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1805.

noître devant lui que toutes les pensées irréligieuses sont des pensées impolitiques, et que tout attentat contre le christianisme est un attentat contre la société.

sys

<< Le retour de l'ancien culte prépara bientôt celui d'un gouvernement plus naturel aux grands états, et plus conforme aux habitudes de la France. Tout le tème social, ébranlé par les opinions inconstantes de l'homme, s'appuya de nouveau sur une doctrine immuable comme Dieu même. C'est la religion qui poliçoit autrefois les sociétés sauvages; mais il est plus difficile aujourd'hui de réparer leurs ruines que de fonder leur berceau.

« Nous devons ce bienfait à un double prodige. La France a vu naître un de ces hommes extraordinaires qui sont envoyés de loin en loin au secours des empires prêts à tomber; tandis que Rome en même temps a vu briller sur le trône de saint Pierre toutes les vertus apostoliques du premier âge.

« Leur douce autorité se fait sentir à tous les cœurs, Des hommages universels doivent suivre un pontife aussi sage que pieux, qui sait à-la-fois tout ce qu'il faut laisser au cours des affaires humaines, et tout ce qu'exigent les intérêts de la religion.

« Cette religion auguste vient consacrer avec lui les nouvelles destinées de l'empire françois, et prend le même appareil qu'au siècle des Clovis et des Pepin.

« Tout a changé autour d'elle, elle seule n'a point changé.

Elle voit finir les familles des rois comme celles des sujets mais sur les débris des trônes qui s'écroulent, et sur les degrés des trônes qui s'élèvent, elle admire

toujours la manifestation successive des desseins éternels, et leur obéit avec confiance.

« Jamais l'univers n'eut un plus imposant spectacle; jamais les peuples n'ont reçu de plus grandes instruc

tions.

« Ce n'est plus le temps où le sacerdoce et l'empire étoient rivaux. Tous les deux se donnent la main pour repousser les doctrines funestes qui ont menacé l'Europe d'une subversion totale: puissent-elles céder pour jamais à la double influence de la religion et de la politique réunies ! Ce vœu sans doute ne sera point trompé. Jamais en France la politique n'eut tant de génie; jamais le trône pontifical n'offrit au monde chrétien un modéle plus respectable et plus touchant. >>

Hélas! cet hommage que reçut alors le saint-père, et ceux que lui adressèrent, par ordre de l'empereur, le sénat, le conseil d'état, le département de Paris, et toutes les cours de justice, pouvoient être sincères; mais ils étoient tracés sur le sable. Tant qu'on eut besoin de son saint ministère, la cour et la ville furent à'ses pieds; dès qu'il n'eut plus rien à donner, il ne trouva que des ingrats et des indifférents. Il ne fut bientôt plus à Paris qu'un personnage déplacé et hors de rang. On ne savoit s'il étoit un courtisan dans le palais de l'empereur; ou, dans son cabinet, un souverain qui défendoit les droits de ses sujets; ou enfin, le chef de l'église catholique dans un pays qui en professoit la religion.

Ce qui étoit incertain pour le public ne l'étoit déja plus pour le saint-père. Il ne tarda pas à s'apercevoir qu'il étoit tombé dans un piège; qu'en croyant servir la religion par son extrême condescendance, il n'avoit

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servi que les projets d'un ambitieux; et que, s'il ne vouloit pas perdre tout-à-fait l'église, il n'avoit d'autre parti à prendre qu'à s'exposer au courroux de l'empereur, à l'insolence de ses ministres et à la dérision des courtisans. Ce fut aussi le parti qu'il prit.

Promené de paroisse en paroisse, il répandoit en gémissant ses bénédictions sur une multitude qui n'en demandoit pas, et recueilloit en échange des acclamations ironiques. Un mois n'étoit pas écoulé que ses chapelets étoient sans demande et ses messes sans assistants tant il est vrai que les papes ne jouissent qu'à Rome de la considération qui leur est due! Par-tout ailleurs, l'humble vicaire de Jésus-Christ ne représente aujourd'hui ni la puissance divine, ni la souveraineté temporelle.

Si on nous demande ensuite pourquoi l'empereur, qui avoit mis autant d'empressement que d'importance à l'attirer à Paris, qui avoit eu l'air de croire que son couronnement ne seroit valable et digne de sa haute élévation qu'autant qu'il seroit fait par les mains du chef de la religion, et qui enfin avoit souvent répété qu'il vouloit placer sous la garantie de cette même religion, lui, sa couronne et sa dynastie, pourquoi, disons-nous, il devint tout-à-coup si différent de lui-même, et par quels motifs il changea de conduite au point d'oublier non seulement le respect qu'il devoit au pape, comme chef de l'église et comme souverain, mais les égards de la simple politesse qu'il devoit à l'illustre étranger qu'il avoit invité à venir chez lui, et qu'il logeoit dans son palais.

Nous pourrions répondre que rien n'étoit plus fréquent dans la conduite publique et privée de l'empez

ap

reur que des contradictions de cette nature; qu'il n'étoit pas rare de le voir passer subitement et sans motif parent d'un accès de folle gaieté à un accès de mauvaise humeur, d'un ton plein de grace et d'aménité au ton le plus chagrin. Mais cette réponse n'est pas suffisante.

On soupçonna dans le temps, et on sait aujourd'hui la véritable cause de son changement de conduite à l'égard du saint-père. Il avoit pensé que le pape ne pouvoit plus rien lui refuser, après lui avoir accordé deux choses aussi extraordinaires que le concordat et son ministère pour le couronnement. En conséquence, il lui fit' proposer par ses ministres l'échange de Rome contre un état plus riche, dans un autre pays. Le pape n'hésita pas un moment à repousser une si étrange proposition. Elle fut renouvelée plusieurs fois, et autant de fois rejetée. L'empereur ne s'attendoit pas à ces refus réitérés, Il fut très mécontent, mais il n'en parla plus; et, remettant l'exécution de son projet à un autre temps, il se vengea lâchement du pape, en le livrant à la dérision des philosophes de sa cour, à la hauteur insultante de ses ministres, et aux acclamations dérisoires d'une populace mal apprise.

Ce fut donc avec la conviction de sa faute et des malheurs qui devoient la suivre que le saint-père quitta Paris et la France, et arriva à Rome, où l'attendoient d'autres chagrins et de cuisants remords.

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continen

tal.

Napoléon l'avoit devancé de quelques jours, et par- Système couroit les départements du midi, recevant par-tout des fêtes et des félicitations. Il étoit arrivé au comble de la fortune; il devoit être au comble du bonheur; il n'en étoit rien. On vit plus d'une fois son visage s'obscurcir et ses yeux s'allumer au milieu de la joie qu'inspiroit są

présence. Plus d'une fois il se plaignit dans son intérieur 1805. de ce que l'Angleterre s'obstinoit à ne pas le reconnoître. Il voyoit avec une sombre jalousie la prospérité toujours croissante de l'Angleterre, et ne perdoit pas de vue le projet d'abattre cette puissance colossale, dont l'empire s'étendoit sur les deux mondes, dont les vaisseaux formoient la chaîne qui embrassoit l'univers, dont l'orgueil enfin blessoit vivement le sien.

La justice et la politique approuvoient le dessein qu'il avoit conçu de rompre cette chaîne importune, mais désavouoient les moyens qu'il employoit à cet effet. Ces moyens étoient tout à-la-fois ruineux et insensés. Ils étoient insensés, car ils éloignoient la France et l'Europe du but qu'il vouloit atteindre. Ils étoient ruineux, car ils favorisoient un monopole qui ne profitoit qu'à l'Angleterre.

Le temps, la prudence, le progrès des lumières, de sages discussions, des négociateurs habiles, devoient tôt ou tard dévoiler le secret des Anglois, et apprendre à toutes les nations commerçantes que leur désunion avoit causé leur foiblesse, et qu'en s'unissant sincèrement dans un intérêt commun, elles viendroient à bout de secouer le joug du tyran des mers. Cette idée étoit trop simple pour entrer dans la tête de Napoléon.

Il n'avoit point abandonné son projet de descente. Le camp de Boulogne subsistoit toujours. Le soldat s'exerçoit à la rame, et le marin au maniement des armes. Leur émulation, leur égale impatience flattoient singulièrement la vanité de l'empereur, qui avoit oublié le désastre de Trafalgar, qui ne pouvoit s'accoutumer à l'idée de s'humilier devant les marchands de Londres et qui se perdoit dans les réves de son orgueil.

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