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gardé sans contredit comme le plus habile tacticien des

armées ennemies.

Par les raisons que nous avons déja dites, nous ne suivrons point l'armée françoise dans chacune des stations de sa marche victorieuse; nous nous contenterons d'indiquer, pro memorid, les savantes manœuvres du général Moreau sur les deux rives du Danube, son entrée dans Ulm et dans Augsbourg, après deux actions meurtrières; l'action plus meurtrière qui eut lieu devant Neubourg (1), où l'on se battit avec un extrême acharnement, pendant trois heures, à l'arme blanche et à coups de crosse de fusil; et où périt le brave Latourd'Auvergne, véritable preux de l'ancien temps, modèle de valeur et de vertus guerrières, blanchi dans les combats, et qui n'avoit voulu prendre dans les armées d'autre grade et d'autre titre que celui de premier grenadier. En repoussant une charge de hullands, il tomba frappé au cœur et traversé d'un coup de lance, au premier rang des grenadiers de la 46e demi-brigade, au poste qu'il avoit choisi.

Entraînés par le cours des événements, nous laisserons le général Moreau en Bavière, pour suivre le premier consul en Italie.

Les François qui, un an auparavant, étoient regardés comme des barbares, étoient alors appelés et attendus en Lombardie comme des libérateurs. Le vainqueur de Rivoli, le fondateur de la république cisalpine, étoit annoncé par une foule d'émigrés italiens, que les rigueurs

(1) Voyez pour les détails le Précis des campagnes par M. Matthieu Dumas.

1802.

Buona

parte se prépare à rentrer en

Italie,

1800.

Passage

imprudemment exercées par les Russes et les Autrichiens avoient forcés de chercher un asile en France. Buonaparte avoit formé une légion de ces républicains aguerris, dont il devoit bientôt faire de nouveaux sujets.

Il quitta Paris le 6 mai 1800, s'arrêta deux heures à Dijon, et arriva le 8 à Genève; il fit appeler le général Marescot, qui venoit d'achever sa reconnoissance du Saint-Bernard, et se contenta de lui faire cette question: Peut-on passer? - Oui, répondit le général. — Hẻ bien, partons. Léonidas n'étoit pas plus laconique.

-

A la vue de ces hauteurs inaccessibles, toute l'armée du mont hésita: le général Lannes s'élance le premier, donne Bernard. l'exemple, toute l'armée le suit. Sur un espace d'envi

Saint

ron six milles, l'étroit sentier, le seul par où l'on pouvoit grimper, borné d'un côté par un torrent rapide et profond, et de l'autre par des rochers coupés à pic, étoit encombré de neiges : à peine étoit-il frayé que la moindre tourmente, agitant la neige supérieure, en effaçoit les traces, et qu'il falloit, sous peine de se précipiter dans le torrent, chercher d'autres points d'indication et former des traces nouvelles.

C'est au milieu de ces dangers et de ces fatigues que le soldat, qui n'osoit prendre le temps de respirer, de peur d'arrêter la colonne, et prêt à succomber sous le poids de ses armes et de son bagage, grimpoit, chantoit, et faisoit battre la charge. Il falloit que nous fussions témoins d'un tel prodige, pour croire à celui que Tite-Live raconte de l'armée d'Annibal.

Après six heures de marche, ou plutôt d'efforts et de travaux pénibles, l'armée arriva sur le sommet de la montagne, et s'y reposa quelques heures: mais pour la descendre du côté du Piémont le travail et les dan

gers étoient encore plus grands. Selon les sinuosités et les diverses expositions, les neiges commençoient à fondre, se crevassoient en s'affaissant, et le moindre faux pas entraînoit et faisoit disparoître dans les précipices et dans les gouffres de neige les hommes et les chevaux. Toutes les difficultés n'étoient pas vaincues. L'armée ne pouvoit entrer en Italie, et laisser derrière elle le fort de Bard, que le général Marescot, commandant du génie, avoit déclaré imprenable, si le commandant vouloit se défendre. Ce fort, bâti sur un rocher de forme pyramidale, sur la rive gauche de la Doire, rivière profonde, rapide et dangereuse, ferme en entier la vallée, et présente une barrière formidable.

Il étoit défendu par une garnison de cinq cents hommes, et une batterie de vingt-cinq piéces de canon. On ne pouvoit y arriver que par un escalier étroit, rapide et pratiqué dans le roc; dix hommes résolus et deux pièces d'artillerie bien servies pouvoient tout arrêter et terminer la campagne. Mais qu'est-ce qui peut arrêter des grenadiers françois ? Tous les obstacles disparurent devant leur indomptable courage. Après beaucoup de tentatives infructueuses et des peines incroyables, ils trouvèrent moyen de hisser deux pièces de canon dans le clocher de la ville, et de battre le château en brèche, tandis que cinq cents autres grenadiers montoient à l'assaut à travers une gréle de balles. La garnison, effrayée d'une telle audace, pensa qu'elle avoit affaire à des êtres surnaturels, vit que toute résistance étoit inutile, et se rendit prisonnière de guerre.

Ce fut alors que l'armée françoise, victorieuse de tant d'obstacles, se crut invincible, et le devint en effet. Buonaparte marcha à grandes journées vers Mi

1800.

1800.

Bataille

de

lan, où il entra le 3 juin : les Autrichiens en étoient sortis la veille, au premier bruit de son passage du mont Saint-Bernard.

Son arrivée tenoit du merveilleux. La plupart des habitants ne savoient pas seulement qu'il fût en Italie. Le général Mélas, à cette nouvelle inattendue, abandonna le Piémont, rassembla toutes ses forces disponibles, et, pour rétablir ses communications avec Mantoue, résolut de livrer bataille. C'étoit aussi le projet de Buonaparte. Il y eut à Montebello, entre la division du général Lannes et une colonne autrichienne, sous les ordres du général Ott, un premier engagement, dont l'avantage resta aux François : cet échec ne fit que hâter la résolution qu'avoit prise le général Mélas de livrer une bataille générale et décisive à Buonaparte, sur l'armée duquel il avoit tous les avantages du nombre, de la cavalerie et de l'artillerie.

L'armée françoise qui se trouvoit en ligne n'étoit pas forte de plus de trente mille hommes.

Le 13 juin les deux armées se trouvèrent en présence sur la rive droite du Pô, et à peu de distance du village de Marengo.

Le lendemain 14, à la pointe du jour, les Autrichiens Marengo, passèrent la Bormida : à huit heures du matin les têtes de deux de leurs colonnes attaquèrent vivement la division Gardannes. Bientôt après l'action générale s'engagea de part et d'autre. Le village de Marengo fut pris et repris plusieurs fois par les Autrichiens et par les François. Les généraux Victor, Lannes et Kellermann firent des prodiges de valeur, mais inutilement. Vers midi le corps de Victor fut enfoncé : ceux de Lannes et de Kellermann éprouvèrent le même échec, etfirent leur

retraite en bon ordre. Quatre divisions françoises étoient battues et repoussées; à cinq heures du soir la bataille étoit perdue. Le général Desaix, dont la division très éloignée ne s'étoit pas trouvée au commencement de l'action, arrivoit au pas de charge, et avec des troupes animées du violent desir de venger l'honneur françois. Buonaparte, qui l'attendoit, le voit arriver, se relėve de son profond abattement, forme une nouvelle ligne de bataille, en parcourt rapidement le front, ranimant le courage des soldats par ces courtes harangues, par ces vives incitations qui lui étoient familières : « Soldats, c'est assez reculer, marchons en avant; vous savez que je couche toujours sur le champ de bataille. » Les Autrichiens s'avançoient avec la confiance que donne la victoire. Ils n'étoient plus qu'à demi-portée de canon des François, quand ceux-ci s'ébranlent tous à-la-fois. Le général Desaix, marchant à la tête de sa colonne d'attaque, se présente le premier devant l'ennemi, l'étonne et l'arrête par un feu terrible, et une fusillade engagée à portée de pistolet. C'est au moment où commençoit l'engagement à la baïonnette, que le généreux Desaix est frappé d'une balle au milieu de la poitrine, et tombe dans les bras du colonel Le Brun (1).

Il revenoit d'Égypte ; à son débarquement à Toulon il avoit appris le passage du mont Saint-Bernard. Impatient de rejoindre l'armée, il obtint qu'on abrégeât sa quarantaine, et se rendit avec la plus grande diligence en Piémont. Là, il reçut l'ordre du premier

(1) Desaix étoit issu d'une famille noble d'Auvergne, et étoit licutenant au régiment de Bretagne avant la révolution. Il avoit trentedeux ans quand il mourut au champ d'honneur.

1850.

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