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légitime de Louis XVI répondit à l'étrange proposition que le roi de Prusse osa lui faire de la part de Napoléon, de céder ses droits à la couronne de France, moyennant une indemnité convenable.

L'empereur ne craignit pas de faire imprimer cette protestation dans les papiers françois. Il se crut assez fort pour mépriser l'effet qu'elle pouvoit produire sur l'opinion publique ; et il eut cette fois le bon esprit d'écarter dans sa réponse et les invectives et la question

du droit.

« Nous n'entrerons pas, dit-il, dans la discussion des droits que le comte de Lille (1) s'arroge. La question a été décidée par les publicistes les plus habiles, par les nations elles-mêmes, par l'histoire de toutes les dynasties, long-temps avant la révolution françoise. C'est l'intérêt des peuples qui fait les rois, et la force nationale qui les soutient. A ce double titre, la maison d'Hanovre règne sur la Grande-Bretagne, et celle d'Autriche tient le sceptre impérial. Hugues Capet, chef de la dernière dynastie, reçut la couronne de ses pairs, qui représentoient la nation; et si l'on admettoit les principes sur lesquels repose la réclamation du comte de Lille, ce prince lui-même n'auroit d'autre titre à faire valoir que celui qui lui auroit été transmis par l'usurpateur des droits des enfants de Charlemagne.

« Mais qu'est-il besoin de ces exemples? Si le comte de Lille proteste contre la révolution, la révolution ne proteste pas moins contre lui. Les résultats de cette révolution, reconnus par toute l'Europe, scellés

par la

(1) C'est le nom que portoit Louis XVIII dans les années de son

victoire, ffermis par l'intérêt des peuples, élévent entre la France et la maison de Bourbon une barrière de diamant. Il faut que le comte de Lille la franchisse avant que sa voix soit entendue.

Ces point par des écrits que l'on recouvre un trône: le souverain réduit à cette extrémité est déchu du haut rang où la volonté de la nation l'avoit placé. Quand Henri IV voulut remonter sur le trône de saint Louis, il prit les armes, combattit et régna. Il fut un temps où le comte de Lille auroit pu parler de ses droits, parcequ'il étoit en son pouvoir de les défendre. Il préféra de se retirer. Il n'est que deux partis pour un roi détrôné, de combattre ou de se taire. »

Louis XVIII, voué à un dur exil, et forcé par les plus cruelles circonstances de trainer ses malheurs dans presque tous les états de l'Europe, vivoit alors à Varsovie avec son neveu et sa nièce, le duc et la duchesse d'Angoulême, mariés depuis cinq ans (1). Tous les trois menoient la vie la plus retirée ; et dans une ville où les plaisirs et la dissipation surpassoient tout ce qu'on voyoit ailleurs, ils n'en partageoient aucun.

Quelques visites fort courtes qu'ils recevoient (ils n'en faisoient point), une course en voiture lorsque le temps étoit beau, ou une promenade à pied dans des lieux solitaires, étoient les seules distractions qu'ils permissent à leurs pensées mélancoliques. Le roi passoit la plus grande partie du jour dans son cabinet, ex

(1) Ce fut à Mittaw, et le 10 juin 1799, que leur mariage fut célébré, en présence du roi, de tous les François attachés à ce prince et des principaux habitants de la ville. Paul I signa le contrat de mariage, et en fit déposer une copie dans les archives de son sénat.

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Légion

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pédiant plus d'affaires dans une matinée que beaucoup de ministres n'en expédient dans une semaine.

S. M. avoit fait venir auprès d'elle M. l'abbé Edgeworth, ce prêtre courageux qui avoit assisté Louis XVI dans ses derniers moments; et c'étoit par ses mains vénérables qu'il faisoit passer les abondantes aumônes que, malgré la modicité de son revenu, il distribuoit aux émigrés répandus en Europe; et même en France, à de pauvres familles que la révolution avoit dépouillées de tous leurs moyens de subsistance,

Le 14 juillet 1804, l'empereur alla faire aux Invad'hon- lides l'inauguration de la légion d'honneur. Il étoit difficile de choisir un local mieux approprié à cette grande cérémonie que le temple orné par les mains de la Victoire des nombreux drapeaux enlevés aux ennemis de la France; et d'un autre côté, cette institution ne pouvoit dater d'une époque plus mémorable. L'esprit qui animoit les François au 14 juillet 1789 sembloit y respirer tout entier. Elle offroit les principaux éléments des réformes qu'alors on croyoit nécessaires. Elle annonçoit que les vertus, les talents et les services rendus à la patrie alloient devenir les seuls titres aux distinctions; elle réunissoit sous la même bannière tous les genres de mérite; elle allioit les mots sacrés d'honneur et de patrie, si puissants sur le cœur des François.

Aucun autre état moderne ne présentoit un établissement de cette nature. Par-tout ailleurs les différences entre les professions diverses font naître et entretiennent les rivalités : de là vient que par-tout ailleurs un militaire n'est qu'un soldat, un prêtre un homme d'église, un magistrat un homme de loi, un ouvrier un homme de peine. Par l'institution du nouvel ordre,

tous les citoyens françois devoient être unis d'un même noeud, attachés aux mêmes devoirs, et honorés des mêmes distinctions. Cette décoration ne donnoit ni autorité civile, ni grade militaire: toutes les professions pouvoient y aspirer; elle pouvoit honorer également tous les individus. Tel étoit au moins l'esprit de son institution; et celui qui en conçut le projet connoissoit parfaitement le caractère françois.

Tant que la croix d'honneur fut le prix des services ou la récompense des talents, elle fit des merveilles ; mais elle ne tarda pas à devenir la proie des courtisans, des flatteurs du pouvoir, des familiers du prince, de tous les intrigants.

Ainsi multipliée à l'excès, et prostituée sans ménagement, cette marque de distinction ne distingua plus personne; cette décoration, qui devoit être la récompense du courage, du talent et de la vertu, fut livrée à quiconque se donna la peine de la demander cette croix d'honneur, qui devoit être immortelle comme son fondateur, a subi le sort de l'Ordre de l'Étoile, institué par le roi Jean, et qui, abandonné aux chevaliers du guet, fut prostitué dès son origine (1).

:

L'empereur quitta Paris dans le mois d'août, pour aller se montrer dans sa nouvelle dignité au camp de Boulogne, dans les ports de Dunkerque, d'Ostende et d'Anvers, dans les villes de Mayence, de Bruxelles, d'Aix-la-Chapelle, de Liége, de Paderborn..... Par-tout il fut reçu avec un enthousiasme réel ou commandé; par-tout il voulut voir ce qui méritoit d'être vu, exami

(1) En 1816, le nombre des commandants, officiers et chevaliers de la légion d'honneur passoit quarante-cinq mille,

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ner par lui-même ce qui offroit ou des abus à réformer, ou des établissements utiles à encourager; écoutant avec attention les plaintes qu'on avoit à porter, recevant avec bonté les fêtes qu'on vouloit lui donner, étonnant les peuples par sa prodigieuse activité, et laissant par-tout des traces de sa munificence. Ce voyage fut, d'un bout à l'autre, une suite de triomphes et de réjouissances publiques.

Mais ce voyage fut en même temps l'époque de cette guerre de plume que les feuilles d'Angleterre n'ont cessé de lui faire pendant tout le cours de son règne, à laquelle il eut la foiblesse de paroître sensible, et le tort de répondre sans modération et sans dignité.

S'il n'aimoit pas les Anglois, ce n'étoit pas sans raison. Il les trouva toujours dans son chemin, il les eut pour ennemis constants et à découvert. Il n'ignoroit pas que M. Pitt, rappelé au ministère, avoit eu le talent de former contre lui une quatrième coalition, dans laquelle étoient entrées les deux plus grandes puissances du continent, l'Autriche et la Russie. Il eut le chagrin de faire auprès du roi d'Angleterre une seconde tentative, qui ne réussit pas mieux que la première. Il écrivit sans succès la lettre suivante :

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Appelé au trône de France par la Providence et par les suffrages du sénat, du peuple et de l'armée, mon premier sentiment est un vœu de paix. La France et l'Angleterre usent leur prospérité; elles peuvent lutter des siècles. Mais leurs gouvernements remplissent-ils

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