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vision de l'armée françoise traversa violemment le territoire de Bayreuth, pour se rendre en Hanovre.

1805.

L'Europe crut un moment que cette dernière violence alloit jeter le roi de Prusse dans le parti de la coalition: et dans ce cas, Napoléon, pris à revers, eût été perdu. Il en fut autrement. Le roi de Prusse, gagné, trompé ou intimidé, resta froid spectateur de l'invasion de son territoire et de la dévastation de l'Allemagne. Il mérita par cette conduite le sort qu'il subit l'année suivante. Cependant la grande armée s'avançoit rapidement Prise dans le cœur de l'Allemagne, et arriva sans livrer de combats importants devant la ville d'Ulm, , que défendoient sa position, un camp retranché, et une armée de quarante-cinq mille hommes sous les ordres du général Mack.

Une position militaire aussi formidable devoit arrêter au moins pendant quelques jours les armées et l'impétuosité françoises: vaines conjectures! Le camp et la ville furent emportés en vingt-quatre heures. L'armée entière fut faite prisonnière.

On ne sut comment expliquer un fait de guerre aussi extraordinaire. Les uns prétendirent que le général Mack, toujours malheureux, avoit été trahi par les siens, et forcé de capituler. D'autres assurent qu'il étoit un traître lui-même. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il signa une des capitulations les plus ignominieuses dont les annales militaires fassent mention. On peut dire cependant que s'il eût été un traître, il n'eût pas attendu et encore moins provoqué le jugement du conseil de guerre, qui le condamna à une détention perpétuelle dans une forteresse.

d'Ulm.

1805.

Nous remarquerons à cette occasion qu'on parla beaucoup de trahisons dans cette campagne. Pour expliquer les étonnants succès de Napoléon, on eut recours tantôt à ses intelligences, et tantôt à ses profusions dans le cabinet et dans les armées d'Autriche. Ce fut un de ses moyens, sans doute, mais ce ne fut pas le plus actif: avec moins de préventions, on eût trouvé une plus heureuse solution du problème dans le caractère même des hommes qui gouvernoient alors les deux nations en

guerre.

Le conseil aulique étoit composé d'hommes fidéles sages, instruits, mais affoiblis par l'âge, et opiniâtrément attachés à leurs vieilles pratiques et à leurs systèmes de routine, sans égard aux changements que les François avoient introduits dans la stratégie.

Le conseil des Tuileries étoit conduit par un chef unique, ardent, actif, absolu, et dans toute la vigueur de son âge.

Les généraux de l'armée autrichienne ne connoissoient ni les vues secrétes, ni les plans ultérieurs, ni souvent les motifs des ordres qui les faisoient agir. Ils n'y pouvoient rien changer. Napoléon exécutoit luimême les plans qu'il avoit conçus ; il pouvoit les changer, les étendre ou les modifier, suivant les circonstances. Il nommoit et dirigeoit ses généraux et ses ministres.

Il avoit certainement une grande habitude de la guerre, et de grands talents militaires; mais on se tromperoit, si on n'attribuoit ses succès qu'à son génie. Un général moins habile dans sa position, et avec les hommes qu'il conduisoit, avec les capitaines que Pichegru et Moreau avoient formés, avec les ressources

immenses que la révolution avoit mises entre ses mains, auroit obtenu les mêmes succès, et en auroit peut-être mieux profité.

Personne ne doute qu'il n'ait entretenu un grand nombre d'espions dans les cabinets étrangers, qu'il n'ait acheté beaucoup de secrets, qu'il n'ait suborné beaucoup d'agents : mais il faut aller chercher ces agents et ces traîtres parmi les valets et les employés subalternes, et non dans la classe des ministres ou des généraux autrichiens.

La veille de la bataille d'Ulm, Napoléon avoit dit: La journée de demain sera plus brillante que celle de Marengo. Ce mot étoit un de ceux qu'il savoit trouver dans l'occasion, et qui étoit fondé sur la connoissance qu'il avoit des hommes, plutôt que sur ses intelligences avec le général ennemi.

Le lendemain, il mit la fanfaronnade suivante à l'ordre du jour. « Soldats de la grande armée, nous avons fait une campagne en quinze jours. Vous ne vous arrêterez pas là. Cette armée russe, que l'or d'Angleterre a transportée des extrémités de l'univers, nous l'extermi

nerons. »

Les soldats qui l'entendoient parler ainsi, et qui le voyoient agir, étoient disposés à croire que non sculement il étoit un grand capitaine, mais qu'il étoit un hom:ne surnaturel : et c'est ainsi qu'on fait des choses extraordinaires.

Lorsque l'armée françoise fut arrivée aux portes de Vienne, elle se trouva tout-à-coup arrêtée par les dispositions que le prince d'Auersberg avoit faites à la tête du pont sur le Danube. Il n'étoit pas aisé de le forcer; il étoit dangereux de se ralentir. La ruse vint au secours

1805.

1805.

de la force: le général Murat, qui commandoit l'avantgarde, demanda une entrevue au prince, lui dit que << trop de sang avoit coulé, que la guerre devoit finir aux portes des capitales; que les capitales, depuis longPrise de temps, ne soutenoient plus de sièges; enfin qu'un arVienne. mistice étoit signé... » Le prince, se fiant trop légèrement à ces déclarations, négligea les précautions les plus indispensables; le pont fut enlevé, les François entrèrent dans la ville, qu'avoient désertée l'empereur, les grands de l'état et le gouvernement.

La conduite de Napoléon fut parfaite en cette circonstance. Il entra dans Vienne moins en conquérant qu'en ami. Il donna l'exemple d'une modération rare après la victoire, et d'une magnanimité plus rare envers un prince agresseur.

Il dédaigna l'orgueil de punir une injure, et parut immoler sans peine les ressentiments qu'il avoit apportés du camp de Boulogne. Les habitants de Vienne furent épargnés, et à peine s'aperçurent-ils que leur gouvernement étoit changé.

Cette campagne sera toujours remarquable, non seulement par la rapidité et la grandeur des événements qui l'ont remplie, mais par la modération que le vainqueur y montra constamment. Il avoit dans son armée plusieurs généraux, dont chacun eût pu concevoir aussibien que lui un plan de campagne, en diriger la conduite, en assurer le succès. Tous exécutèrent les manœuvres les plus savantes, tandis que leur chef déployoit toutes les ressources de la science et du génie avec ce calme qui présage des triomphes. Il ne tarda pas à en recueillir les fruits.

François II s'étoit retiré en Moravie, avec une partie

de son armée. Ce fut là qu'il fut joint par l'armée russe, que l'empereur Alexandre envoyoit à son secours, et commandoit en personne. Ce fut là que se donna la bataille décisive qui termina cette campagne et la guerre.

Il n'y a peut-être rien au monde de plus imposant que le spectacle de ces grandes batailles qui doivent décider du sort des empires. C'est en vain que la philosophie en blâme sévèrement les causes; c'est en vain que l'humanité pleure amèrement sur leurs effets; l'imagination subjuguée porte avidement et fixe avec complaisance ses regards sur ces milliers d'hommes qui vont s'entre-égorger pour des causes qui leur sont étrangères, et qui, dans ce champ de carnage, vont déployer tout ce que la valeur a de plus brillant, tout ce que la prudence a de plus consommé, tout ce que le génie a de plus hardi, tout ce que la science humaine a recueilli d'observations: telle est l'idée qu'on s'en forme. On est fortement ému, on admire Alexandre dans les plaines d'Arbelles, César à Pharsale, Condé à Rocroy; et la gloire, cette grande erreur de tous les siècles, suivant l'expression d'un orateur chrétien, nous en faisons le prix d'une victoire qui n'est souvent due qu'au hasard.

1805.

d'Auster

litz.

Le 2 décembre 1805, les deux armées se trouvèrent Bataille en présence dans les plaines de Brünn ; l'armée françoise, forte de cent trente-cinq mille hommes ; celle de l'ennemi, de cent vingt mille, savoir, quatre-vingt-dix mille Russes, et trente mille Autrichiens. Napoléon avoit, par plusieurs manœuvres savamment combinées, soit en se retranchant avec soin, soit en se retirant avec précaution, augmenté la présomption de ses ennemis.

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