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ployer la force ouverte pour la chasser d'un pays qu'elle possédoit à titre d'échange, et dont l'Autriche et l'Espagne garantissoient la souveraineté à son fils. Elle se trompa.

Le 25 novembre 1806, M. d'Aubusson-Lafeuillade, ministre plénipotentiaire de France en Toscane, alla, au nom de l'empereur, lui déclarer que son royaume ne lui appartenoit plus, et qu'elle devoit en sortir dans le plus court délai. Les persécutions, les menaces, les mauvais traitements qui suivirent cette déclaration et que cette malheureuse princesse essuya, depuis ce moment jusqu'à la chute du bourreau de toute sa famille, seroient trop longs à décrire et n'entrent point dans notre sujet.

Nous ferons cependant une remarque. On auroit lieu d'être aussi surpris que révolté de tant d'outrages gratuits, et d'insultes sans provocations envers des femmes et des enfants, de la part d'un prince aussi puissant, que l'étoit alors Napoléon, si l'on ne savoit qu'il avoit trois sœurs et quatre frères à établir; qu'il vouloit les établir sur autant de trônes; et que, pour arriver à de telles fins il n'employoit la force ouverte qu'après avoir échoué dans tous les genres de séductions et de stratagèmes.

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Il donna la Toscane, sous le nom de grand-duché, à sa sœur Élisa, mariée au sieur Bacciochi, son compatriote, homme sans caractère et sans talent, et que, par une bizarrerie digne de tout le reste, il fit premier sujet de sa femme sous le nom de commandant militaire. Pendant que ceci se passoit en Toscane (1), le royaume Envahisde Naples éprouvoit, pour la troisième fois depuis dix

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sement de

Naples.

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ans, une révolution dont le but étoit de placer Joseph Buonaparte sur le trône de Ferdinand IV, roi des deux Siciles.

Ferdinand IV étoit depuis dix ans le jouet et une des plus déplorables victimes de nos fureurs révolutionnaires. Nul pays, par sa position géographique, n'en paroissoit plus facile à garantir; et nul pays, par la plus étrange fatalité, n'en souffrit davantage. Trois fois envahi par les armées françoises, il expia trois fois par le pillage, le meurtre et l'incendie, les torts ou la foiblesse d'un prince qui, cédant tour-à-tour aux conseils énergiques de sa femme (1) et aux lâches insinuations de quelques uns de ses courtisans, faisoit à contre-temps la guerre et la paix, et ne savoit jamais prendre un parti décisif.

C'est dans les grandes crises, de la nature de celles dont l'Europe a été le théâtre pendant vingt-cinq ans, qu'il faut délibérer long-temps avant que d'embrasser un parti; mais une fois pris, il faut le suivre, quels qu'en soient les conséquences et les dangers. Un prince doit savoir vivre avec honneur, ou mourir ; autrement, ses peuples et lui tombent sans gloire, et ses états deviennent la proie du premier occupant.

Ferdinand n'avoit pas vu sans effroi le nouveau roi d'Italie s'emparer successivement de la république de Gênes, du grand-duché de Parme, du royaume d'Étrurie. L'orage s'approchoit de ses états. Deux ans plus tôt

(1) Marie-Charlotte-Louise de Lorraine, archiduchesse d'Autriche, sœur aînée de Marie-Antoinette reine de France, née en 1752, étoit, comme son illustre mère Marie-Thérèse, une femme à grand caractère, mais n'eut pas comme elle le bonheur d'être comprise et secondée par les hommes qui l'entouroient.

il auroit pu le conjurer, en s'unissant franchement aux Anglois et aux Autrichiens; mais la crainte de livrer ses forteresses et lui-même à des alliés dont il redoutoit la puissance, fit qu'il prit de fausses mesures d'attaque et de résistance.

Dans de simples vues de commerce, il ouvrit ses ports aux Anglois et aux Russes; Napoléon jeta les hauts cris, et prétendit que cette infraction aux traités étoit une déclaration de guerre. Le contraire étoit facile à prouver. L'empereur ne voulut entendre parler ni de preuves ni d'explications: il donna ordre à son armée de marcher sur Naples, et, pour toute déclaration de guerre, il mit à l'ordre du jour la proclamation suivante :

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Depuis dix ans j'ai tout fait pour sauver le roi de Naples ; il a tout fait pour se perdre. Trois fois je lui ai pardonné ses trahisons: pardonnerai-je une quatrième fois? Me fierai-je une quatrième fois à une cour sans foi, sans honneur et sans raison? Non. La dynastie de Naples a cessé de régner. Son existence est incompatible avec le repos de l'Europe et l'honneur de ma couronne. Soldats, marchez: montrez au monde de quelle manière nous punissons les parjures. Ne tardez pas à m'apprendre que l'Italie tout entière est soumise à mes lois. Mon frère marchera à votre tête. Il connoît mes projets. Il est dépositaire de mon autorité. » (1) ·

(1) Ce prince, confident des projets et dépositaire de l'autorité de l'empereur, n'étoit pas plus destiné par sa naissance que par ses qualités personnelles à jouer un rôle éminent sur la scène politique du monde. Il étoit naturellement simple et bon; il aimoit le plaisir et

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Le 30 mars, le prince archi-chancelier de l'empire se rendit au sénat convoqué par les ordres de l'empereur; et, après un discours adapté à la circonstance, il présenta à la sanction de l'assemblée un statut additionnel aux constitutions de l'état, lequel régloit en définitif tout ce qui concernoit l'état civil de la maison impériale, et déterminoit les devoirs des princes et princesses qui la composent envers l'empereur.

« C'est dans l'intérêt des peuples, dit à ce sujet l'orateur, que les princes sont élevés au-dessus des autres hommes. Les honneurs qui entourent leur berceau ont pour motif de donner plus d'autorité aux exemples de soumission et de vertù, qui sont leur première dette envers la patrie.

« C'est aussi par l'accomplissement de leurs grandes destinées qu'ils doivent être placés, presqu'en naissant, sous les yeux du père de l'empire, afin que sa surveillance dirige leurs penchants vers l'intérêt de l'état, et qu'une morale plus sévère épure et ennoblisse leurs affections."

L'archi-chancelier présenta ensuite à la même sanction du sénat six décrets importants.

Le premier opéroit la réunion des provinces vénitiennes (1) au royaume d'Italie.

craignoit la représentation. Il avoit déja refusé la couronne du royaume d'Italie, en disant à son frère : « Vous avez trop présumé de mes moyens; je vous dirai franchement que je ne me sens point les qualités nécessaires pour régner.... » A cela, le frère avoit répondu, Vous êtes un imbécille.

(1) Provinces qui furent rétrocédées à l'empereur des François après la bataille d'Austerlitz, et par le traité de Presbourg, dont nous parlerons bientôt.

Le second conféroit le trône de Naples à S. A. I. le prince Joseph, et à sa descendance légitime et masculine.

Ici l'orateur ajouta: « Cette glorieuse récompense des services du prince Joseph, de sa constante et pieuse affection pour le chef de sa famille, sera pour vous, messieurs, le sujet d'une vive satisfaction. »

Les troisième et quatrième décrets conféroient en toute souveraineté, l'un au prince Murat les duchés de Clèves et de Berg; l'autre à la princesse Pauline (une des sœurs de l'empereur), et au prince Borghèse, son époux, la principauté de Guastalla.

Le cinquième décret transféroit également en toute souveraineté, au maréchal Berthier, la principauté de Neufchâtel.

Le sixième opéroit, en faveur de la princesse Élisa et du prince Bacciochi, son époux, la réunion des pays de Massa, Carrara et Garfaguana, à la principauté de Lucques.

Le septième décret enfin érigeoit, dans les états de Parme et de Plaisance, deux grands fiefs héréditaires, qui furent depuis conférés l'un à M. Cambacérès, sous le titre de grand-duc de Parme, et l'autre à M. Lebrun, sous celui de grand-duc de Plaisance.

L'empereur avoit encore trois frères à doter: il réservoit l'Espagne à Lucien, la Westphalie à Jérôme, et la Hollande à Louis. Le sort de Louis fut décidé avant celui des deux autres (1).

Le jeudi 5 juin 1806, des ambassadeurs extraordi

(1) Pour ne pas interrompre cette série de largesses, nous sommes forcés d'anticiper de quelques mois sur le cours des évènements.

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