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DE FRANCE

DEPUIS LA MORT DE LOUIS XVI
JUSQU'AU TRAITÉ DE PAIX DU 20 NOVEMBRE 1815.

CINQUIÈME ÉPOQUE.

DIX-HUIT BRUMAIRE, OU LE CONSULAT.

DEPUIS LA NOMINATION DE BUONAPARTE AU CONSULAT
JUSQU'A SON INSTALLATION AU TRÔNE IMPÉRIAL.

la

LE
sage avoit raison: Il n'y a rien de nouveau sous le
soleil. Quand on veut se donner la peine d'y réfléchir,
les événements les plus extraordinaires ne sont que
répétition d'autres événements que nous avons perdus
de vue. La révolution, dont nous retraçons l'histoire,
qui a produit tant de changements en Europe, qui a
jeté tant d'effroi dans les ames, sur les causes de laquelle
on a écrit tant de volumes et formé tant de conjectures,
n'est, aux yeux du philosophe, qu'une de ces catastro-
phes climatériques qui se renouvellent à de grands in-

1799. Vérita

bles cau

ses de la révolu tion.

1799.

tervalles dans le monde politique comme dans le monde physique.

Les contemporains qu'elles épouvantent n'y voient qu'un bouleversement terrible, dont ils recherchent les causes autour d'eux. A leurs yeux ce sont toujours les hommes qui ont tort : ils n'accusent ni le cours des choses, ni l'influence des antécédents, qui donnèrent l'impulsion à des agents, non moins aveugles dans leurs moyens que dans leur but.

C'est sans doute une consolation que la Providence a voulu ménager à ceux qu'elle afflige, que cette habitude de séparer ainsi les effets de leurs causes, et de ne voir dans le cours nécessaire des âges que des dérangements fortuits. Cette illusion leur épargne au moins le tourment de l'attente; mais ce n'est qu'une illusion que dissipent l'étude et la réflexion.

Les siècles pèsent les uns sur les autres, et entraînent par un poids inaperçu les opinions, les institutions, et tous les rapports sur lesquels les unes et les autres étoient fondées. Le temps, novateur impitoyable, prépare en secret tous les changements que subissent les nations. L'habileté des législateurs consiste à marcher du même pas que lui, et à diminuer son action en la partageant. Mais laissons les généralités, et entrons directement dans notre sujet par les cinq propositions suivantes :

1o Lorsqu'il y a des classes privilégiées dans un état, la durée de ces privilèges dépend d'une grande et constante différence de mœurs entre ces classes et les autres. Aussitôt que le temps a introduit dans les mœurs cette uniformité que les institutions tendoient à séparer, les principes qui avoient opéré et qui maintiennent cette séparation tendent également à s'affoi

blir et quand l'uniformité est parfaite, la séparation des classes et les institutions politiques ne tiennent plus qu'à un artifice, que le plus léger accident peut détruire.

2o Lorsque les emplois sont le partage exclusif des classes privilégiées, la stabilité des privilèges et des institutions tient à un système d'éducation spéciale, tel qu'il puisse donner aux individus de ces classes une supériorité fondée sur des qualités et des talents inhérents, pour ainsi dire, à leur position: mais 's il arrivoit que, dans ce même état, le système d'éducation devint commun; si toutes les classes de la nation pouvoient equérir, avec une égale facilité, les qualités distinguées que requiert l'exercice de tous les emplois privilégies; la faculté exclusive d'y parvenir ne paroîtroit bientôt plus qu'une injustice légale, « et le privilége ne pourroit résister longtemps à la jalousie qui s'élèveroit de toutes parts contre les classes qui conserveroient le droit d'en jouir (1).

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3o Lorsque les mœurs sont en contradiction avec les lois, le danger dans lequel se trouvent sans cesse les institutions produit d'abord l'effet de discréditer les lois et les mœurs, et de dégrader les citoyens dans leur propre opinion. Cependant l'ordre public se maintient long-temps par une sorte de juxtà-position, qui fait que les éléments du corps politique restent à leur place, par la seule raison qu'il faudroit une impulsion générale ⚫ pour opérer une désorganisation générale, et que le concert et l'énergie manquent pour donner cette impulsion. Il arrive aussi que tous les esprits aperçoivent en méme temps le vice des institutions, la difficulté de les changer, et le risque attaché à une grande réforme. Alors on s'étudie, comme de concert, à s'aveugler et à main(1) De l'état de la France en l'an 8, par M. de Hauterive.

1799,

1799.

tervalles dans le monde politique comme dans le monde physique.

Les contemporains qu'elles épouvantent n'y voient qu'un bouleversement terrible, dont ils recherchent les causes autour d'eux. A leurs yeux ce sont toujours les hommes qui ont tort : ils n'accusent ni le cours des choses, ni l'influence des antécédents, qui donnèrent l'impulsion à des agents non moins aveugles dans leurs moyens que dans leur but.

C'est sans doute une consolation que la Providence a voulu ménager à ceux qu'elle afflige, que cette habitude de séparer ainsi les effets de leurs causes, et de ne voir dans le cours nécessaire des âges que des dérangements fortuits. Cette illusion leur épargne au moins le tourment de l'attente; mais ce n'est qu'une illusion que dissipent l'étude et la réflexion.

Les siècles pèsent les uns sur les autres, et entraînent par un poids inaperçu les opinions, les institutions, et tous les rapports sur lesquels les unes et les autres étoient fondées. Le temps, novateur impitoyable, prépare en secret tous les changements que subissent les nations. L'habileté des législateurs consiste à marcher du même pas que lui, et à diminuer son action en la partageant. Mais laissons les généralités, et entrons directement dans notre sujet par les cinq propositions suivantes :

1o Lorsqu'il y a des classes privilégiées dans un état, la durée de ces priviléges dépend d'une grande et constante différence de mœurs entre ces classes et les autres. Aussitôt que le temps a introduit dans les mœurs cette uniformité que les institutions tendoient à séparer, les principes qui avoient opéré et qui maintiennent cette séparation tendent également à s'affoi

blir: et quand l'uniformité est parfaite, la séparation des classes et les institutions politiques ne tiennent plus qu'à un artifice, que le plus léger accident peut détruire.

2o Lorsque les emplois sont le partage exclusif des classes privilégiées, la stabilité des priviléges et des institutions tient à un système d'éducation spéciale, tel qu'il puisse donner aux individus de ces classes une supériorité fondée sur des qualités et des talents inhérents, pour ainsi dire, à leur position: mais's il arrivoit que, dans ce même état, le système d'éducation devint commun; si toutes les classes de la nation pouvoient equérir, avec une égale facilité, les qualités distinguées que requiert l'exercice de tous les emplois privilégies; la faculté exclusive d'y parvenir ne paroîtroit bientôt plus qu'une injustice légale, « et le privilège ne pourroit résister longtemps à la jalousie qui s'élèveroit de toutes parts contre les classes qui conserveroient le droit d'en jouir (1). »

que

3o Lorsque les mœurs sont en contradiction avec les lois, le danger dans lequel se trouvent sans cesse les institutions produit d'abord l'effet de discréditer les lois et les mœurs, et de dégrader les citoyens dans leur propre opinion. Cependant l'ordre public se maintient long-temps par une sorte de juxtà-position, qui fait les éléments du corps politique restent à leur place, par la seule raison qu'il faudroit une impulsion générale pour opérer une désorganisation générale, et que le concert et l'énergie manquent pour donner cette impulsion. Il arrive aussi que tous les esprits aperçoivent en méme temps le vice des institutions, la difficulté de les changer, et le risque attaché à une grande réforme. Alors on s'étudie, comme de concert, à s'aveugler et à main(1) De l'état de la France en l'an 8, par M. de Hauterive.

1799.

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