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1805.

exemple, que leur donnent les souverains et les peuples qu'ils sont accoutumés à craindre ou à respecter.

po

Mais en supposant que, par un chef-d'œuvre de litique, la république de Gênes eût échappé à ce double danger, il est douteux qu'elle eût pu en recueillir le fruit, parceque le gouvernement françois, sous le comité de salut public, sous le directoire, comme sous le consulat, auroit bien su déconcerter toutes ses mesures de prudence, et envahir par la force ce qu'il n'auroit obtenu par la subornation.

pas

Un gouvernement qui convertissoit par un décret tous ses sujets en autant de soldats, et dont le premier dogme étoit de vouloir tout ce qu'il pouvoit, devoit finir par engloutir tous ses voisins, de proche en proche, jusqu'à ce qu'il fût englouti lui-même par une réaction, qui tôt ou tard étoit inévitable.

La république de Gênes ne pouvoit donc échapper au sort commun, lors même qu'elle se fût conduite avec plus de sagesse. Mais avant de la réunir à la France, Napoléon se fit un jeu de prolonger son anarchie en lui donnant une constitution inintelligible.

Il ne faut pas oublier qu'il avoit la noble ambition d'effacer Solon par la sagesse de ses lois, et Alexandre par l'étendue de ses conquêtes. Malheureusement pour les peuples qu'il soumit à ses armes, rien n'étoit plus inexécutable que ses plans de législation; rien de plus étranger à leur état civil, moral et politique, que les ordonnances martiales qu'il leur donna sous le nom de

constitutions,

Tandis qu'il leur traçoit d'une main des lois souvent inexécutables, de l'autre avec son compas ensanglanté

il circonscrivoit les limites de leurs états comme on dessine des cartes géographiques.

Au lieu d'exécuter le plan raisonnable conçu jadis par le fameux Gabrino, dit Rienzi, lequel consistoit à éloigner les étrangers de l'Italie, à respecter l'indépendance des états, à consulter la différence des mœurs, à ménager les préjugés de l'éducation : au lieu d'unir les peuples par un pacte fédératif, Napoléon affecta d'abolir toutes les lois anciennes et de confondre toutes les limites. Il appela les factieux de tous les pays, les jeta pêle-mêle au milieu des Romains, des Vénitiens, des Génois, et crut qu'on pouvoit façonner des hommes pour en faire des nations, comme le potier pétrit de l'argile pour en faire des vases.

L'effet répondit aux moyens. Ses constitutions, fruits du délire et de la présomption, ne furent jamais que des voiles destinés à couvrir ses violences, ou des sources inépuisables de querelles, de guerres civiles et de désordres.

Celle de Génes, en particulier, n'auroit pas subsisté une année entière, quand la guerre, dont cette ville fut long-temps le théâtre, n'en auroit pas suspendu l'exercice au bout de six mois.

Le siège long et meurtrier qu'elle avoit soutenu glorieusement contre les armées d'Autriche (1) avoit achevé d'épuiser ses forces. Quoique le vainqueur eût supprimé ses directeurs et ses deux conseils, copie ridicule des deux conseils et des directeurs établis en France; quoiqu'on lui eût rendu son sénat, son doge, ses formes antiques, Génes la superbe n'existoit plus.

(1) Sous le commandement de Masséna.

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Ce n'étoient ni ses trésors, ni son territoire qui tentoient alors l'ambition de l'empereur, quoique son port, d'ailleurs, lui parût un objet d'importance en ce qu'il lui offroit un point de communication facile avec la Corse.

Ce qui le flattoit le plus dans la soumission volontaire des Génois, c'étoit l'exemple qu'ils donnoient aux peuples de la Toscane, de Rome et de Naples, dont il méditoit dès-lors l'invasion. Il crut que cet exemple entraîneroit l'Italie tout entière, et que, recevant avec bonté des peuples qui se livroient volontairement à lui, il n'auroit point à se justifier, aux yeux de l'Europe, d'avoir rompu la paix qu'il avoit jurée, ni d'avoir violé le traité de Lunéville.

Par ces considérations, qui font peu d'honneur à sa pénétration, il avoit envoyé de nouvelles instructions aux nombreuses créatures qu'il entretenoit dans la ville de Gênes il leur avoit spécialement recommandé de tourner en ridicule leurs institutions républicaines, et de faire espérer, dans un changement de gouvernement, au peuple une diminution d'impôts, aux nobles des titres, des places et des honneurs. Il avoit attaché à ses intérêts MM. Cambiaso, Serra, Durazzo, Briguolé, Doria, et autres familles jadis riches et puissantes dans l'état, alors appauvries par la révolution, mais qui, par leur nom, exerçoient encore un reste d'influence sur la multitude.

Le 4 juin, tandis qu'il s'occupoit à Milan des institutions de son nouveau royaume, une nombreuse députation de la république ligurienne fut introduite auprès de lui, déposa à ses pieds les archives de la ville, les votes de tous les citoyens, et une adresse daus la

quelle le peuple de Gênes, las et malheureux de son indépendance, demandoit à être incorporé à la France. L'empereur répondit aux députés :

« Messieurs,

« Je suis souvent intervenu dans vos affaires, et toujours dans l'intention de faire prospérer les idées libérales (1); mais j'ai découvert que cela étoit impossible tant que vous resteriez abandonnés à vos propres forces. Les Anglois et les Barbaresques y mettront constamment obstacle.

« La postérité me saura gré d'avoir voulu vous délivrer, vous et le monde entier, du joug humiliant des Anglois et des Barbaresques.

« Je ne fus jamais animé que par l'intérêt et la dignité de l'homme. Au traité d'Amiens, les Anglois refusèrent de coopérer à la propagation des idées libérales, ce sont les idées libérales qui feront le bonheur du genre humain. Vous avez bien fait de venir les recueillir à leur source, et vous ferez mieux en les cultivant sous l'égide de ma puissance. Je consens à vous réunir à mon grand peuple ; je vous protégerai de tout mon pouvoir: retournez vers ceux qui vous ont envoyés, et dites-leur que les barrières qui les séparent du continent seront bientôt levées, et que toutes choses seront remises à leur place. » (2)

(1) Il n'est pas hors de propos de remarquer que c'est ici pour la première fois que nous entendons parler des idées libérales, et que c'est peut-être l'homme qui en avoit le moins dans la tête qui en a parlé le premier et le plus souvent.

(2) On n'entend rien à ce discours, sinon que les Anglois veulent étouffer les idées libérales, dont l'empereur est la source!

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Envahis

sement de la Tos

cane.

C'est ainsi que fut consommée, dans une conférence de vingt minutes, la réunion de Gênes à l'empire françois. Celle de la Toscane exigea plus de temps et de formalités.

La Toscane, dont la sagesse de son gouvernement, autant que les douces habitudes de ses habitants, avoit réussi à éloigner la contagion des principes révolutionnaires, n'en avoit pas moins subi le joug de la république françoise, qui la faisoit exploiter par une foule de fripons, sous toutes sortes de dénominations.

Par le traité de Lunéville, elle fut donnée au jeune duc de Parme en échange de ses états héréditaires, qu'on lui prit sans son consentement, et qui reçut en même temps de Napoléon le titre de roi d'Étrurie, titre éteint depuis la mort de Porsenna.

Ces échanges de noms et d'états convenoient à la politique de celui qui, se proposant de bouleverser l'Europe de fond en comble, devoit commencer par déraciner de leur sol natal les souches des grandes maisons, et finir par les anéantir sans bruit et sans obstacle sur le sol étranger où il lui convenoit de les transplanter. Le nouveau roi d'Étrurie ne régna que deux ans; il mourut à l'âge de trente ans, d'une maladie de langueur dont il avoit puisé le germe à Paris, dans un voyage qu'il ne fut pas le maître de refuser.

Sa veuve, Marie-Louise de Bourbon, infante d'Espagne, nommée régente du royaume et tutrice de son fils, resta sous la tutèle d'une forte garnison françoise que Napoléon fit entrer à Florence. Quelque précaire que fùt sa situation, elle n'en résista pas avec moins de fermeté à la demande qu'on lui fit de céder ses états à la France. Elle crut que son tyran n'oseroit jamais em

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