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Cependant quelle étoit la situation du peuple espagnol, tandis qu'on préparoit et qu'on exécutoit la scène 1808. honteuse et tyrannique qui entraîna l'abdication du prince Ferdinand; tandis qu'on violoit les lois fondamentales de la monarchie, et que l'on contrarioit les vœux les plus chers de la nation?

« Contenu dans les bornes d'une loyauté sans reproche tant qu'il eut l'espoir que son roi seroit reconnu, il ne témoigna ni mécontentement, ni inquiétude aux François disséminés dans la capitale et ses environs. Mais lorsqu'il apprit l'horrible trame qu'ou ourdissoit contre lui à Bayonne, alors le mécontentement général éclata en plaintes et en larmes : c'étoit le 2 mai.

« Les François, qui n'attendoient que ce moment pour déployer l'étendard de la terreur, firent feu à l'improviste sur le peuple qui ne leur avoit encore fait aucun mal, et leurs colonnes homicides se répandirent dans les rues tranquilles de Madrid. Les habitants coururent aux armes, et se défendirent pied à pied, corps à corps: ils affrontèrent les plus épais bataillons, y portèrent souvent le désordre, lorsque des paroles de paix sorties de la bouche de leurs magistrats les arrêtèrent et les désarmèrent.

« Le combat cessa, et une scène d'horreur lui succéda. Les François occupèrent militairement tous les postes de Madrid, arrêtèrent tous les citoyens qu'ils trouvèrent sous les armes, et les fusillèrent la nuit sui

vante.

« Ce fut sous de tels auspices qu'on nous fit connoître notre nouveau roi et notre nouvelle constitution.

« Mais la nation, outragée dans la personne de son

1808.

prince, trahie dans sa confiance, et cruellement payée de l'hospitalité qu'elle avoit accordée, éleva tout-àcoup un cri terrible, et tous les peuples coururent aux

armes.

« Cette résolution généreuse une fois prise, les provinces proclamèrent de nouveau le roi auquel elles avoient juré d'obéir, et s'avancèrent à la rencontre des phalanges françoises qui se répandoient de tous côtés.

« Rien ne put résister à notre première impétuosité. Vingt-trois mille hommes, commandés par un de leurs meilleurs généraux (1), sont mis en déroute dans les plaines de Baylen, et forcés de se rendre prisonniers. Les murs de Valence soutiennent le choc du maréchal Moncey, qui est obligé de se retirer en désordre sur Madrid. Maurella et Girone sont l'écueil des divisions envoyées pour les réduire. Saragosse, ouverte de toutes parts sans autre défense que le courage de ses habitants, résiste au courroux de Napoléon, qui, semblable à une divinité infernale, lançoit de Bayonne le carnage et la désolation sur un peuple pacifique, dont tout le crime étoit d'avoir été fidèle à son roi.

« Telle est l'origine de la guerre atroce que les François font à l'Espagne. Outragés, assaillis d'une manière aussi barbare qu'inattendue, nous restoit-il d'autre parti à prendre que de nous défendre, que de vaincre ou de mourir?

« Il faudroit que nous fussions encore plus méprisables que le tyran lui-même, si nous oubliions ce que furent nos ancêtres et ce que nous devons être. Nous n'avons pas voulu dégénérer, ni devenir la risée de l'Europe, en devenant les esclaves de Napoléon.

(1) Le général Dupont.

Π Il ose nous qualifier de rebelles et d'insurgés: étrange abus du pouvoir! A qui fera-t-il croire que la résistance à une injuste agression soit une insurrection? A qui persuadera-t-il que notre fidélité au sang de nos rois soit une révolte? Personne en Europe ne peut être dupe de cette logomachie.

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C'est en vain que les journaux qui lui sont dévoués nous ont représentés comme livrés aux horreurs de l'anarchie, et agités par les convulsions d'une liberté fanatique; c'est en vain qu'ils nous traitent d'esclaves vils et rampants. Ses soldats, en entrant chez nous, ont trouvé des hommes..... des hommes résolus de mourir, plutôt que de se soumettre à sa tyrannie.

L'Espagne n'est pas le seul pays à qui il importe de

soutenir cette lutte terrible.

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L'Italie, la Suisse, la Hollande, la Prusse et l'Autriche, tour-à-tour vaincues et tyrannisées par lui, ont le même intérêt que nous à briser les fers qu'il veut nous donner. Leur salut est lié au nôtre; et la cause que nous défendons est celle de l'univers.

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Monarques et peuples du continent, sachez imiter notre constance et nos efforts; et l'univers, menacé de devenir la proie d'un monstre, recouvrera son indépendance et sa tranquillité. »

Les nobles sentiments qu'expose ce manifeste étoient ceux de la nation tout entière.

Les Espagnols puisèrent dans la religion, autant que dans leur patriotisme, une force qui éleva leur caractère à un degré de constance et d'héroïsme auquel leur ennemi étoit loin de s'attendre. Au milieu de leurs provinces occupées, de leurs villes ouvertes, de leurs campagnes dévastées, ils restèrent libres et indépendants. Il n'en est pas des guerres nationales comme de

1808.

1808.

celles que se font les souverains, qui, trop souvent entreprises pour des motifs frivoles, finissent comme elles commencent, et laissent presque toujours les peuples dans l'indifférence sur leur issue, comme dans l'ignorance de leurs causes.

Dans les guerres nationales, le même intérêt lie les peuples et l'armée, échauffe le soldat et le général, anime le gouvernement et les citoyens. Et c'est alors que la devise de vaincre ou mourir n'est point une vaine légende, fait des héros ou des martyrs, et devient le sigual de la liberté.

Ces idées ne pouvoient pas entrer dans la tête de l'empereur, il ne connoissoit d'autre droit que celui de son épée. Et son épée lui ayant malheureusement donné une grande puissance, il s'en servit pour l'augmenter encore; il s'en servit pour tourmenter les nations, pour détrôner les rois, pour achever la conquête du continent. C'étoit son but, il ne s'en cachoit plus.

Chacune de ses guerres lui assuroit de nouvelles possessions; et chaque possession nouvelle lui donnoit le besoin et le moyen de recommencer la guerre.

Il disoit, en parlant de l'Espagne: On arrachera l'Espagne de ses fondements avant de la détacher de mon empire.

De Rome: Les états de Rome sont irrévocablement unis à l'empire françois.

De la confédération du Rhin: La confédération du Rhin est plus immuable que la triple couronne de la maison de Lorraine.

Du royaume de Westphalie: Il est plus facile d'anéantir l'Autriche que le royaume de Westphalie.

1809.

Seconde

d'Autri

che.

C'est ainsi que son plan se dérouloit insensiblement, et qu'il ne craignoit plus d'annoncer sa monarchie universelle. Cela devint si clair, que l'Autriche, qui guerre depuis deux ans s'obstinoit à fermer les yeux, fut enfin obligée de les ouvrir. Depuis la paix de Presbourg, elle étoit restée fidéle à ses engagements, lorsque son ennemi, qui ne respectoit rien, avoit souvent violé les siens. Il les avoit violés en s'emparant des états du pape et de ceux du roi d'Espagne: il les avoit violés en augmentant son état militaire ; il les avoit violés en continuant d'occuper les places fortes d'Allemagne, que, par le traité de Presbourg, il s'étoit engagé d'évacuer.

L'Autriche se plaignit souvent de ces infractions : peut-être même à cette époque affecta-t-elle de se plaindre plus haut que de raison, dans le dessein où elle étoit de profiter des embarras dans lesquels la guerre d'Espagne entraînoit son ennemi, de se venger des humiliations qu'elle en avoit reçues, et de réparer les dommages qu'elle avoit soufferts. Il ne lui restoit d'ailleurs d'autre parti à prendre que celui de chercher encore une fois dans les hasards de la guerre la garantie qu'elle ne trouvoit plus dans les traités les plus solennels..

En conséquence, elle mit ses armées au grand complet, fit avancer des troupes dans la Bavière, et déclara dans un manifeste « que ce n'étoit point la France qu'elle alloit combattre, mais seulement l'homme dont l'ambition ne connoissoit plus de frein, et dont l'orgueil avoit si souvent abusé des droits de la victoire. "

Dans une proclamation adressée particulièrement

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