénat ne perd pas de vue que ce que vous sollicitez est moins un changement de l'état de la république, qu'un moyen de perfection et de stabilité.... »

Quelques jours avant celui où ce discours fut prononcé, le sénat avoit pris une première initiative, en adressant au consul les paroles suivantes, par l'organe de M. Cambacérès :

"

1804.

du sénat.

Citoyen premier consul, vous êtes pressé par le Adresse temps, par les événements, par les conspirateurs, par les ambitieux. Vous seul pouvez enchaîner le temps, maîtriser les événements, mettre un frein aux conspirateurs, désarmer les ambitieux, tranquilliser l'univers, en acceptant la couronne impériale, que la nation vous

offre
par nos mains.

<< Soyez-en bien assuré, citoyen premier consul, le sénat vous parle ici au nom de tous les citoyens (1): tous vous admirent et vous aiment. Mais il n'en est aucun qui ne songe avec anxiété à ce que deviendroit le vaisseau de l'état, s'il avoit le malheur de perdre son pilote avant d'avoir été fixé sur des ancres inébranlables. Dans

(1) De tous les citoyens composant le sénat, le conseil d'état et l'état-major de l'armée; ce qui étoit avec la nation dans la proportion d'un à dix mille.

1804.

les villes, dans les campagnes, si vous pouviez interroger tous les François l'un après l'autre, il n'en est aucun qui ne vous dit avec nous :

« Grand homme, achevez votre ouvrage, en le rendant immortel comme votre gloire. Vous nous avez tirés du chaos passé, vous nous faites bénir les bienfaits du présent; garantissez-nous l'avenir. »

Le premier consul répondit :

« Sénateurs, votre adresse est toujours présente à ma pensée. Elle est l'objet de mes méditations les plus con

stantes.

« Vous avez jugé l'hérédité de la suprême magistrature nécessaire pour mettre le peuple françois à l'abri des complots de nos ennemis, et des agitations qui naîtroient d'ambitions rivales. Plusieurs de nos institutions vous ont en même temps paru devoir être perfectionnées. A mesure que j'ai arrêté mon attention sur ces grands objets, je me suis convaincu de la vérité des sentiments que vous m'avez exprimés, et j'ai senti de plus en plus que, dans une circonstance aussi nouvelle qu'importante, les conseils de votre sagesse m'étoient nécessaires pour fixer mes idées. Je vous invite donc à me faire connoître votre pensée tout entière. »

C'étoit le 5 floréal que le premier consul s'exprimoit ainsi; et ce fut le 14 du même mois que le sénat fit connoitre sa pensée tout entière, dans la réponse sui

vante:

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Citoyen premier consul, le sénat conservateur, après avoir rappelé le passé, examiné le présent, porté ses regards sur l'avenir; après avoir réuni et comparé

avec soin les résultats des méditations de ses membres, les fruits de leur expérience, et les effets du zèle qui les anime pour la prospérité du peuple dont ils sont chargés de conserver les droits, a pensé que, pour conserver à jamais nos libertés, les palmes du génie et les lauriers de la victoire, le gouvernement héréditaire étoit nécessaire; que ce gouvernement ne pouvoit étre confié qu'à Napoléon Buonaparte et à sa famille; que la gloire, la reconnoissance, l'amour, la raison, l'intérêt de l'état, tout proclamoit Napoléon empereur héréditaire.»

1804.

mé empe

Enfin les vœux réunis du tribunat, du conseil d'état Il est nomet du sénat furent plus amplement développés et irrévocablement fixés dans le sénatus-consulte organique qui

parut

le 28 floréal de la même année (1).

Cet acte important en lui-même, et pouvant être regardé comme la base d'une nouvelle constitution, exige que nous en donnions ici les articles principaux.

TITRE I.

De l'empire.

reur.

tion de l'empire.

Art. I. Le gouvernement de la république est confié Constituà un empereur, qui prend le titre d'EMPEREUR DES FRANÇOIS. La justice se rend' en son nom par les officiers qu'il institue.

II. Napoléon Buonaparte, premier consul actuel de la république, est EMPEREUR DES FRANÇOIS.

(1) Ce fut de ce nom tout-à-fait nouveau qu'on appela par la suite les actes du sénat qui changeoient la constitution de l'état au gré de l'intérêt et même des caprices de celui qui le gouvernoit. A de nouvelles idées il falloit bien de nouveaux signes.

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