Page images
PDF
EPUB

faute, mais celle du génie du mal. Quel étoit ce génie du mal? L'Angleterre.

« La guerre, disoit-il, doit avoir un but, et ce but ne peut être que le bonheur de l'état. Toute autre guerre est une barbarie, parcequ'elle prodigue le sang et les richesses du peuple sans aucun avantage pour lui. Si l'on juge la conduite du gouvernement anglois d'après ce principe, son procès est fait. Les brandons qu'il jette en Europe n'ont pour but que la ruine de toutes les nations commerçantes.... C'est le génie du mal (1). »

Quoi qu'il en soit, l'empereur partit de Paris le 30 mars, et arriva à Milan le 6 mai. Si nous nous en rapportons aux journaux du temps, la ville tout entière alla au-devant de lui. Tous les cœurs étoient émus; tous les visages s'épanouirent en sa présence. « Le temps étoit superbe; le soleil couchant sembloit arrêter sa marche pour embellir encore de ses rayons ce spectacle d'un effet impossible à décrire, qu'on devroit retracer sur la toile, mais qui fera toujours le désespoir du plus habile pinceau. >>

On a pu remarquer que la pureté du ciel et l'éclat du soleil occupe toujours, bien ou mal, une place dans le récit des grandes époques de l'histoire de Napoléon C'étoit une de ses foiblesses. Il sentoit l'impossibilité de se faire passer pour un dieu dans le siècle des lumières ; mais il desiroit qu'on le crût l'enfant du destin. Il auroit voulu que le peuple fût persuadé que le ciel lui accordoit une protection spéciale.

Ce qu'il y a de vrai, c'est que par-tout, depuis son entrée en Italie, la plus grande pompe accompagna

(1) Moniteur.

1805.

1805.

ses pas. A Turin, à Alexandrie, à Gênes, à Pavie, à Milan, on lui donna des fêtes magnifiques, on lui adressa par-tout des compliments flatteurs. En fait de démonstrations, les Italiens sont restés nos maîtres et nos modėles.

Il est encore vrai que la plupart de ces démonstrations n'étoient pas sincères; que la plupart des fêtes qu'on lui donna étoient aussi tristes que magnifiques; que les cœurs n'étoient pas contents; et que le peuple, à qui on prodiguoit du vin et de l'argent pour l'engager à crier viva il re, viva Napoleone, regrettoit la domination paternelle de l'Autriche, et ne voyoit dans Napoléon qu'un maître armé, qui avoit la volonté et le moyen de se faire obéir. Les Italiens l'avoient choisi pour roi comme les François l'avoient choisi pour empereur; et, comme les François, ils le craignoient et ne l'aimoient

pas.

Les patriotes, qui l'avoient aidé dans ses premières campagnes, et auxquels il avoit tant de fois promis de relever la république romaine, étoient cruellement déçus dans leur espoir, et voyoient avec un profond chagrin les préparatifs de son couronnement.

Les dévots se rappeloient, en le voyant, le pillage de leurs églises, qu'il avoit autorisé, et les farces antireligieuses qu'il avoit fait jouer en 1797 sur le grand théâtre de Milan. Les propriétaires se souvenoient des énormes contributions dont il les avoit grevés. Tous étoient las et frustrés : tous allèrent néanmoins jurer à ses pieds respect, fidélité, obéissance et soumission.

Lorsqu'il se présenta à l'église, l'archevêque (1), en

(1) Le cardinal Caprara.

touré de tout son clergé, le reçut sous le portique, et lui adressa l'allocution suivante :

[ocr errors][merged small]
[ocr errors]

Respect, fidélité, obéissance et soumission, voilà les tributs qu'en signe d'hommages j'ai l'honneur d'offrir humblement à V. M. impériale et royale, en ma qualité d'interprète du clergé et du peuple que je préside, depuis que votre munificence royale m'en a confié le gouvernement spirituel. Que le Très-Haut seconde les vœux ardents que forment les sujets de votre royaume pour la conservation de votre personne auguste. Que les illustres protecteurs de cette capitale, Ambrosio et Carlo (1), accueillent ceux que je forme, non pour votre grandeur, qui n'a pas besoin d'augmentation, mais pour votre bonheur, pour celui de votre auguste compagne et de votre famille ; bonheur qui doit faire celui de vos fidèles sujets.

[ocr errors]

A travers les harangues qu'il entendit, les hommages qu'il reçut, et les fêtes qu'on lui donna, son esprit pénétrant et soupçonneux démêla très bien les secrètes pensées de ses nouveaux sujets. Ildevina l'opinion qu'ils s'étoient formée de sa personne et de son caractère. Sa vanité en fut blessée, son humeur s'en ressentit, sa physionomie se rembrunit. Il cessa d'être aimable avec les femmes et familier avec les hommes. A peine ouvroit-il la bouche. Ses yeux ardents et farouches avoient l'air de chercher un ennemi dans tous les yeux. Ce fut dès-lors, dit-on, qu'il endossa par-dessous ses habits

(1) Saint Ambroise et saint Charles Borromée.

1805,

1805.

Il est sa

cré à Milan.

cette fameuse cotte de mailles qui étoit à l'épreuve de la balle et du poignard.

Il fut sacré le 26 mai, dans l'église de St. Ambroise. « La cérémonie fut exécutée avec la plus grande pompe, dit le Journal officiel, et dans l'ordre le plus imposant. La beauté du temps, la pureté du ciel, la splendeur du soleil concouroient à rendre cette solennité plus brillante. »

A midi, l'empereur sortit du palais, portant sur sa tête la couronne impériale, tenant dans ses mains le sceptre et la main de justice, et revêtu du manteau royal. Le cardinal archevêque, à la tête de son clergé, reçut sa majesté sous le portail, l'encensa, la harangua, et la conduisit sous le dais jusqu'au sanctuaire.

Après les prières et les bénédictions accoutumées, l'empereur alla au pied de l'autel recevoir des mains de l'archevêque l'anneau, le manteau et l'épée, qu'il remit au prince Eugène. Ensuite il alla prendre sur l'autel la couronne de fer; et, en la posant avec fierté sur sa tête, il prononça d'une voix forte ces paroles:

Dieu me la donne; gare à qui la touche.

Paroles antiques et consacrées dans le rituel du couronnement des rois lombards.

Ayant remis cette couronne sur l'autel, il prit celle d'Italie, la plaça également sur sa téte au bruit des applaudissements de la foule qui remplissoit cette vaste basilique.

Après la messe, il prêta son serment sur l'évangile; et le chef des hérauts cria comme un autre avoit crié à Paris: Napoléon, empereur des François et roi d'Italie, est couronné et intronisé; vive l'empereur et roi.

L'impératrice Joséphine fut sacrée et couronnée avec lui. Cette princesse le suivoit par-tout. Il croyoit, avec une sorte de superstition, que le bonheur de sa destinée étoit attaché à celle de sa femme (1).

1805.

sement de

Gênes.

Ce n'étoit pas sans raison que l'Autriche et l'Angle- Envahisterre se défioient des promesses, et redoutoient la modération de Napoléon. A peine étoit-il couronné roi d'Italie, qu'il songeoit à s'emparer de la république de Gênes.

Cette république depuis quinze ans ne conservoit plus qu'une ombre de liberté. Son territoire étoit envahi par l'étranger, et son gouvernement livré à la fureur des partis. C'étoit un des états d'Italie où les principes révolutionnaires avoient fait plus de progrès et plus de mal. La populace de la basse ville s'étoit portée à tous les excès contre les nobles et les commerçants, dès qu'elle eut secoué le joug de son ancien gouvernement. La noblesse et les commerçants appelèrent les étrangers à leur secours ; et Gênes perdit à-la-fois sa liberté, son repos, son commerce et ses richesses.

Il est bien difficile, sans doute, aux petits états de l'Europe, de conserver leur indépendance au milieu de ces grandes commotions qui mettent leurs puissants voisins aux prises les uns avec les autres, et encore plus difficile de résister à la contagion d'un mauvais

(1) Joséphine Tascher, née à la Martinique en 1768, mariée en premières noces au vicomte de Beauharnais (qui fut condamné à mort par le tribunal révolutionnaire en 1794); en secondes noces à Napoléon Buonaparte. Elle ne parut point déplacée sur le trône. L'extrême bonté de son cœur, et l'agrément de ses manières, lui tinrent lieu de naissance royale, et la mirent tout-à-coup au niveau de sa fortune.

« PreviousContinue »